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leurs défauts, et on se cache les siens propres. Ainsi l'on passe sa vie à souffrir et à se plaindre pour rien les uns des autres : c'est la foiblesse de notre nature. Dieu, dans une essence très-simple et une seule forme de divinité, enveloppe toutes les essences, toutes les formes et toutes les perfections des créatures. Aussi il ne hait rien de ce qu'il fait; il ne méprise rien, il n'estime rien indigne de sa providence; comme il est tout, il aime tout : Diligis enim omnia, quæ sunt, et nihil odisti eorum quæ fecisti, dit le Sage; mais nous qui sommes bornés à certaines conditions et qualités particulières, il est impossible que nous ne rencontrions d'autres objets qui ont des natures ou des qualités contraires aux nôtres ; et de là vient qu'on se choque, qu'on se résiste, et qu'on vient à perdre la charité les uns pour les autres.

Pourquoi donc, direz-vous, ne sommes-nous pas également tournés à l'équité et à la justice? D'où vient cette contrariété d'humeurs qui cause tant d'impatience? ne valoit-il pas mieux avoir formé sur un même modèle les sentimens et les inclinations des hommes? Non, messieurs, Dieu l'a permis ainsi, et les saints Pères en donnent trois raisons différentes : la première, c'est pour donner de l'exercice à plusieurs vertus chrétiennes; s'il n'y avoit rien à estimer en nos frères, où seroit notre humilité ? s'il n'y avoit rien à excuser, où seroit notre condescendance ? s'ils ne souffroient rien, où seroit notre compassion? si nous n'avions rien à souffrir d'eux, où seroit notre patience? Si tous les hommes étoient parfaits, ils ne

contribueroient pas les uns au salut des autres; si tous les hommes étoient méchans, il n'y auroit entre eux ni union ni intelligence. C'est donc pour notre commune sanctification que Dieu permet ces différences, afin que nous assistions les uns dans leurs foiblesses, que nous imitions les autres dans leurs vertus, et que, si nous ne sommes pas assez parfaits pour souffrir nous-mêmes quelque chose pour JésusChrist, nous ayons au moins la consolation de souffrir quelque chose de lui en la personne de nos frères.

La seconde raison, c'est afin de tenir les hommes dans une espèce d'égalité qui les empêche de se préférer les uns aux autres; qui leur fasse voir qu'ayant eux-mêmes leurs défauts, ils ont besoin de la même grâce qu'on leur demande; et que, chacun se supportant à son tour, il se fasse comme une compensation de charité et de patience.

La troisème raison, c'est afin que nous nous servions comme de miroirs les uns aux autres, et que dans les défauts d'autrui nous nous représentions les nôtres; autrement, dit saint Chrysostôme, nous serions inexcusables, incorrigibles, injustes: inexcusables, si, étant aussi attentifs et aussi éclairés que nous le sommes pour découvrir ce qu'il y a de défectueux dans la personne et dans les actions de nos frères, nous manquons de soin et de lumière pour connoître et pour voir en nous ce que nous haïssons ou que nous méprisons en eux; incorrigibles, si, dans le désir naturel que nous avons tous d'être loués et

d'être aimés, nous ne travaillons en nous à réformer ce que nous ne ressentons que trop n'être ni louable ni estimable dans les autres ; injustes enfin, si, censurant notre prochain, nous prétendons nous exempter de la censure, et si, trouvant des raisons pour lui refuser notre amitié, nous ne croyons pas qu'il en trouvera pour nous priver aussi de la sienne.

Ce n'est donc pas une raison pour s'exempter d'aimer son prochain de dire : Il me déplaît, il m'incommode. A Dieu ne plaise, dit Tertullien, que la patience d'un chrétien, qui doit être à l'épreuve des persécutions et des martyres, cède à ces petites et frivoles tentations; et que la charité, qui doit être forte comme la mort, selon les termes de l'Écriture, succombe et s'éteigne par les petits dégoûts et par les petites afflictions de la vie ! Je dis donc qu'il y a une douceur chrétienne que nous devons exercer sur tous, soit qu'on nous plaise ou qu'on nous déplaise. Je dis chrétienne, qui vienne d'un cœur pur, et d'une foi non feinte, comme parle l'Apôtre; car il y a une modération mondaine, et une honnêteté politique qui lui ressemble. On a ses raisons pour bien vivre avec tout le monde; on se répand au dehors par des démonstrations d'une bienveillance extérieure; on gagne les esprits par des offices affectés, et par des complaisances étudiées plus ou moins, selon qu'on y est plus ou moins intéressé. Il y a un art de se faire des amis à peu de frais, de s'attirer de la considération par celle qu'on paroît avoir pour les autres, d'établir même son repos en ne troublant celui de

personne. On pense que les biens qu'on fait ne sont pas perdus, que ces amitiés officieuses en produisent d'autres. On sème pour recueillir. Ce n'est pas là la charité que Dieu commande, c'est l'honnêteté que le monde conseille à ceux qui le suivent; c'est ménager le prochain, mais ce n'est pas aimer le prochain.

Aimer exprime l'affection du cœur. Ce n'est pas assez de faire du bien, il faut le faire par un motif intérieur d'une sincère bienveillance. Quand j'aurois distribué tous mes biens aux pauvres, si je n'ai la charité, je ne suis rien, dit l'Apôtre. Il faut que ce soit l'amour de Dieu qui règle et allume celui que nous avons pour nos frères, et que ce soit le même amour qui nous lie. Qui croit avoir l'un sans l'autre, est menteur, hic mendax est. Les hommes sont naturellement portés à faire ces distinctions de Dieu et du prochain. Les uns mettent toute leur dévotion à faire de temps en temps quelques aumônes; un peu de tendresse de cœur fait tout le repos de leur conscience; ils croient être remplis de Dieu quand un objet de pitié les touche; ils ne connoissent d'autre mérite que d'être sensibles à des misères que le hasard leur fait connoître. Cependant ils n'honorent point Dieu, ils n'ont ni respect pour ses autels, ni vénération pour ses mystères, ni soumission pour sa foi, ni obéissance pour ses préceptes. Toute leur religion est dans leur main ; et, pourvu qu'ils aient fait une action apparente de charité, ils s'imaginent avoir droit de violer toute la justice; ils séparent Dieu d'avec le prochain, et ils n'aiment ni l'un ni l'autre.

Les autres, au contraire, séparent le prochain d'avec Dieu, et c'est l'erreur et le mensonge ordinaire de la plupart des chrétiens. Nous prétendons aimer Dieu, quelque orgueilleux que nous soyons; il faut bien s'humilier malgré soi devant cette grandeur et cette majesté suprême. Quelque insensibles que nous soyons, nous sommes touchés malgré nous de cette souveraine bonté, dont nous ressentons les effets, et notre conscience nous reprocheroit une si noire ingratitude. Nous avons beau secouer le joug de sa loi et nous affranchir de sa servitude, il se sert de nousmêmes malgré nous; et, nous assujettissant aux indispensables devoirs qu'il impose à ses créatures, il nous fait bien sentir notre dépendance. Qui est-ce qui ne se croit pas obligé de le servir et de l'adorer? et qui ne s'imagine pas qu'il l'aime, qu'il le sert et qu'il l'adore? Mais pour le prochain, à qui nous ne croyons pas être obligés, nous le regardons, ou audessous de nous par notre orgueil, ou au-dessus de nous par notre envie, ou hors de nous par notre indifférence, ou contre nous par notre haine. Nous en faisons le sujet de nos mépris, la matière de nos médisances, et la victime de notre amour - propre. Détrompons-nous, messieurs, quand nous exhalerions notre âme en soupirs, en larmes, en voeux, en prières; quand notre cœur seroit attendri, ému, enflammé, en vain nous flatterions-nous d'aimer Dieu, si nous ne cessons de hair nos frères.

Je ne les hais pas, direz-vous, mais je ne puis aimer que ceux qui m'aiment. Je pourrois vous répon

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