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voilà de beaux saints et qui vont en paradis bien à leur aise ! -Hélas! monsieur, repart l'évèque, ceux de Genève qui retiennent le bien de mon évèché, m'ont coupé l'herbe si courte que c'est tout ce que je puis faire de vivre petitement et pauvrement de ce qui me reste. Je n'eus jamais de carrosse à moi ni le moyen d'en avoir; et celui qui me sert appartient à Sa Majesté, qui a mis des voitures de sa cour à la disposition de ceux qui, comme moi, accompagnent le cardinal prince de Savoie. Vous le pouvez connoître aux livrées du roi que porte celui qui le conduit. Vraiment, reprend le protestant, vous ètes donc pauvre ? Je ne me plains point de la pauvreté, dit encore François, puisque j'ai suffisamment ce qu'il me faut pour vivre honnêtement et sans superfluité; et quand j'en sentirois les incommodités, j'aurois tort de me plaindre d'une position que Jésus-Christ a choisie pour son partage, vivant et mourant dans les bras de la pauvreté... Tout ceci contenta de telle sorte ce protestant, et adoucit de telle façon son esprit farouche, qu'il lui protesta de l'avoir désormais en estime, et qu'il se retiroit avec beaucoup de satisfaction. J'oubliois à vous dire, mes Sœurs ', que notre bienheureux père m'avoit marqué une circonstance, qui fut qu'à cet abord si extravagant de ce personnage, il regarda autour de soi si quelqu'un des siens, qui avoit l'humeur assez prompte, n'y étoit point; et voyant que non, il dit en soi-même : Nous voilà assez fort, un tel n'y est pas, il auroit de la peine à boire le calice que nous allons avaler. Car il s'attendoit, à un tel commencement, d'une suite beaucoup plus insolente mais il arriva, selon le mot du Sage que la douce parole rompoit la colère ; cet homme faisant comme l'abeille qui reste toute étourdie quand elle a laissé son aiguillon dans la plaie. Il est probable que si celui dont il redoutoit la présence s'y fust trouvé, il eust laissé échapper quelque parole vive qui eust tout

'Les Filles de la Visitation, à qui l'évêque de Belley a dédié son livre.

2 PROVERB., XV, 1.

gåté, et nous eust ravi ce grand exemple de modération et de douceur, de prudence, d'adresse, de modestie, d'humilité, de discrétion, capable d'apprivoiser un tigre. »

Mais rien de plus injuste que le reproche fait au prélat d'user d'un carrosse; il ne s'en servait que dans les occasions solennelles où les lois de l'étiquette l'y contraignaient, et il s'était fait une règle inviolable de se rendre à pied partout où la charité réclamait ses offices, malgré les remontrances réitérées de ses amis et de ses serviteurs qui redoutaient pour lui les suites de ces énormes fatigues de tout genre. La pluie et les orages ne pouvaient rien contre cette habitude, et il acceptait gaiement ces incommodités, comme si elles avaient fait partie des devoirs de sa charge. Un jour qu'il revenait de faire une exhortation aux religieuses de la Visitation, il s'en retourna sous une pluie battante et par des chemins fort boueux. Un abbé de sa suite eut un mouvement d'impatience « Vraiment, murmura-t-il, il fait beau nous aller crotter de la sorte, et nous faire trotter comme des procureurs avec un temps pareil ! » Il n'avait point parlé si bas que l'évèque ne l'eût entendu. Il sourit, et voulant donner au plaignant une petite leçon de patience et de modestie : « Voyezvous? dit-il en s'adressant à son voisin, monsieur l'abbé a encore un peu de vanité. »

On remarqua le grand nombre de dames qui s'empressaient de venir trouver le saint apôtre pour lui exposer les difficultés de leur conscience et recourir à ses lumières. Il les écoutait avec sa charité infatigable, et il répondait à leurs demandes avec brièveté, simplicité et clarté. Comme il se trouve des censeurs partout, il y en eut un qui crut devoir le blåmer à ce sujet, en déclarant qu'il ne comprenait pas pourquoi les femmes allaient tant après lui qui ne leur disait pas grand'chose. «Eh! répondit le saint prélat en souriant, appelezvous donc rien de leur laisser tout dire? Elles ont plus besoin qu'on ait des oreilles pour les entendre qu'une langue pour leur parler. Elles en disent assez pour elles et pour moi, et

c'est sans doute cette facilité à les écouter qui me vaut tant de visites; car à un grand parleur rien n'agrée tant qu'un patient auditeur. »

On sait, du reste, quelle circonspection il apportait dans les rapports que son ministère l'obligeait d'avoir avec les personnes du sexe. Il s'était fait une loi rigoureuse de ne les jamais recevoir qu'en présence de témoins, et il disait à la mère de Chantal qu'il n'avait jamais envisagé une personne de façon à discerner les traits de sa physionomie, de sorte que lorsqu'elle s'était éloignée, il n'eût su dire comment son visage était fait 1. Cette confidence du saint prélat nous explique ce mot rapporté par l'évêque de Belley. Une dame venait de le quitter, et l'on parlait d'elle devant lui comme d'une personne célèbre par sa beauté : « J'ignore, dit-il, ce qui en est. - Mais, lui répliqua-t-on, elle ne fait que de vous quitter, et vous l'avez vue souvent. Il est vrai, répondit François, que je l'ai vue et lui ai parlé beaucoup de fois, mais je ne l'ai pas encore regardée 2. »

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Un jour un grand nombre de dames l'ayant environné, au sortir d'un sermon, mettaient un tel empressement à recevoir ses explications qu'elles parlaient toutes à la fois, et le saint évêque ne savait à laquelle entendre: « Mesdames, leur dit François d'un air gracieux, je répondrai à toutes vos questions pourvu qu'il vous plaise répondre à la mienne. En une compagnie où tout le monde parle et nul n'écoute, à votre avis, qu'est-ce que l'on y dit? » Toutes se turent aussitôt, et s'en allèrent, avec l'intention de revenir le consulter lorsqu'elles le sauraient moins empêché 3.

L'Année sainte de la Visitation nous a conservé un autre trait à peu près semblable. Le 11 juin 1619, y est-il dit, Mmo la comtesse de Saint-Paul, dont la vertu et la haute piété s'est

'Déposition de sainte Chantal, art. 29.

2 L'Esprit de saint François de Sales, part. VII, sect. 23. 3 Ibid., part. III, sect. 13; part. VII, sect. 4.

rendue si signalée en France, s'étant confessée et communiée de sa main, le supplia de donner l'après-dîner une petite conférence spirituelle dans l'église des Sœurs de la Visitation à quelques dames, d'autant que saint Barnabé était un saint auquel elle avait une particulière dévotion. Le saint prélat y consentit quoiqu'il n'eût point de préparation ni de loisir pour cela, et même il avait un petit engagement de piété ailleurs, où il envoya s'excuser, et sur les deux heures de l'après-midi, se rendit au lieu de l'assignation, fit un discours très-saint et très-utile sur la vie de saint Barnabé; lequel il termina par ces points qui furent mis par écrit par la très-vertueuse mère Anne-Catherine de Beaumont : « qu'il ne faut point s'attacher à sa propre opinion; qu'il ne faut point que les créatures faibles s'étonnent de leurs chutes, parce qu'elles doivent savoir que la faiblesse est faible et la misère est misérable, mais qu'il se faut relever promptement et rendre nos chutes moins fréquentes qu'il se pourra; et en troisième lieu, qu'il faut grandement révérer la miséricorde divine, qui sait tirer sa gloire et notre bien de notre abjection et de nos maux. » Après que le saint prélat eut fini son exhortation, plusieurs de ces dames lui proposèrent leurs difficultés et leurs doutes, et le Saint, comme un autre Jérôme au milieu des dames romaines, éclaircissait et résolvait leurs questions. Il arriva dans la ferveur de l'entretien sur certains points que toutes les dames parlèrent à la fois. Le bienheureux et tranquille pasteur leur dit avec une douceur admirable et très-agréable: « Mesdames, à laquelle vous plait-il que je réponde la première, puisque vous avez parlé toutes ensemble?» A cette amiable correction toutes se turent si respectueusement que personne n'osait interroger le saint homme de Dieu, qui, avec un sourire gracieux, reprit par ordre le discours et les questions que ces chères Philothées lui avaient faites avec un peu de confusion et d'empressement. Il les satisfit l'une après l'autre avec tant de piété et de sagesse que Mme la duchesse de Vendôme dit à la mère supérieure en se retirant du parloir:

En vérité, ma mère, il y a ici plus que Salomon. » Mme la comtesse de Saint-Paul resta avec le saint prélat dans une conférence particulière; elle s'était pourvue d'une écritoire, de papier et d'une plume pour prendre par écrit les avis de ce saint directeur, craignant, disait-elle, que sa mémoire manquant de fidélité ne lui fit perdre quelqu'une des sentences et des paroles pleines de grâce qui sortaient perpétuellement de la bouche de ce juste 1.

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D

CHAPITRE XIII

Les rapports de saint François de Sales avec saint Vincent de Paul. Maladie occasionnée par l'excès des fatigues. Il refuse la coadjutorerie de Paris. Son retour à Annecy, et nomination de son frère Jean-François à la dignité de coadjuteur de l'évêque de Genève. Constitutions des Ermites du mont Voiron. François, après avoir refusé de nouveau le siége de Paris avec le cardinalat, refuse l'archevêché de Turin. Il initie son frère à toutes les fonctions du ministère épiscopal. Installation des Bernardines réformées à Rumilly, et translation des reliques de Saint-Germain à l'abbaye de Talloires. Education de CharlesAuguste de Sales.

Au nombre des personnages éminents avec lesquels François se lia étroitement à Paris, étaient André Duval, doyen de la faculté de théologie et supérieur général des Carmélites de France; le père Suffren, jésuite, confesseur de Louis XIII et de Marie de Médicis ; le père Bourdoise, fondateur de la communauté de Saint-Nicolas du Chardonnet, et surtout saint Vincent de Paul. Vincent disait que la douceur, la majesté, la modestie et tout l'extérieur de l'évêque de Genève lui re

1 Année sainte de la Visitation, 11 juin.

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