Obrazy na stronie
PDF
ePub

IMITATION. Imiter un écrivain, un orateur, un poète, ce n'est pas le traduire, le copier servilement; c'est, dans le sens le plus étroit, se pénétrer de sa pensée, et la rendre avec liberté : c'est, dans le sens le plus étendů, former son esprit, son langage, ses habitudes de concevoir, d'imaginer, de composer, sur un modèle avec lequel on se sent quelque analogie; étudier ses tours, ses images, ses mouvements, son harmonie; et après s'être frappé l'imagination, enrichi la mémoire, rempli l'ame de ses beautés, s'essayer dans le même genre; prendre, non ses défauts, ses négligences, s'il en a, mais ce qu'il y a de beau, de grand, d'exquis dans le caractère de son génie et de son style; tâcher, si l'on est orateur, d'approcher de l'heureuse abondance, de la dignité, de l'élégance, de l'harmonie de Cicéron, de son adresse insinuante; s'exercer à jeter, comme lui, les filets de la persuasion sur l'auditoire cu sur les juges; ou s'essayer à remuer la massue de Démosthène,

Ingentis quatiat Demosthenis arma;

(PETRON.)

à manier le raisonnement et la controverse avec la vigueur et le poids de sa dialectique entraînante; à mouvoir les ressorts d'un pathétique austère et grave et à lancer, comme lui, le rocher d'Ajax dans les mouvements d'indignation.

S'il est poète, il examinera comment Virgile est devenu l'Homère de son siècle; Racine, le Virgile et en même temps l'Euripide du sien. ( Je dis le Virgile, par le charme des vers, autant que l'a permis sa langue, et l'Euripide, en traitant les sujets de ce tragique si touchant, et en les traitant mieux que lui.) Il examinera comment Molière et La Fontaine ont passé de si loin les auteurs qu'ils ont imités, et par quelle supério-. rité de génie, s'élevant au-dessus de tout ce qui les a devancés, ils se sont rendus peut-être inimitables à tout ce qui devait les suivre.

S'il est historien, il se consultera pour imiter ou la plénitude de Thucydide, ou l'élégance de Xénophon, ou la majesté de Tite-Live, ou l'énergie et la profondeur de Tacite.

Les élèves de Raphaël et des Carraches n'en ont pas été les copistes ; mais, dans leurs tableaux, on reconnaît le génie de leur école, la touche, le dessin, la couleur de leur maître, sa manière de composer.

Ce qui fait des imitateurs un troupeau d'esclaves, servum pecus, c'est l'inertie de leur esprit, et cette basse timidité qui ne sait qu'obéir et suivre. De tous les caractères, le plus essentiel à celui qui prend pour modèle un homme de génie, c'est la hardiesse du génie : et comment ressembler à celui qui ose, si l'on n'ose si l'on n'ose pas comme lui?

Celui-là seul est digne d'imiter les grands modèles que l'esprit d'autrui ravit hors de lui-même,

comme l'a si bien dit Longin, en comparant l'imitateur à la prêtresse d'Apollon. « Ces grandes beautés que nous remarquons dans les ouvrages des anciens, sont, dit-il, comme autant de sources sacrées, d'où s'élèvent des vapeurs heureuses qui se répandent dans l'ame de leurs imitateurs ; si bien que, dans ce moment, ils sont comme ravis et emportés de l'enthousiasme d'autrui. » Mais, pour exemple, quel est l'imitateur qu'il donne à Homère? Platon. N'avait-il donc pas lu Virgile? Le même auteur nous trace une belle méthode d'imitation, et la voici. « Comment estce qu'Homère aurait dit cela? Qu'auraient fait Platon, Démosthène, ou Thucydide même (s'il est question d'histoire), pour écrire ceci en style sublime? car ces grands hommes, poursuit Longin, que nous nous proposons d'imiter, se présentant de la sorte à notre imagination, nous servent comme de flambeaux, et nous élèvent l'ame presque aussi haut que l'idée que nous avons conçue de leur génie, surtout si nous nous imprimons bien ceci en nous-même : Que penseraient Homère ou Démosthène de ce que je dis, s'ils m'écoutaient? Quel jugement feraientils de moi? En effet, nous ne croirons pas avoir un médiocre prix à disputer, si nous pouvons nous figurer que nous allons sérieusement rendre compte de nos écrits devant un si célèbre tribunal, et sur un théâtre où nous avons de tels héros pour juges et pour témoins, »

Voilà certainement, en littérature, la plus belle de toutes les leçons; elle le serait en morale.

Mais un motif encore plus puissant pour nous exciter, c'est de songer, ajoute-t-il, au jugement que toute la postérité fera de nos écrits. >>

En ceci, je prends la liberté de n'être pas de l'avis de Longin: car l'idée que nous avons de la postérité et de ses jugements, est une idée vague et confuse; au lieu que celle de tel homme de génie et de goût est distincte, claire, et frappante. Il nous est donc mille fois plus facile de répondre en nous-même à cette question: Que dirait de moi Homère ou Démosthène ? qu'à celleci: Que dira de moi la postérité ?

<< En se proposant un modèle, dit Cicéron par la bouche d'Antoine, le jeune orateur doit s'attacher à ce qu'il y a d'excellent, et s'exercer ensuite à lui ressembler en cela le plus qu'il lui sera possible. » Tum accedat exercitatio qua illum quem ante delegerit imitando effingat. « J'ai vu souvent, ajoute-t-il, des imitateurs copier ce qu'il y avait de plus facile, et même ce qu'il y avait de défectueux, de vicieux dans leur modèle. Ils commencent par choisir mal, et si leur modèle, quoique mauvais, a quelque bonne qualité, ils la laissent, et ne prennent de lui que ses défauts.>> Qui autem ita faciet ut oportet, primum vigilet necesse est in deligendo; deinde, quem probavit, in eo quæ maxime excellent ea diligentissime persequatur. (De Orat.)

[ocr errors]

Nos anciens régents avaient tous ces préceptes devant les yeux, et ils appelaient imiter, appliquer à Judas cette apostrophe de Cicéron à MarcAntoine: O audaciam immanem! ou faire l'exorde d'un sermon de celui du même orateur : Quousque tandem abutere? en y substituant diviná patientia. Rien de plus indécent et de plus puéque de pareilles translations.

ril

[ocr errors]

Imiter, ce n'est pas accommoder ainsi à un autre sujet un morceau pris et copié avec des changements de mots ; c'est quelquefois, comme je l'ai dit, traduire librement d'une langue à une autre; s'est s'emparer d'un ouvrage ancien, et le reproduire, ou sous la même forme avec de nouvelles beautés, ou sous une forme nouvelle ; c'est faire passer dans un nouvel ouvrage des beautés étrangères, anciennes ou modernes, et dont on enrichit sa langue; c'est, dans sa langue même, recueillir d'un ouvrage obscur et oublié, des pensées heureuses, mais indignement mises en œuvre par l'inventeur, et les placer, les assortir, les exprimer comme elles devraient l'être; c'est même exprimer en beaux vers ce qu'un historien, un philosophe, un orateur a dit en prose.

Au sortir de la barbarie, on commença par vouloir imiter: rien de plus naturel, mais on fit comme les harpies: Contactuque omnia fœdant. On déshonora les beaux modèles, on en prit souvent de mauvais. Sénèque le tragique eut plus de copistes que Sophocle et Euripide; et ces co

« PoprzedniaDalej »