Obrazy na stronie
PDF
ePub
[graphic][merged small][merged small][merged small][merged small]

DANS

ANS l'été, Paris est encore supportable. On a du soleil, on voit quelques feuilles, on rencontre des marchands de fleurs; mais en hiver, point d'air et point d'herbe. C'est le pays des omnibus, des parapluies et de la boue.

Autour d'un feu qui fumait, nous causions de la campagne.

-Je trouverais cependant bon, disait Émile, de marcher sur la mousse.

- Et de jouir du grand vent, disais-je à mon tour. -Et de voir le givre aux arbres, disait Jean.

Venez chez moi, dit Valentin; j'ai de la mousse, du vent et des arbres; décembre y mettra le givre. Nous chasserons. Vous tuerez des lapins et peut-être un chevreuil.

Émile prit feu, se voyant déjà chargé de trophées. Il faisait ses invitations pour manger le chevreuil, et distribuait les lapins aux amis de second rang.

Nous trouvions, Jean et moi, qu'on nous annonçait là des triomphes invraisemblables. Des lapins! un chevreuil! Je n'ai point l'habitude de tirer sur ces innocentes bêtes; elles n'ont point, comme les Premiers-Paris, cette allure majestueuse de fiacre à l'heure qui laisse tout le temps de viser... Mais courir en forêt, le fusil sous le bras, par une belle pluie, par un beau brouillard, et jouir de toutes ces beautés de décembre! écouter les aboiements des chiens, entendre au loin la trompe du piqueur!...

-Car, poursuivait Émile, nous aurons un piqueur. Avez-vous jamais vu un piqueur?

Oui..., dans les journaux illustrés.

-A cheval, reprenait Émile, avec de grandes bottes, le coutelas au côté, la trompe en sautoir, et un habit vert. Le piqueur de Valentin ne vous méprisera pas; il est bon garçon; il sait des histoires qu'il conte drôlement, et, quand nous serons arrivés au rendez-vous de chasse, après avoir battu le bois, il nous fera une omelette. Oh! Jean! grand statuaire, quelle omelette!

Nous prîmes le chemin de fer.

Nous étions six dans le wagon, Jean le statuaire, Émile le peintre, moi, deux dames fort décentes, par conséquent muettes, et un monsieur fort décent aussi, coiffé, rasé, ganté, empaqueté, qui parla beaucoup, mais sans toucher à la politique, ni aux arts, ni à la littérature, ni au commerce, ni à autre chose.

A la grande station, nous dinâmes auprès de ce monsieur. Sa manière de dîner nous parut digne de remarque.

Il commença par chercher à se laver les mains, et n'y renonça qu'après plusieurs demandes adressées aux garçons, qui les reçurent mal. S'étant assis, il trouva que sa serviette était humide et en requit une autre, qu'il attendit patiemment. En possession de sa serviette, il entreprit de nettoyer son verre, sur la propreté duquel il nous consulta et que nous ne trouvâmes point net. Il fit à son assiette la même opération. Mais, après avoir bien frotté, bien retourné, bien regardé, il exigea une autre assiette et un autre verre. On le satisfit. Alors il coupa un morceau de pain et parut réfléchir.

Messieurs, nous dit-il, pensez-vous que ce pain

soit suffisamment cuit?

· Oui, monsieur, répondis-je.

Non, monsieur, répondit Émile.

-Monsieur, répondit Jean, il faudrait connaître. les usages et le climat du pays. Ce pain ne yous semble pas cuit; mais peut-être l'est-il comme il faut pour les estomacs de céans. Les anciens con

seillent au voyageur de se mettre à la cuisine des peuples qu'il visite. C'est pourquoi Alcibiade, à Sparte, se régalait de brouet noir, après un bain dans l'Eurotas.

Monsieur, dit le monsieur, je saisis votre raisonnement. Cependant je mangerai du pain plus cuit; j'ai l'estomac susceptible.

Il demanda d'autre pain, et, comme on tardait, il en alla quérir. Nous étions au dessert quand il reparut vainqueur, tenant un pain de gruau.

Ce n'est pas sans peine, nous dit-il, que je me suis procuré cette flûte. On voit bien que nous sommes déjà loin de Paris.

Il y avait sur la table de la volaille et du bœuf rôti. Il demanda du veau. On lui répondit que le veau était épuisé. Il nous consulta. Jean appuya le poulet, Émile aussitôt se prononça pour le bœuf. Notre homme était perplexe.

Le bœuf, dit-il enfin, est plus tonique et convient mieux en voyage. Néanmoins je regrette le poulet. Sur ce raisonnement, il se servit une tranche de bœuf. Mais il fit de nouvelles réflexions:

-Le bœuf est lourd... Je prends du poulet.
Et il s'empara d'une aile de poulet.

En ce moment, le garçon faisait la recette. Notre homme avait devant lui du bœuf et du poulet, et du vin dans son verre. On lui déclara trois francs. Cessant de manger, il s'occupa lentement de faire cette somme en monnaie, remarquant à demi-voix que les prix étaient forts.

« PoprzedniaDalej »