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déterminer ici fort précisément, à cause des dépenses imprévues. Je n'ai, que je sache, aucun attachement aux richesses; et je puis, peut-être, me passer de beaucoup de commodités; mais je ne me sens pas encore assez habile pour trouver tout le nécessaire, si je n'avois précisément que le nécessaire; et je perdrois plus de la moitié de mon esprit, si j'étois à l'étroit dans mon domestique. L'expérience me fera connoître de quoi je me puis passer; alors je prendrai mes résolutions; et e tâcherai de n'aller pas au jugement de Dieu avec une question problématique sur ma conscience. »

Dans cette même lettre, Bossuet nous apprend qu'on avait trouvé quelque chose à blâmer dans ses actions. Il s'agissait sans doute de ses rapports avec la cour. « Je sais, dit-il, qu'on a blâmé certaines choses sans lesquelles je vois, tous les jours, que je n'aurois fait aucun bien. J'aime la régularité; mais il y a de certains états où il est fort malaisé de la garder si étroite. » Si Bossuet eut des complaisances pour un roi dont les mœurs étaient fort corrompues, ces complaisances n'allèrent jamais jusqu'à blesser sa conscience. Depuis l'année 1661 qu'il commença à prêcher devant Louis XIV, jusqu'en 1671 qu'il fut nommé précepteur du dauphin, il s'était acquis une si grande réputation par ses sermons et son oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, que Louis XIV lui avait témoigné de l'estime et l'avait consulté sur les affaires de sa conscience. Il sut prendre sur lui un ascendant qu'il ne dut qu'à sa vertu. Il ne transigeait pas avec les préceptes de l'Évangile ; mais il ne pensait pas, d'un autre côté, qu'il fût possible d'exiger tout d'un coup d'un jeune prince passionné une haute perfection, car par là, il eût certainement détruit en lui le peu de bonne volonté qu'il pouvait avoir. Bossuet prit donc un moyen-terme; il parvint ainsi à convertir mademoiselle de la Vallière et fit consentir le roi à sa séparation. Il agit de même lorsqu'il entreprit de rompre les liaisons adultères qui existaient entre le roi et madame de Montespan.

«Sire, lui écrivait-il, le jour de la Pentecôte approche, où Votre Majesté a résolu de communier. Quoique je ne doute pas qu'elle ne songe sérieusement à ce qu'elle promet à Dieu, comme

Bossuet, Lettre 33.e à Louis XIV. Au lieu de donner à Louis XIV de pareils avis, le P. de La Chaise feignait d'être malade, la veille des grandes fètes, afin de n'être point obligé de donner au roi ou l'absolution, ou des avis salutaires.

V. les Mémoires du duc de Saint-Simon; V. it. l'Histoire de la Compagnie de Jésus, par Crétineau-Joly, t. IV, ch. 5, p. 360.

elle m'a commandé de l'en faire souvenir, voici le temps que je me sens le plus obligé de le faire. Songcz, Sire, que vous ne pouvez être véritablement converti si vous ne travaillez à ôter de votre cœur non-seulement le péché, mais la cause qui vous y porte. »><

Bossuet réussit à séparer le roi de madame de Montespan. Il lui adressa, sur la vie chrétienne qu'il devait mener et sur ses devoirs de roi, les instructions les plus solides. Ces hautes vérités de l'Évangile frappèrent Louis XIV, qui avoua que ses confesseurs jésuites les lui avaient laissé ignorer jusqu'alors'.

Louis XIV ne persévéra pas dans ses bonnes résolutions et renoua ses liaisons avec madame de Montespan; mais Bossuet n'en avait pas moins travaillé à faire cesser le scandale, lorsque le roi lui en avait fourni les moyens par la confiance qu'il lui avait témoignée. On ne peut donc, sans injustice, accuser ce grand homme de lâches complaisances pour les scandales de la cour.

Lorsqu'il pouvait travailler à la conversion du roi, il s'entendait❜ avec Le Camus, évêque de Grenoble, dont nous avons parlé précédemment.

Bossuet était, aussi bien que Le Camus, ami d'Arnauld. Ils étaient heureux, l'un et l'autre, du calme que la paix de Clément IX avait apporté à l'Église de France et que Clément X s'appliquait à consolider. Ils blâmaient ouvertement ceux qui portaient atteinte à cette paix et troublaient de saints évêques et de savants écrivains dans les travaux qu'ils entreprenaient pour l'instruction et l'édification des fidèles. Parmi les adversaires de Port-Royal, plusieurs poussaient leur prétendue orthodoxie si loin, qu'ils blamaient le pape de l'affection qu'il montrait aux quatre évêques. Nous avons, à ce sujet, un fragment précieux d'une lettre du maréchal de Bellefonds à Bossuet et une réponse, plus précieuse encore, du grand évêque.

« Dans la vérité, lui écrivait Bellefonds, je ne saurois avoir la complaisance de blâmer beaucoup de gens qui, je crois, ne le méritent pas. Cependant, je ne me mêle point de justifier personne sur la doctrine: mais l'on ne peut souffrir que je témoigne que les

1 V. la 34. Lettre de Bossuet et l'Instruction qui la suit.

• Journal de l'abbé Le Dieu, août 1701, publié par nous à la suite des Mémoires; chez Didier (1855).

Bossuet, Lettre 13. au maréchal de Bellefonds; Lettre 20. au même. Extrait d'une Lettre du maréchal de Bellefonds, inséré, avant la 52. Lettra de Bossuet, dans la collection de ses OEuvres complètes.

quatre évêques soient bien avec Sa Sainteté; et que des hommes qui donnent de si grands exemples dans la morale et dans la discipline soient purgés du soupçon d'une méchante doctrine.

Bossuet lui répondit":

« Je réponds, suivant que vous le souhaitez, à la suite de votre lettre, que j'ai reçue aujourd'hui. Si le confesseur qui vous oblige à ne point parler des cinq propositions sans ajouter qu'elles sont dans Jansenius, prétend vous empêcher seulement de dire qu'elles n'y sont pas, il a raison; car vous ne devez pas dire qu'elles n'y sont pas, puisque même ceux qui l'ont soutenu ont reconnu que, par respect pour le jugement ecclésiastique, qui déclare qu'elles y sont, ils étoient tenus au silence. Par la même raison, il ne faut rien dire qui tende à faire voir qu'on doute qu'elles y sont, ou que le jugement du Saint-Siége, qui déclare qu'elles y sont, soit équitable; car ce seroit manquer au respect qui est dû au jugement, l'attaquer indirectement et scandaliser ses frères.

» Que si ce pieux religieux prétend que jamais vous n'osiez nommer les cinq propositions, en disant, par exemple, qu'elles ont fait grand bruit dans l'Église, et autres choses historiques et indifférentes, sans ajouter aussitôt qu'elles sont dans Jansenius, il vous impose un joug que l'Église n'impose pas, puisqu'il n'y a rien, dans ses jugements, qui oblige les laïques à se déclarer positivement sur cette matière. On n'a rien à vous demander quand vous ne direz jamais rien contre le jugement qui décide la question de fait, et que, dans l'occasion, vous direz que vous vous rapportez, sur tout cela, à ce que l'Église ordonne à ses enfants. Vous avez donc bien fait de ne vous engager pas à davantage; car la sincérité ne permet pas de donner des paroles en l'air, surtout dans un sacrement, et il est contre la prudence et contre la liberté chrétienne de se laisser charger, sans nécessité, d'un nouveau fardeau qui pourroit causer des scrupules. Du reste, vous auriez tort de blâmer des évêques qui sont dans la communion du Saint-Siége, et dont la vie est nonseulement irréprochable, mais sainte. Dites, sans hésiter, que vous condamnez ce que l'Eglise condamne, que vous approuvez ce qu'elle approuve, et que vous tolérez ce qu'elle a trouvé à propos

Il s'agit des quatre évêques opposés au formulaire, dont nous avous parlé au livre précédent.

2 Bossuet, Lettre 52.e.

de tolérer. Dites cela quand il le faudra, sans affectation, et quand l'édification du prochain ou quelque occasion considérable le demandera. Persistez à demeurer dans le dessein de garder le silence sur ces matières autant que vous le pourrez, sans trop gêner votre esprit dans la conversation. Qui vous en demandera davantage excède les bornes.

» En voilà assez pour répondre à votre question; du reste, je suis bien aise de vous dire, en peu de mots, mes sentiments sur le fonds. Je crois donc que les propositions sont véritablement dans Jansenius et qu'elles sont l'âme de son livre. Tout ce qu'on m'a dit au contraire me paraît une pure chicane et une chose inventée pour éluder le jugement de l'Église. Quand on a dit qu'on ne devait ni on ne pouvait avoir à ses jugements, sur les points de fait, une croyance pieuse, on a avancé une proposition d'une dangereuse conséquence et contraire à la tradition et à la pratique. Comme, pourtant, la chose était à un point qu'on ne devait pas pousser, à toute rigueur, la signature du formulaire sans causer de grands désordres et sans faire un schisme, l'Église a fait selon la prudence d'accommoder cette affaire et de supporter, par charité et condescendance, les scrupules que de saints évêques et des prêtres, d'ailleurs attachés à l'Église, ont eus sur le fait. Voilà ce que je crois pouvoir établir par des raisons invincibles; mais cette discussion vous est, à mon avis, fort peu nécessaire. Vous pouvez, sans difficulté, dire ma pensée à ceux à qui vous le trouverez à propos, toutefois avec quelque réserve. J'ai appris de l'apôtre à ne point trahir la vérité, et aussi à ne point donner d'occasion de trouble à ceux qui en cherchent. >>

Innocent XI ne fut pas moins favorable à Port-Royal que Clément X, auquel il succéda. Le cardinal d'Estrées, ambassadeur de France à Rome, contribua beaucoup à son élection. On sait que ce cardinal avait été chargé par Clément IX, d'une manière toute particulière, de travailler à la paix, et que, dans le dernier voyage qu'il avait fait à Rome, au commencement du pontificat de Clément X, il avait plaidé la cause de Port-Royal. On lira avec intérêt un extrait de la lettre que lui adressa Arnauld à propos de l'élec

tion d'Innocent XI.

« On ne sauroit, lui dit il 1, être vraiment chrétien sans aimer l'Église, qui est l'épouse de Jésus-Christ; et, pour peu qu'on ait

1 Arnauld, Lettre 193.e au card. d'Estrées.

d'amour pour elle, on ne peut qu'on ne soit touché sensiblement du service que Votre Eminence lui vient de rendre, en travaillant avec tant de succès à lui donner pour chef un si saint pasteur, dont il y a lieu d'attendre tout ce qu'un zèle très sage et une piété très éclairée peuvent apporter de remède aux maux qui la défigurent et aux scandales qui la font gémir. Ce qui augmente cette espérance, est le choix que l'on dit que Sa Sainteté a fait d'un des plus habiles et des plus pieux du sacré collége1 pour l'aider à porter le poids d'une charge si terrible, et pour partager des soins qui se doivent étendre sur toute la terre, et embrasser toutes les nations que Jésus-Christ a acquises par son sang; il n'y a personne, Monseigneur, qui ne bénisse le sacré collége d'avoir fait un si digne choix; mais il y en a peu qui en sachent l'importance, parce qu'il faut être plus éclairé que le commun du monde et plus pénétré de douleur de l'état déplorable où se trouve réduite présentement la religion chrétienne, pour reconnoître à fond l'extrême nécessité qu'a l'Église d'un homme vraiment apostolique, qui soit assis sur la chaire de saint Pierre, afin de pourvoir de là à tous ses besoins, de rallumer le feu d'une véritable et solide piété parmi les catholiques, d'y faire honorer le mérite et la vertu, en ne souffrant pas qu'on la décrie par des accusations sans preuves et des calomnies sans fondement; d'empêcher que les règles des mœurs ne soient corrompues par tant d'opinions licencieuses dont on a flatté, dans ces derniers temps, la cupidité des hommes; d'arrêter le débordement des vices par l'établissement d'une sainte discipline, de bannir du sanctuaire tout ce qui le déshonore, et des ordres religieux tout ce qui les a fait décheoir de leur ancienne pureté; de rappeler à l'unité du corps de Jésus-Christ ceux que le schisme et l'hérésie en a misérablement séparés; et, enfin, de faire annoncer l'Évangile d'une manière digne de Dieu, comme parle saint Paul, aux peuples à qui Jésus-Christ ne s'est pas encore fait connoître ».

Arnauld voyait parfaitement les maux de l'Église, et il espérait que Innocent XI aurait assez de zèle et de vertu pour entreprendre d'y porter remède. Il écrivit à ce pape dans le même sens qu'au cardinal d'Estrées, en lui offrant les derniers volumes de la Perpétuité de la Foi 2. Il écrivit en même temps à son premier

1 C'était le cardinal Cibo.

Arnauld, Lettres 194.e et 195.e à Innocent XI et au cardinal Cibo.

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