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Nous répondrons ensuite que la méthode d'invention et celle d'enseignement ne diffèrent pas essentiellement. Il est souvent très utile et même nécessaire d'enseigner les sciences, les arts, certaines vérités, par les mêmes moyens qui les ont fait découvrir; ce que l'on invente, ou croit inventer, est toujours mieux appris. Enseigner, c'est aider un esprit à s'instruire lui-même, à découvrir la vérité : la méthode d'enseignement doit donc se rapprocher le plus possible de la méthode d'invention. Seulement le maître épargnera à l'élève toutes les démarches inutiles, toutes les fausses hypothèses qui ont retardé les inventeurs et suspendu le progrès des sciences; il ira droit au but, puisqu'il le connaît, mais en exerçant et en élevant progressivement l'esprit qu'il instruit.

Saint Thomas montre fort bien les rapports de la méthode d'invention avec la méthode d'enseignement quand il les compare à la nature et à l'art. Or, l'art imite la nature. Il s'ensuit que la méthode d'enseignement doit se rapprocher de la méthode d'invention, sans se confondre avec elle, sans lui emprunter ses défauts et ses imperfections.

Le maître évitera soigneusement deux extrêmes, Il se dispensera d'observations et d'expériences trop nombreuses, qui encombrent la mémoire, dispersent l'attention et empêchent d'atteindre le but. Mais il se gardera aussi, d'autre part, de procéder d'une manière trop abstraite, d'énoncer des principes, des lois, des règles dont l'élève ne voit point l'application; toujours il éclairera les principes par des exemples, ou mème il s'élèvera des exemples et de la pratique aux principes qui les règlent. L'enseignement doit être concret avant d'être abstrait, surtout s'il est donné à la

jeunesse, aux esprits que la réflexion n'a pas mûris encore et qui ne sauraient, par conséquent, s'orienter dans la région des principes et des lois générales.

371. Méthode de Descartes. Au sujet de cette méthode, devenue fameuse entre toutes, nous avons à montrer qu'on ne peut l'accepter, du moins comme méthode générale.

Déterminons d'abord tous ses caractères essentiels. Elle comprend deux parties: l'une négative, et l'autre positive. La première consiste à détruire, et la seconde à édifier. Et d'abord, Descartes renonce à toutes ses certitudes, afin de se dépouiller par là de tout préjugé qui pourrait s'y mêler: il doute du témoignage humain, et partant de toute l'histoire; du témoignage des sens, et partant du monde extérieur; du témoignage de sa propre mémoire. Il doute même des vérités absolues; il pense comme si c'était sa première pensée. Mais lorsqu'il a tout détruit et que sa pensée actuelle plane seule sur ces ruines, il s'aperçoit qu'il ne peut pas douter de cette pensée elle-même ni de sa propre existence qui y est impliquée : « Je pense, dit-il; donc, je suis. » Ce sera le fondement de toute la philosophie nouvelle.

En effet, pourquoi faut-il admettre cette vérité ? Parce qu'elle est évidente. Descartes établit donc son principe de l'évidence ou des idées claires : « Il faut affirmer comme vrai ce que nous pensons clairement et distinctement. » Il s'aperçoit ensuite qu'il peut douter de son propre corps et non de sa pensée, que celle-ci se perçoit d'une manière tout à fait distincte de l'étendue. Donc l'âme n'est pas le corps: c'est, d'après lui, la thèse fondamentale du spiritualisme. De plus, il se perçoit clairement comme imparfait,

bien qu'il ait clairement aussi l'idée du parfait. Mais le parfait, pense-t-il, est avant l'imparfait; le parfait, l'absolu est la seule cause qui explique l'idée que nous en avons ; donc Dieu existe. Avançons toujours. Dieu, qui est parfait, ne peut pas nous tromper; donc le témoignage de nos facultés est vrai en principe, comme aussi celui des hommes. Et c'est ainsi que Descartes se flatte de rentrer en possession de la certitude la plus entière.

372. Critique. -1° Nous supposons que le doute de Descartes est purement hypothétique, comme luimême a paru le dire. Il serait absurde, en effet, de douter réellement des vérités premières, les plus certaines, les plus évidentes : ce serait du scepticisme absolu. Mais Descartes s'est exprimé d'une manière trop équivoque, et c'est la première critique que nous lui adressons.

2o Même équivoque au sujet de l'évidence, premier criterium de certitude. Veut-il parler d'une évidence objective ou subjective? Ses disciples ne sont point d'accord, et leurs hésitations, leur scepticisme même accusent la doctrine du maître.

3o Ensuite, même le doute purement hypothétique ou fictif proposé par Descartes est impraticable et absurde. Remarquons d'abord que tout doute provisoire et conditionnel sur certaines matières essentielles connues déjà d'une manière certaine, est très dangereux pour nombre d'esprits : le doute provisoire plonge dans l'obscurité les esprits faibles, dont plusieurs se piquent d'être forts; il devient bien vite définitif. Donc la méthode de Descartes n'est pas une méthode générale, bonne pour tous les esprits. Lui-même, nous l'avons vu, en convient,

Mais il y a plus. Aucun esprit ne doit l'employer; car on ne peut sortir logiquement du doute universel, ne fût-il qu'hypothétique. Descartes, en effet, doute du principe de contradiction et de la possibilité de parvenir à la vérité, puisqu'il doute des principes de la raison. Mais, il est impossible de faire un pas en philosophie, si l'on doute de ces vérités premières, si l'on refuse de s'appuyer positivement sur elles. Ou bien Descartes les accepte, et alors son doute est limité; ou bien il les nie, et il faut reconnaître qu'il n'est pas sorti logiquement de son doute.

4° En outre, Descartes veut partir uniquement de ce premier fait je pense, j'existe, Mais il est impossible d'établir la science sur un fait contingent, un fait de conscience surtout. On ne peut passer de ce fait, et en vertu de ce seul fait, à des vérités générales, à une connaissance scientifique. Bref, et nous l'avons montré, la science a plusieurs sources, et Descartes y puise sans vouloir l'avouer.

5o Ajoutons que Descartes commet une pétition de principe quand il dit que nos facultés, et avec elles la raison, ne trompent pas, parce que Dieu est vrai, et que, d'autre part, il prouve l'existence de Dieu par la raison.

6° Enfin, Descartes ne réussit pas aussi bien qu'il se le persuade à établir les vérités fondamentales de la philosophie. Cette distinction de l'âme et du corps ne suffit pas à établir la spiritualité de l'âme (voir la psychologie). L'idée du parfait ne suffit pas à établir l'existence de Dieu (voir la théodicée).

On voit, par cette critique sommaire, que la méthode proposée par Descartes est inadmissible dans son ensemble et dans beaucoup de détails.

CHAPITRE XIX

DE LA MÉTHODE PROPRE

A CERTAINES SCIENCES: MATHÉMATIQUES, SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES, ETC.

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373. La logique de chaque science et la philosophie. Tout ce que nous avons dit de la méthode en général pourrait suffire; car chaque méthode particulière fait partie intégrante de la science à laquelle elle s'applique. Ici nous partagerions les vues d'A. Comte : la logique de chaque science fait corps avec cette science; elle en découvre ou en ordonne tous les matériaux; elle en est la forme et l'esprit. A la philosophie il n'appartient en propre que d'établir la méthode et les règles générales, celles qui conviennent à toute science et à toute intelligence; il lui appartient de créer ou de développer l'esprit philosophique et non pas précisément l'esprit propre à chaque science : l'esprit géométrique, scientifique, politique, etc..., bien que l'esprit philosophique fortifie tous les autres et les complète, en réparant leurs insuffisances.

Mais les logiciens modernes, en méconnaissant l'importance de la logique pure ou générale, ont exagéré

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