Obrazy na stronie
PDF
ePub
[ocr errors]

on lui accorda l'un et l'autre, à condition que l'on ne produirait point les signes extérieurs du catholicisme et que l'on ne chanterait point. Elle entra en bel ordre dans la ville, d'une manière dévote et très-édifiante jusqu'à une place publique, où il fallut se séparer pour prendre des billets de logement que les pèlerins payaient.

La maison où logea celui qui portait l'étendard fut, toute la nuit, remplie de monde; chacun voulait voir ce précieux et sacré étendard qui était d'une très-belle et très-riche broderie, et qui représentait la Passion de Jésus-Christ d'une manière si vive et si touchante qu'il n'était pas possible de le contempler sans se sentir ému de dévotion et de piété. Ce fut un spectacle admirable de voir les protestants qui se jetaient en foule à genoux, et se prosternaient en terre, les larmes aux yeux, pour le révérer; ils en approchaient pour le baiser avec autant de respect et autant de componction de cœur que l'eussent pu faire de vrais catholiques.

Il n'y a que Dieu qui puisse savoir les bons effets que produisirent dans leurs âmes le zèle et la dévotion des catholiques, dont les mouvements se communiquèrent si bien au cœur du peuple de Genève, qu'on y vit souvent des gens qui pleuraient, d'autres qui se frappaient la poitrine, et s'écriaient que les catholiques étaient bienheureux d'avoir de si touchantes cérémonies. Les ministres s'inquiétèrent de ces élans de la foule; ils remontrèrent aux magistrats que si l'on continuait à laisser entrer dans Genève ces processions, elles feraient sur l'esprit du peuple des impressions qu'on aurait bien de la peine à effacer. Et dès lors on refusa le passage à celles qui le demandèrent '.

Les processions n'en continuaient pas moins de couvrir tous les chemins qui conduisaient à Thonon : à la porte de cette ville elles y trouvaient pour les recevoir la procession des Pénitents bleus de Notre-Dame de Compassion qui les

1 L'abbé de Baudry, Relation abrégée, etc., tome II, pages 390 et suiv.

conduisait à l'église, où une centaine de confesseurs qui siégeaient au saint tribunal dès le matin jusqu'à une heure trèsavancée de la nuit se tenaient toujours prêts à entendre les pèlerins. Les instructions étaient données par seize prédicateurs, et elles étaient faites quatre fois le jour, et plus, selon le besoin.

On comprend que des manifestations aussi éclatantes du zèle catholique ne pouvaient être vues de bon œil par les calvinistes. Les Genevois et les Bernois essayèrent tous les moyens possibles d'arrêter ou d'entraver ce mouvement, soit en employant l'arme de la raillerie et des injures, comme ils firent en affichant de toutes parts un écrit impie et calomnieux où le Jubilé était tourné en ridicule; soit en voulant affamer toute cette immense population concentrée dans Thonon, par la défense qu'ils publièrent d'y transporter des vivres; soit mème, assure-t-on, par la peste, car ils firent jeter dans la ville et ses environs des matières propres à corrompre l'air et répandre l'infection. Mais la sagesse et la prudence du gouverneur et du duc de Savoie avaient pourvu à tout. Par les soins du premier, la ville avait été parfaitement approvisionnée de tout ce qui est nécessaire à la vie; et par les ordres du second des vivres étaient abondamment distribués aux pauvres et aux pèlerins. En outre, pour éviter toute surprise de la part des ennemis du dehors, le gouverneur avait fait mettre des corpsde-garde aux portes de la ville, dans toutes les places publiques, sur le port du lac, et devant l'église de Notre-Dame de Compassion; et outre les sentinelles avancées, il en fit placer dans les clochers et sur le haut des tours, pour découvrir la nuit ce qui se passait sur le lac et sur le chemin de Genève. Grâce à toutes ces précautions, les exercices du Jubilé purent se produire en paix et avec un succès presque incroyable. Plus de six cents hérétiques venus de divers pays et six ministres abjurèrent l'hérésie; des religieux apostats eurent le bonheur de se reconnaitre et de rentrer dans leur profession; les prières de l'Eglise délivrèrent un grand nombre de pos

sédés; on vit s'opérer des réconciliations entre des ennemis. dont plusieurs couvaient depuis longtemps dans leur cœur des projets homicides; il se fit de nombreuses restitutions de biens ou d'argent mal acquis; les soldats de la garnison semblaient vouloir rivaliser de zèle avec les missionnaires dont ils secondaient par leurs prières et leurs discours les infatigables travaux pour la conversion de l'hérésie, de l'impiété, et du vice; les noms de quatre-vingt-mille étrangers s'ajoutèrent à la confrérie de Notre-Dame de Compassion, et l'église de Thonon vit jusqu'à cent-soixante-deux mille communions'.

Si le Jubilé atteignit de si magnifiques résultats, c'est qu'il plut à la Providence d'y manifester visiblement à diverses fois sa miséricordieuse protection. La fille dangereusement malade d'un gentilhomme, ayant obtenu de sa mère, à force de sollicitations, de se faire transporter à Thonon pour participer aux grâces qui s'y conféraient, fut subitement guérie au moment de son entrée dans la ville. Une barque qui portait quatre-vingt-six pèlerins, ayant été assaillie par une horrible tempête, les pèlerins qui, toute une nuit, avaient lutte contre la fureur des vagues, n'attendaient plus que la mort : la pensée leur vient de faire un vœu à Notre-Dame de Compassion, et ils touchent aussitôt le rivage. A peine les pieux voyageurs ont-ils mis pied à terre que la barque s'ouvre et s'engloutit, comme pour constater que ces hommes devaient leur salut à l'auguste Marie. Un incrédule qui faisait des saintes solennités du Jubilé la matière de ses railleries en causant avec deux autres personnes est frappé par la foudre, tandis que ces deux dernières restent saines et sauves. Un particulier, qui s'opposait à l'établissement de la Sainte-Maison de Thonon, voit sa raison s'affaiblir au point de faire craindre qu'il n'en perde complètement l'usage; mais il confesse et répare sa faute par un sincère et profond repentir, et il est aussitôt guéri2.

1 Le père Constantin de Magny, Vie de Claude de Granier.

2 Idem, ibid.; et Lettre de Mgr de Granier au Pape.

α

Les fruits que la Savoie, la Bourgogne, le Dauphiné, la Suisse et les autres provinces voisines ont retirés de ce Jubilé, écrivait l'évêque de Genève au Pape 1, sont si grands que je ne puis les exprimer. Je puis assurer une chose, c'est que tous ceux qui sont venus à Thonon ont avoué que ce Jubilé a été un miracle continuel depuis son commencement jusqu'à sa fin. »

Les offrandes faites à l'église de Thonon s'élevèrent à plus de vingt mille écus d'or 2. Prélèvement fait sur cette somme des dépenses du Jubilé qui restaient à payer, on employa environ dix mille écus d'or à racheter de la ville de Fribourg les biens-fonds du prieuré de Saint-Hippolyte, que les syndics de Thonon lui avaient hypothéqués; une autre somme considérable fut réservée pour payer le prix de divers biens ecclésiastiques vendus par les Bernois dans plusieurs paroisses du Chablais, et dont on recouvra ainsi la possession. Le reste fut donné à des négociants pour le faire valoir au profit de la Sainte-Maison 3.

Trois semaines environ s'étaient écoulées pendant que Claude de Granier s'appliquait ainsi à régler les affaires et les intérêts de la religion dans le Chablais, lorsque, le 15 août, il fut attaqué d'une dyssenterie accompagnée de fâcheux symptômes. Le prélat, comprenant dès les premiers moments toute la gravité de son mal, annonça qu'il n'en guérirait pas et se fit apporter le saint Viatique. Il voulut ensuite être transporté dans le château de Polinge, qui appartenait à l'abbé François de Chissé, son vicaire général et son ne veu. Ne s'occupant plus que de son éternité, il se fit donner une seconde fois le saint Viatique, puis reçut avec la plus grande ferveur l'ExtrêmeOnction, et il termina ainsi saintement sa vie le 17 septembre. Il n'avait pas eu à prendre soin d'écrire un testament, car il

1 Lettre du 14 août 1602.

2 Formant environ soixante-treize mille six cents francs de notre monnaie. L'abbé de Baudry, Relation abrégée, etc., tome II, page 401; le père Fidèle de Talissieux, Missions des Capucins, liv. IV, page 82.

TOME II.

ne se trouva, après son décès, que six sous dans sa maison, et le prix qu'on retira de la vente de ses meubles, de ses livres, et des ornements de sa chapelle, fut au plus suffisant pour payer ses dettes. On transporta son corps à Annecy, où il fut enseveli dans l'église de Saint-François d'Assise 1.

CHAPITRE X

Lettres de François à Henri IV pour le rétablissement de la religion dans le pays de Gex. Sa lettre aux Filles-Dieu de Paris.

François de Sales, revenant de Paris, se trouvait à Lyon lorsqu'il apprit la mort de son évêque. Dans cette douloureuse circonstance, et à la vue du pesant fardeau dont il allait se charger, le saint coadjuteur, selon sa coutume, recourut à l'auteur de toutes grâces, et son premier sentiment fut celui d'un dévouement absolu de son âme, de son cœur, de toute sa vie au service de Dieu et des âmes dont le soin lui était désormais confié. Cet acte d'un parfait sacrifice de tout son être pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, il l'accomplit avec une énergie et une ferveur si grande qu'il en conserva tout le reste de ses jours le sentiment aussi vif, aussi ardent qu'au moment même où il le faisait. Mais la frayeur qu'il ressentait en réfléchissant à la responsabilité attachée à la dignité épiscopale était tempérée par une solide confiance en la suave miséricorde du Sauveur des hommes: «Mon élévation, disait-il, n'est pas mon ouvrage, c'est celui de la Providence; aussi j'en ai déposé toutes les charges entre les mains de Dieu. Je suis l'évêque de sa paternelle bonté et de la soigneuse charité de mes amis. Cette pensée me rend le fardeau plus léger, comme elle m'oblige aussi à rendre à Dieu et au prochain amour pour amour et zèle pour zèle 2.»

1 L'abbé de Baudry, Manuscrits.

Déposition de sainte Chantal, art. XXVII; Année de la Visitation. 18 septembre.

« PoprzedniaDalej »