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Elle s'indignerait de voir sa créature

A l'éclat de son nom faire une telle injure,
Et vous dégraderait, peut-être dès demain,
Du titre glorieux de citoyen romain.

Vous l'a-t-elle donné pour mériter sa haine,
En le déshonorant par l'amour d'une reine?...
Reprenez un orgueil digne d'elle et de vous.
Remplissez mieux un nom sous qui nous tremblons tous;
Et sans plus l'abaisser à cette ignominie
D'idolâtrer en vain la reine d'Arménie,

Songez qu'il faut du moins, pour toucher votre cœur,
La fille d'un tribun, ou celle d'un préteur....
Forcez, rompez, brisez de si honteuses chaînes;
Aux rois qu'elle méprise abandonnez les reines;
Et concevez enfin des vœux plus élevés,

Pour mériter les biens qui vous sont réservés.

Ce qui relève et ennoblit ce ton de l'ironie dans le rôle de Nicomède, c'est la hanteur avec laquelle il reprend le ton sérieux ; et c'est du mélange de ces deux tons que se forme un des caractères les plus singuliers et les plus nobles qui soient au théâtre.

NICOMÈDE, à Prusias, en parlant d'Attale.

Si j'avais donc vécu dans ce même repos
Qu'il a vécu dans Rome auprès de ses héros,
Elle me laisserait la Bithynie entière,

Telle que de tout temps

l'aîné la tient d'un père....

Il faut la diviser, et dans ce beau projet,

Ce prince est trop bien né pour vivre mon sujet.
Puisqu'il peut la servir à me faire descendre,

Il a plus de vertus que n'en cut Alexandre;
Et je lui dois quitter, pour le mettre en mon rang,
Le bien de mes aïeux, ou le prix de mon sang.

Grâces aux immortels, l'effort de mon courage
Et ma grandeur future ont mis Rome en ombrage.
Vous pouvez l'en guérir, seigneur, et promptement;
Mais n'exigez d'un fils aucun consentement.
Le maître qui prit soin de former ma jeunesse,
Ne m'a jamais appris à faire une bassesse.

Ce sont ces traits de caractère qui faisaient dire à la célèbre Clairon, qu'elle ne regrettait rien tant que de ne pouvoir pas jouer le rôle de Nicomède.

A l'égard de l'ironie en éloge, elle est incompatible avec le style sérieux et noble; au moins n'en sais-je aucun exemple, et ne vois-je aucune façon de les concilier ensemble; mais dans le style familier, elle peut avoir de la grâce, si dans le tour de plaisanterie qu'on donne à la louange, on sait éviter la fadeur. C'est ce qu'a fait Voiture dans une lettre au duc d'Enghien sur la bataille de Rocroi.

Monseigneur, lui dit-il, à cette heure que je suis loin de votre Altesse, et qu'elle ne me peut pas faire de charge, je suis résolu de lui dire tout ce que je pense d'elle il y a long-temps, et que je n'avais osé lui déclarer....... Oui, Monseigneur, vous en faites trop pour le pouvoir souffrir en silence; et vous seriez injuste, si voùs pensiez faire les actions que vous faites sans qu'il en fût autre chose, ni que l'on prît la liberté de vous en parler. Si vous saviez de quelle sorte tout le monde est déchaîné dans Paris à discourir de

Élém. de Littér. III.

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vous, je suis assuré que vous en auriez honte et que vous seriez étonné de voir avec combien peu de respect et peu de crainte de vous déplaire, tout le monde s'entretient de ce que vous avez fait. A dire la vérité, Monseigneur, je ne sais à quoi vous avez pensé, et ç'a été, sans mentir, trop de hardiesse et une extrême violence à vous, d'avoir à votre âge choqué deux ou trois vieux capitaines que vous deviez respecter, quand ce n'eût été que pour leur ancienneté; fait tuer le pauvre comte de Fontaines, qui était un des meilleurs hommes de Flandre, et à qui le prince d'Orange n'avait jamais osé toucher; pris seize pièces de canon, qui appartenaient à un prince qui est oncle du Roi et frère de la reine, avec qui vous n'aviez jamais eu de différend; et mis en désordre les meilleurs troupes des Espagnols qui vous avaient laissé passer avec tant de bonté ! »

Cette espèce d'ironie agréable et flatteuse s'appelait astéisme chez les anciens. On peut l'employer une fois en sa vie; mais pour peu que le retour en soit fréquent, il est usé.

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JARGON ARGON. Il n'a manqué à Molière que d'éviter le jargon et d'écrire purement, dit La Bruyère. Il a raison quant à la pureté du style; mais quel est le jargon que Molière aurait dû éviter? Ce n'est certainement pas celui des Précieuses et des Femmes savantes; il est de l'essence de son sujet : ce n'est pas celui d'Alain ou de Georgette ; il contribue à caractériser leur naïveté villageoise, et à rendre encore plus saillant le ridicule de celui qui en a fait les gardiens d'Agnès: ce n'est pas non plus celui que Molière fait parler quelquefois aux gens de la cour et du monde; car il n'imite les singularités recherchées de leur langage, que pour tourner en ridicule cette même affectation: nulle recherche dans le langage du Misanthrope, ni du Chrysale des Femmes savantes, ni de Cléante dans le Tartufe, ni dans la prose de l'Avare; et ce que l'on appelle le jargon du monde, il le réserve à ses marquis. Je soupçonne dans La Bruyère un peu de jalousie de métier pour le premier peintre des mœurs; et l'on s'en aperçoit surtout à la manière dont il a parlé du Tartufe.

Scarron, dans ses pièces bouffonnes, employait un burlesque emphatique du plus mauvais goût.

Ce jargon fait rire un moment par sa bizarre extravagance; mais on a honte d'avoir ri.

Le jargon villageois a été heureusement employé quelquefois par Dufresnoy et par Dancourt. Il est, par exemple, très bien placé dans le jardinier de l'Esprit de contradiction: mais Dancourt, dont le dialogue est si vif, si gai, si naturel s'est éloigné de la vraisemblance, en entremêlant sans raison, dans les personnes du même état, le jargon villageois et le langage de la ville: dans les trois Cousines, ses paysannes parlent comme des demoiselles ; et leurs pères et mères, comme des paysans.

Le jargon villageois a quelquefois l'avantage de contribuer au comique de situation, comme dans l'Usurier gentilhomme: c'est là surtout qu'il est piquant. Quelquefois il marque une nuance de simplicité dans les mœurs ; et Molière s'en est habilement servi pour distinguer la simplicité grossière de Georgette, de la naïveté d'Agnès. Mais si le jargon villageois n'a pas l'un de ces deux mérités, on fera beaucoup mieux de mettre un langage pur dans la bouche des paysans. L'ingénuité, le naturel, la simplicité même n'a rien qui se refuse à la correction du langage. Ce qu'il y a de plus incompatible avec le jargon villageois, c'est un raffinement d'expression, une recherche curieuse de tours singuliers, ou de figures étudiées; et c'est ce qui gâte le naturel des paysans de Marivaux.

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