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CHAPITRE XXI

DE L'ESSENCE ET DE L'EXISTENCE

398. L'essence. L'existence. L'essence est ce par quoi une chose est ce qu'elle est. Ce n'est point là une définition rigoureuse. Comment définir ce qui est transcendant et en particulier l'essence, c'est-à-dire comment assigner une essence à l'essence?

Mais si une définition est impossible, les explications n'en sont que plus nécessaires. L'essence est ce par quoi une chose est constituée dans sa propre nature et distinguée des autres: c'est ce que nous désignons pour répondre à cette question qui vient toujours aux lèvres: Qu'est-ce que ceci? L'essence est ce que nous concevons comme la source ou la racine de toutes les propriétés d'une chose, ce qu'il y a de premier en elle et la constitue.

On voit par là comment l'essence diffère de l'existence. Celle-ci s'ajoute à l'essence; elle lui survient, pour ainsi dire, non pas comme un accident proprement dit, mais comme un mode transcendant. Car l'essence peut ne pas exister: elle est donc comme un sujet par rapport à l'existence qu'elle reçoit; l'essence est à l'existence comme la puissance est à

l'acte, comme l'adjectif est au participe (par ex. : désirable à désirer), comme le nom est au verbe (par ex. : amour à aimer), comme ce par quoi on est (quo est) est à ce qui est (quod est).

On voit aussi comment l'essence diffère des propriétés et des accidents proprement dits qui découlent d'elle ou s'ajoutent à elle : les propriétés, même essentielles, ne constituent pas l'être, mais le caractérisent; et quant aux simples accidents, ils peuvent exister ou n'exister pas, ils ne découlent pas de l'essence.

-

399. Nature. Forme substantielle. Espèce.

On comprendra aussi toute la valeur de termes philosophiques plus ou moins synonymes de l'essence, tels que nature, forme substantielle, espèce. La nature (natura: nasci, naître), c'est l'essence en tant qu'elle est un principe d'opération. Elle tient comme le milieu entre l'essence et les opérations; mais c'est un milieu tout logique, car la nature c'est l'essence même. Seulement nous entendons par nature non seulement l'essence, mais encore les principes d'opération : ainsi quand nous disons que « l'habitude est une seconde nature ». Le mot de nature signifie aussi l'ensemble des êtres créés, mais nous n'avons pas ici à nous ocouper de cette signification.

La forme substantielle, c'est encore l'essence, ou du moins sa partie principale et déterminante. Si l'essence est simple (par ex. l'essence des esprits), elle ne fait qu'un avec la forme substantielle; mais si l'essence est composée (comme celle de l'homme et des corps), la forme substantielle est seulement ce qui détermine et spécifie cette essence (ainsi l'âme dans l'homme).

L'espèce se confond aussi avec l'essence, mais plutôt avec l'essence logique qu'avec l'essence réelle. L'espèce c'est l'essence en temps qu'elle est l'objet d'une définition. La définition proprement dite, rigoureuse, détermine l'essence de la chose définie, sa quiddité (quid? qu'est-ce?) ou son entité. Ce dernier mot est synonyme, en effet, d'essence et de forme.

400. Essence logique, essence réelle. Nous distinguons l'essence logique de l'essence réelle, Celle-ci résulte de principes physiques: par ex., l'essence réelle de l'homme est un composé d'âme et de corps. L'essence logique, au contraire, c'est le concept qui exprime cette essence réelle, concept formé de genre et de différence : par ex. le concept d'humanité ou d'animal raisonnable. Cette distinction est importante, car, selon qu'il s'agit de l'essence réelle ou de l'essence logique, certaines propositions changent complètement de sens et de valeur. Abordons maintenant la thèse suivante:

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THESE. Les esences des choses sont indivisibles, immuables, éternelles, nécessaires, infinies. Plusieurs sont connaissables à l'homme. On peut soutenir, non sans raison, qu'elles diffèrent réellement de l'existence des choses.

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Car

401. Les essences sont indivisibles. on ne peut les diviser sans les détruire; les êtres, les choses, ou plutôt les éléments qui les composent, sont divisibles, mais leurs essences nullement. Par exemple on divise le corps et l'ame par la mort, mais il est toujours de l'essence de l'homme d'être composé d'un corps et d'une âme. Il n'y a donc pas d'homme qui n'ait un corps et une âme, bien qu'il y ait des âmes sans corps et des corps sans âme. Il en est des essen

ces comme des nombres : les unités qui composent un nombre peuvent exister séparément; mais le nombre lui-même ne saurait perdre une unité sans cesser. d'être ce qu'il est et sans perdre par là même toutes ses propriétés distinctives.

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402. Les essences sont immuables C'est-à-dire qu'une chose ne peut changer d'essence, elle ne peut être formellement ce qu'elle est par une autre autrement elle serait cette autre et non pas elle-même. D'ailleurs, nous venons de voir que l'essence ne peut être diminuée; mais, pour la même raison, elle ne peut non plus être augmentée : l'essence est comme un nombre qui cesse d'être si on y ajoute, comme si on y retranche (est in indivisibili). L'essence est donc immuable. Pour les mêmes raisons on peut ajouter qu'elle est incorruptible. 403. Les essences sont éternelles. - Nous parlons ici d'une éternité négative. Cette éternité ne consiste pas en ce que toutes les essences existent et aient existé de tout temps, mais en ce que les essences étant immuables, échappent aux prises du temps. Pour les essences idéales, nulle difficulté : elles sont éternelles comme la vérité et les définitions absolues. Pour les essences réelles, elles sont éternelles de la même manière qu'elles sont immuables: elles ont commencé, il est vrai, à être réelles, mais non en vertu d'une mutation proprement dite, car la création est un commencement, sans être une mutation; celleci suppose une existence antérieure, elle est le passage d'un terme réel à un autre.

C'est

404. Les essences sont nécessaires. å-dire qu'elles sont nécessairement possibles et, si elles existent, elles sont nécessairement ce qu'elles sont.

405. Les essences sont infinies.

Non pas

en elles-mêmes, mais en extension. Il est évident, en effet, qu'un nombre indéfini d'individus peuvent avoir même essence, même nature, même espèce. Si le nombre des individus du même genre est nécessairement limité, cela ne provient pas du genre, mais du nombre: le genre est toujours communicable et, sous ce rapport, infini dans l'espace et dans le temps. C'est la même vérité que l'on exprime dans cet aphorisme : Universalia sunt ubique et semper.

406. Essences et universaux. - On voit par là que les essences se confondent avec les universaux ou du moins n'en diffèrent guère que par l'aspect. L'essence logique, c'est en définitive l'universel formel, le genre ou l'espèce, etc.; et l'essence réélle ou la nature, c'est l'universel réel, celui qui est dans les choses. 407. Toute essence est-elle simple ? - Ici on peut se demander si les essences des choses sont simples ou composées. Descartes pense que toutes les essences sont simples et que chaque chose est constituée par un seul principe: par exemple l'homme serait constitué par la pensée. Les scolastiques, au contraire, pensent que, l'essence divine exceptée. toutes les autres sont composées de quelque manière, réellement ou logiquement. La raison en est que chaque espèce d'être a quelque chose de commun avec les autres espèces et quelque chose de propre; de là au moins deux principes essentiels : par exemple l'essence d'homme est composée de corps et d'âme, de matière et de forme, ou de sensibilité et de raison, suivant le point de vue où l'on se place. Et cette composition n'empêche pas, nous venons de le voir, l'indivisibilité des essences.

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