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ses affections; il ne lui préfère que l'Être Suprême, au culte duquel il s'est dévoué; mais ses premières prières sont pour celle qui l'a porté dans son sein, qui l'a nourri de son lait, et qui par ses exemples lui montra qu'il faut d'abord sur la terre obéir à la voix de la nature et de la divinité, en aimant notre prochain comme nousmêmes. Son oncle fut toujours pour lui le modèle qu'il cherchoit à imiter: il le voyoit toujours à ses côtés, même lorsqu'il se trouvoit à deux cents lieues de séparation; ne lui devoit-il pas une seconde vie bien plus intéressante pour Jui que le simple bienfait de l'existence? Ne l'avoit-il pas initié dans le sanctuaire des muses? ne lui avoit-il pas inspiré ce goût pour les beauxarts, cet amour du beau, cette avidité de s'instruire qui le portèrent au faite des honneurs? Point de reconnoissance, point d'ingratitude! ces termes n'appartiennent point au langage du sentiment; l'une suppose presque toujours un esprit de calcul, l'autre annonce toujours une âme de boue. Loin de notre jeune orateur de semblables pensées! il apprend que le vénérable patriarche de la doctrine chrétienne est malade à Paris, que le danger est imminent. Une seule idée occupe Fléchier; il veut recueillir les derniers soupirs de son oncle, recevoir ses dernières instructions, et fermer les yeux de l'homme qui

a si long-temps veillé sur sa conduite et son instruction il abandonne tout; il part comme un éclair de Narbonne. Mais la Providence ne voulut point lui accorder cette satisfaction; il arrive, il se présente; hélas ! son oncle n'est plus, il avoit terminé sa brillante et pieuse carrière; il avoit été long-temps le chef et le flambeau de cette société célèbre qui, plus modeste et moins ambitieuse que celle dont les temps ont fait justice, remplit sans orgueil, mais non sans succès, la tâche difficile dont on l'avoit chargée.

Mais si ce voyage ne fut pas heureux pour Fléchier, combien la république des lettres eut à s'applaudir de sa généreuse résolution! Ce fut à Paris qu'il entendit les Bossuet, les Fénelon, les Bourdaloue; ce fut là qu'il put étudier avec plus de succès encore les écrits de ces génies supérieurs, dont les talens jetèrent un si grand éclat sur toute la France, éclat dont les rayons se réfléchissoient sur le trône de Louis. Dans sou enthousiasme, il résolut de les suivre et de les imiter, mais de la manière que les grands hommes imitent les grands hommes, sans jamais cesser d'être eux-mêmes. Bossuet étonnoit ses auditeurs par la profondeur de ses pensées, l'élévation de ses maximes, le grandiose de ses aperçus, et la connoissance exacte de l'histoire de l'univers. Fénelon, par ce charme que donne

au langage une exquise sensibilité qui porte la conviction dans l'âme sans l'ébranler, qui pénètre insensiblement comme une eau douce et bienfaisante et s'insinuant dans le centre de la terre pour y développer, de concert avec la chaleur, tous les germes de productions utiles et nécessaires, s'ouvre un chemin à travers les replis du cœur, l'échauffe, l'émeut, le touche et l'oblige à ne pas examiner, mais à croire celui dont les paroles l'affectent d'une manière si délicieuse. Bourdaloue par la force de ses argumens, l'enchainement de ses preuves, la puissance de sa logique, tonne, éclate et triomphe; mais il n'est pas donné à tout le monde de marcher avec lui, de le saisir, de le comprendre ou de l'apprécier. Fléchier voulut réunir à ces moyens si forts par eux-mêmes tous les charmes de l'élocution; il résolut de plier à sa volonté cette langue sourde, souvent gutturale, hérissée de monosyllabes et de locutions peu nombreuses; et si quelquefois on aperçoit l'art dans ses écrits, que l'on songe un moment aux travaux qu'il eut à soutenir pour triompher de tous les obstacles. Il réussit donc, et tout Paris accourut entendre un orateur qui, pour arriver jusqu'à l'âme, charmoit les oreilles. Ce n'est pas un des moindres services que Fléchier ait rendus à sa patrie; ce n'est pas un torrent qui, tombant du haut

des montagnes, renverse tout, entraîne tout dans son cours impétueux, mais qui souvent ravage les contrées à travers lesquelles il passe; c'est un fleuve majestueux qui promène lentement ses eaux à travers une campagne agréable dont il augmente la fécondité. Mais revenons à l'homme que l'orateur nous a fait un instant oublier.

Fils docile, neveu reconnoissant, oublia-t-il les devoirs que lui prescrivoient d'autres liens aussi sacrés? Ni la grandeur, ni les prestiges de la cour, ni ses travaux multipliés ne purent l'empêcher de jeter ses regards sur les autres membres de sa famille : il avoit un frère, il avoit des sœurs nés comme lui dans l'obscurité; rougira-t-il de les reconnoître, de les aimer, de leur tendre une main secourable? C'est dans ces circonstances critiques, où souvent l'amour-propre joue le premier rôle, qu'il est difficile d'être homme tout entier. Non, Fléchier n'imite point ces stupides idoles de la fortune, dont parle La Bruyère, qui dans leurs riches palais, dans leurs magnifiques maisons de plaisance rougissoient de recevoir ceux qui leur étoient unis par les liens du sang. Ici se présente à mon esprit une réflexion peut-être neuve, car je ne l'ai pas encore vue enregistrée dans les annales de l'humanité. L'homme que l'intrigue, l'ambition,

l'astuce, la mauvaise foi, et peut-être la seule
fortune ou le hasard ont tiré des rangs obscurs
de la société pour le porter aux premiers em-
plois, aux premières charges de l'État, se croit
le plus habile des êtres; et, sous le poids des ri-
chesses qu'il ne peut honorablement porter, s'il
jette un regard derrière lui, croyez-vous qu'il se
replie sur lui-même? il est trop ignorant pour
éprouver un pareil sentiment; il s'étonne, il
frémit de se voir sorti d'une source presque in-
connue; ses cheveux se dressent sur sa tête quand
il aperçoit dans ses antichambres un père, une
mère, un frère, une sœur, un parent; une froide
sueur coule de tout son corps; il voudroit savoir
tous les membres de sa famille relégués aux ex-
trémités de la terre, et souvent l'amour-propre
et la vanité se réunissent pour lui suggérer des
vœux plus atroces et plus criminels. Mais qu'un
savant, qu'un homme de lettres, qu'un grand
artiste s'élève par ses talens et ses connoissances,
qu'il dépasse le cercle qu'avoit autour de lui tracé
sa naissance, qu'il triomphe de ces gothiques
préjugés, qui n'accordoient les grands honneurs
et les premières places qu'à la seule classe favo-
risée
par l'illustration de quelques ancêtres, tout
le monde sera jaloux de lui, mais il ne sera ja-
Joux de personne. Quoiqu'il soit intimement con-
vaincu de la supériorité de ses forces, il ne fran-

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