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vent employée pour donner du crédit à l'imposture, et pour servir à l'ambition qu'elle condamne. Qui ne sait qu'il y a un art de s'approcher des dignités en faisant semblant de s'en éloigner, de couvrir l'esprit du monde sous des apparences trompeuses de piété et sous un air extérieur de réforme, afin d'arriver plus facilement au but qu'on s'est proposé, et de surprendre l'approbation des hommes, en leur faisant accroire qu'on a déjà celle de Dieu ? ce qui est le comble de l'impiété. Après cela, messieurs, regarderez-vous ce péché comme pardonnable, comme honnête? Comment l'accommoderez-vous avec les règles de l'Évangile ? quelle couleur donnez-vous à tous les excès où il porte ceux qui s'y abandonnent?

Je n'ai pas de ces grandes ambitions, direz-vous; il me suffit de monter de quelques degrés; je ne suis pas encore au rang où je puis raisonnablement prétendre, et j'y veux arriver sans faire tous ces grands crimes. Tirez-moi de cette ennuyeuse médiocrité où je suis, et je vous quitte de tous les empires du monde. Vous ne connoissez donc pour ambitieux que ces faiseurs de grands desseins qui n'imaginent rien que de vaste, qui voudroient forcer la nature et les élémens, et qui, chargés de couronnes usurpées et portées par l'ardeur de vaincre jusqu'aux extrémités de la terre, demandent s'il n'y a point d'autres mondes à conquérir. Vous pardonnez l'ambition, si elle n'allume des guerres civiles ou étrangères, si elle ne fait couler des rivières de sang, et si elle ne porte le fer et le feu partout où elle passe. Vous vous

trompez; il n'y a pas de petit orgueil; il est égal partout, quoique les objets soient différens, et que la fortune des orgueilleux ne soit pas égale. Vous ne voulez monter qu'un degré, vous en voudrez monter un autre; et, la cupidité croissant à mesure que vous croirez l'avoir satisfaite, vous voudrez vous pousser aussi loin que l'on peut aller. Croyezmoi : : chacun, prévenu de l'amour et de l'estime qu'il a pour lui-même, se croit toujours digne d'un plus haut rang à mesure qu'il en approche; et donnezmoi le plus petit orgueilleux du monde, s'il n'a soin de se modérer, il se fera souverain, s'il peut. Mais quand vous donneriez de justes bornes à vos désirs, les moyens que vous prendrez seront-ils toujours légitimes? Vous ne feriez peut-être pas un meurtre; mais ne hasarderiez-vous pas une médisance pour décréditer un de vos concurrens ? Vous n'exciteriez pas une révolte; mais ne rompriez-vous pas avec votre meilleur ami, s'il se trouvoit contraire à vos intérêts? Vous ne vous porteriez pas aux dernières violences pour empêcher qu'on ne pût vous nuire ; mais ne dissimuleriez-vous pas une vérité; ne rendriez-vous pas un mauvais office, ne corrompriez-vous pas un juge, s'il convenoit à votre fortune et à vos affaires? Mais je veux que vous ayez bonne intention, et que vous prétendiez peu de chose; si vous avez autant d'ardeur, d'empressement et d'inquiétude qu'un autre en a pour les grandes, vous êtes d'autant plus coupables, que l'intérêt qui vous anime est plus léger. D'où je conclus que l'ambition est ab

solument contraire aux règles de l'Évangile. Il me reste à vous montrer qu'elle est encore contraire à tous les ordres de la providence de Dieu.

DEUXIÈME POINT.

UN des principaux désordres que produit l'ambition dans le cœur de l'homme, c'est de le mettre en inquiétude perpétuelle, de lui faire mépriser ce qu'il a, pour chercher ce qu'il n'a pas, et de le dégoûter presque toujours de l'état où il se trouve, pour lui en faire souhaiter un autre plus commode ou plus honorable; en quoi il déplaît à Dieu et pèche contre sa providence, suivant cette parole du prophète Dilexit movere pedes suos, et non quievit, et Domino non placuit: Il s'est agité, il a voulu quitter la condition où il étoit, et il a déplu au Seigneur. Car, messieurs, chacun de nous se doit considérer, ou comme un homme que Dieu conduit à ses fins en particulier, ou comme une partie de la société qui, se trouvant mêlée dans le commerce du monde, peut servir à l'exécution des desseins de la Providence. Ainsi il faut regarder tout ce qui nous arrive, ou comme nécessaire pour nous, ou comme utile pour l'ordre de l'univers, et ne point sortir de la ligne que la main de Dieu nous a tracée, puisqu'elle aboutit ou à notre salut ou à sa gloire. Or il est certain que lorsque nous désirons de sortir de l'état où il nous a mis par notre seule vanité, nous entreprenons de confondre cet ordre ; comme si nous avions plus de bonté et plus de sa

gesse que lui; comme s'il devoit interrompre le cours de ses volontés pour les régler sur nos caprices; comme s'il devoit réformer ses décrets éternels pour les ajuster à nos intérêts, et créer un nouveau monde pour nous y donner le rang et la situation que nous y voudrions pour notre fortune!

Non, non, mon Dieu, il n'est pas juste que vous accommodiez vos desseins à nos passions; c'est à nous à soumettre nos passions à vos desseins. Bien loin de pervertir votre volonté, qui est sainte, redressez la nôtre, qui est dépravée; retenez-nous par votre grâce où votre providence nous souhaite, et accompli-sez en nous votre volonté même malgré nous. Cette volonté, qui doit être une source de paix pour les âmes humbles, est un joug insupportable pour les superbes, parce qu'elle force leurs inclinations et qu'elle contraint leurs désirs; de là vient que, sans regarder ce que Dieu veut ou ne veut pas, on pense toujours à se contenter, et l'on ne pense pas à suivre ses ordres; on vient à croire qu'il ne nous a pas mis en notre place; on veut se donner le rang qu'on croit mériter; on se scandalise des jugemens de Dieu; sa conduite devient à charge, et l'on tâche d'échapper à sa providence. Il faut donc donner à ses désirs les bornes qui leur sont prescrites, et nous en tenir à notre état pour nous y perfectionner, sans en désirer de plus élevé.

Je sais bien que ce n'est pas en vain que Dieu distribue ses dons; qu'il y peut avoir une louable émulation de s'employer pour le bien du prochain; et

que celui qui souhaiteroit une dignité proportionnée à son esprit et à sa naissance, qu'il seroit capable d'exercer pour le bien de l'état et de l'Église; qui ne se serviroit que de moyens honnêtes et justes pour l'obtenir; qui n'auroit en vue que de s'occuper par charité et non pas de dominer avec empire, et qui souhaiteroit sans empressement et sans inquiétude, et n'omettroit aucun de ses devoirs pour satisfaire sa prétention; celui-là, dis-je, ne seroit ni injuste ni ambitieux; et quand il parviendroit au rang où il auroit désiré de monter, on pourroit croire vraisemblablement que Dieu l'y auroit destiné. Mais, outre qu'il est difficile de trouver ces dispositions, il est à craindre qu'il n'y entre insensiblement un peu de présomption, de distinction et de préférence, et qu'on n'aille un peu au-delà des limites que la charité, la justice, et la loi de Dieu ont marquées. Ainsi l'homme sage ne s'élève point dans ses pensées, et, connoissant que ses passions le peuvent rendre malheureux en quelque état qu'il soit, et que sa cupidité se déborderoit davantage si elle avoit plus de moyen de se satisfaire, dans l'incertitude où il est si ce seroit un bien ou un mal pour lui, il conclut à se tenir dans la place où il se trouve.

Pour réduire cette matière en son ordre, remarquez, messieurs, que, selon la doctrine de saint Thomas, pour être légitimement dans les charges et dans les emplois, il y a trois conditions nécessaires la vocation de Dieu, la proportion et la mesure de l'honneur et du mérite de la personne qui

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