Obrazy na stronie
PDF
ePub

absurde et puéril, dans le poème de Milton, le péril où il met les anges, et leur combat contre les démons.

Les deux magies rapprochent un peu plus le merveilleux de la religion de celui de la fable, en donnant aux deux puissances, infernale et céleste, des ministres passionnés, et dont il semble qu'on peut animer et varier les caractères : mais les magiciens eux-mêmes sont décidés bons ou méchants, par cela seul que le ciel, ou que l'enfer les seconde; et il n'est guère possible de les peindre que de l'une de ces deux couleurs. Les premiers poètes qui, avec succès, ont em ́ployé cette machine, en doivent donc avoir usé tous les ressorts.

Quelle comparaison avec un système religieux, où non-seulement les passions, les vertus, les talents, les arts, le génie, toute la nature intellectuelle et morale, mais les éléments, les saisons, tous les grands phénomènes de la nature physique, toutes ses grandes productions avaient leurs dieux, plus ou moins dépendants, mais assez libres pour agir, chacun, selon leur caractère !

Cet avantage des anciens sur les modernes est élégamment exprimé dans le poème de l'AntiLucrèce.

O utinam, dum te regionibus infero sacris,
Arentem in campum liceat deducere fontes
Castalios, versis læta in viridaria dumis;
Élém. de Littér. III.

17

Ac tolam in nostros Aganippida fundere versus !
Non mihi, quæ vestro quondam facundia vati,
Nec tam dulce melos, nec par est gratia cantus.
Reddidit ille sua Graiorum somnia lingua ;
Nostra peregrinæ mandamus sacra loquelæ.
Ille voluptatem et veneres, charitumque choreas
Carmine concelebrat; nos veri dogma severum:
Triste sonant pulsæ nostra testudine chorda.
Olli suppeditat dives natura leporis

Quidquid habet, lætos submittens prodiga flores....
AEneadum genitrix felicibus imperat arvis,

Aeriasque plagas recreat, pelagusque profondum.

Quant aux personnages allégoriques, il faut renoncer à en faire jamais la machine d'un poème sérieux, On pourra bien les y introduire en épisodes passagers, lorsqu'on aura quelque idée abstraite, quelque circonstance morale à présenter sous des traits plus sensibles ou plus intéressants que la vérité nue; ou que celle-ci aura besoin d'un voile pour se montrer avec décence, ou passer avec modestie : c'est ainsi que, dans la Henriade, la Politique personnifiée est un ingénieux moyen de nous peindre la cour de Rome; c'est ainsi que, dans le même poème, la peinture allégorique des vices rassemblés aux portes de l'enfer, est l'exemple le plus parfait de la vérité philosophique, animée, embellie, et rendue sensible aux yeux par la fiction:

Là gît la sombre Envie, à l'œil timide et louche,
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche:
Le jour blesse ses yeux dans l'ombre étincelants;

Triste amante des morts, elle hait les vivants.
Elle aperçoit Henri, se détourne, et soupire.
Auprès d'elle est l'Orgueil, qui se plaît et s'admire;
La Faiblesse au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cède au crime et détruit les vertus ;
L'Ambition sanglante, inquiète, égarée,

De trônes, de tombeaux, d'esclaves entourée;
La tendre Hypocrisie, aux yeux pleins de douceur
(Le ciel est dans ses yeux, l'enfer est dans son cœur);
Le faux Zèle étalant ses barbares maximes;

Et l'Intérêt enfin, père de tous les crimes.

Les anciens ont eux-mêmes allégorisé quelques-uns de leurs épisodes, comme la ceinture de Vénus dans l'Iliade, et la jalousie de Turnus dans l'Enéide. Mais qu'on se garde bien de compter sur les personnages allégoriques, pour être constamment, comme les dieux d'Homère, les mobiles de l'action. Ces personnages ont deux défauts, l'un d'avoir en eux-mêmes trop de simplicité de caractère, l'autre de n'avoir pas assez de consistance dans l'opinion.

J'oserais comparer un caractère poétique à un diamant qui n'a du jeu qu'autant qu'il a plusieurs faces; ou plutôt à un composé chimique, dont la fermentation et la chaleur ont pour cause la contrariété de ses éléments. Un caractère trop simple est uniforme il peut avoir de l'énergie et de l'impétuosité; mais il n'a qu'une impulsion, sans aucune révolution en sens contraire et sur luimême l'envie sera toujours l'envie, et la vengeance, la vengeance au lieu que le caractère

moral de l'homme est composé, divers et changeant; et des combats qu'il éprouve en lui-même, résulte la variété et l'impétuosité de son action.

Quel personnage allégorique peut-on imaginer jamais qui occupe la scène, comme le caractère d'Hermione ou celui d'Orosmane?

Les dieux d'Homère, comme je l'ai dit, sont des hommes passionnés : au lieu que les personnages allégoriques sont des définitions personnifiées et immuables par essence.

D'un autre côté, l'opinion n'y attache pas assez de réalité pour donner lieu à l'illusion poétique; cette illusion n'est jamais complète : mais lorsque le merveilleux a été réellement, parmi les hommes, un objet de créance, nous voulons bien, pour un moment, nous mettre à la place des peuples qui croyaient à ces fables; et dès lors elles ont pour nous une espèce de réalité. Mais les fictions allégoriques n'ont formé le système religieux d'aucun peuple du monde : on les voit naître çà et là de l'imagination des poètes; et on ne les regarde jamais que comme un jeu de leur esprit, ou comme une façon de s'exprimer symbolique et ingénieuse. L'allégorie ne peut donc jamais être la base du merveilleux de l'épopée, par la raison qu'en un simple récit elle ne fait jamais assez d'illusion. Ce n'est que dans le dramatique, où l'objet présent en impose, qu'elle peut quelquefois acquérir, par l'erreur des yeux; assez d'ascendant sur l'esprit ; et de là vient que,

dans l'opéra d'Armide, l'épisode de la Haine fait toute son illusion.`

Il n'y a donc plus pour nous que deux moyens d'introduire le merveilleux dans l'épopée : ou de le rendre épisodique, accidentel et passager, si c'est le merveilleux moderne, et d'employer alors les vices, les vertus, les passions humaines, non pas allégoriquement, mais en réalité, à produire, animer et soutenir l'action; ou si l'on veut faire usage du merveilleux de la mythologie ou de celui de la magie, de prendre son sujet dans les temps et les lieux où l'on croyait à ces prodiges. C'est ce qu'ont fait les deux hommes de génie à qui la France doit la gloire d'avoir deux poèmes épiques dignes d'être placés à côté des anciens, Fénélon et Voltaire.

MOEURS. Dans un état républicain, presque toutes les habitudes se ressemblent; dans un état monarchique elles different toutes, entre ce qu'on appelle le grand monde et le peuple. Il fut un temps où la bourgeoisie tenait le milieu entre ces deux classes, et alors ce qui ressemblait aux mœurs bourgeoises, était encore d'assez bon goût pour amuser les esprits les plus délicats. Ce temps n'est plus. Les mœurs, le goût, et les usages du grand monde, ont passé dans la bourgeoisie, Il n'y a presque plus que deux tons, et il n'est plus permis à celui du peuple de dominer, même dans

« PoprzedniaDalej »