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Voilà pourquoi nous ne saurions accepter quelque profonde estime que nous ayons pour leurs travaux et pour leurs personnes les prétentions de ceux qui, appuyés sur la science ou sur les savants, croient pouvoir démontrer le commencement et la fin du monde. Ni les déclarations de M. Faye, ni celles de M. Hirn autorité scientifique de premier ordre, mais beaucoup moins bon philosophe, - ni celles, à plus forte raison, de savants moins titrés, ne nous convainquent.

C'est la tendance des savants, et des grands plus que tous les autres, et plus encore, s'il se peut, des inventeurs ou quasiinventeurs de théories scientifiques, d'étendre la portée de ces théories au delà de leurs limites naturelles. Ils ont rivé à grand effort un des anneaux de la chaîne qui doit relier notre expérience aux lois suprêmes, ils aiment à se dire que cet anneau est le dernier. Ils ne voient pas que, dans le cas présent, ils s'exposent, de la part des esprits réfléchis, au mème reproche qu'ils adressent eux-mêmes à l'antiquité crédule.

Nos pères ne contemplaient qu'un instant très court de la vie du monde; pendant cet instant, tout leur semblait immobile, en quelque sorte, par la répétition régulière et quasi-intégrale des mêmes phases. « Qu'est-ce qui a été? C'est ce qui sera. Qu'est-ce qui s'est fait? C'est ce qui se fera: rien de nouveau sous le soleil. » Ces paroles de l'Ecclésiaste expriment assez leur impression en face de la nature. Quand on leur disait tout périt, ils répondaient: oui; mais tout recommence. Et les grands esprits ne voyaient rien d'impossible à des recommencements sans fin.

Aujourd'hui, on a reculé le champ des découvertes; l'histoire s'est allongée par les deux bouts, et l'on remonte plus haut, et l'on prévoit plus loin, et, par une tendance naturelle à l'esprit de l'homme, toujours en quête d'absolu, on croit toucher au commencement et l'on croit pressentir le terme. Pure illusion, dira un philosophe. Le problème n'est que déplacé. Les anciens se trompaient en prenant le relatif pour l'absolu, vous vous trompez de même, quoique à l'inverse. S'ils prenaient pour une régularité absolue une régularité de phase, toujours altérée dans le même sens et tendant vers un état-limite, vous-même ne prenez-vous pas indûment pour un absolu le processus plus vaste qui enveloppe les leurs? Ce commencement et cette chute dont vous parlez, ne

seraient-ils pas comme un jour ou comme une année d'une vie du monde plus haute? Le matin le soleil se lève, il va au midi, puis s'éteint; mais le lendemain il se relève. Ainsi peut-être les mondes écroulés.

Après cette vaste période d'évolution que vous décrivez, et dont vous saisissez ou croyez saisir les deux termes, n'y a-t-il plus rien; la nature, après avoir amené jusqu'au point marqué cette intégration d'éléments qui produit la mêlée des êtres, ne trouverat-elle plus rien à faire, rien à innover, rien à produire ? Qui vous le dira? Lequel de vous pourrait ici hasarder une réponse? Quand on pose le problème à ces hauteurs, notre infirme science ne peut que balbutier ou se taire. Les plus grands génies ne sont que des enfants et celui qui veut affirmer quand même, s'érigeant en juge de l'univers, mérite bien l'apostrophe du grand solitaire : « 0 présomptueux! »>

N'est-ce pas une raison suffisante pour que l'apologiste se tienne en garde? Il doit être d'autant plus circonspect qu'il considère comme plus sacré le dépôt de la foi qu'il doit défendre. S'emparer des affirmations hâtives d'une science d'enfants pour élayer la majesté de nos dogmes, c'est manquer de respect à la vérité; car cet opportunisme marque trop peu de confiance en elle.

Ce n'est pas qu'il faille faire fi de ce que la science peut fournir d'utile à sa cause; mais il faut en mesurer la portée avec sagesse, ne pas conclure hors de saison, ne pas donner comme certain ce qui n'est que probable, ou comme probable ce qui n'est qu'une supposition, bien assurés que nous ne serons utiles à la vérité que par l'exacte observation de ce précepte.

Il est possible qu'une tactique contraire réussisse un jour; que, vu l'état des esprits, dans le public ou dans la science, une preuve sans force soit acceptée; mais là n'est point le succès durable. Si l'avenir peut taxer d'erreurs les arguments que vous prônez si fort et que vous donnez pour appui aux plus sublimes de vos croyances, qu'en reviendra-t-il en fin de compte? Il en reviendra, pour vous, de la honte, et le dogme immuable, la sereine et éternelle Vérité, devra rougir de ses défenseurs.

Voilà pourquoi nous avons cru bien faire en présentant cette thèse où plus d'un lecteur, nous le savons, refusera de nous

suivre. Ce que nous tenons, en tout cas, à bien marquer, c'est le sens que nous lui donnons et qu'on a pu saisir nettement dans ce qui précède. Nous ne soutenons pas, grâce à Dieu, l'éternité du monde; nous ne dirons même pas si l'on veut bien que ce soit notre pensée que l'éternité du monde soit certainement possible; nous disons que la thèse contraire n'est pas démontrée; que ni la métaphysique ni la science ne nous fournissent ici d'argument péremptoire. En pourront-elles un jour fournir, c'est une question assez oiseuse. En ce qui touche la métaphysique, nous n'en croyons rien; car il y a peu de chance qu'on innove, en métaphysique. En ce qui touche la science, nous n'en savons rien; mais la chose après tout est possible. Si le monde porte la marque de sa nouveauté, - ce qui n'est pas sûr; mais ce qui se peut, - et que notre science pénètre un jour assez loin, en étendue et en profondeur, pour reconnaître à coup sûr cette marque - ce qui n'est pas sûr davantage, mais se peut aussi on pourra lui emprunter cette base pour prouver Dieu. En attendant, notre thèse subsiste.

Nous le répétons, elle ne plaira point à tous. Quand saint Thomas d'Aquin, à sept reprises, la présentait, il entendait de toutes parts des protestations et des murmures. Il devait écrire contra murmurantes, s'entendre taxer presque d'hérétique. Nous ne craignons pas un pareil sort; mais peut-être aurons-nous l'air, aux yeux de plusieurs, de jouer un étrange rôle ! Nous n'avons guère attaqué que nos amis, et nous avons pu paraître, naïvement, faire le jeu de nos adversaires. Nous espérons qu'on voudra bien se défendre de cette impression et considérer de plus haut les choses. Nous n'avons tous qu'un ennemi, c'est l'erreur, et cet ennemi serait d'autant plus à craindre qu'il s'établirait dans la place. Celui-là donc mérite bien de ses amis qui les défend de l'erreur selon ses forces.

Si toutefois la chaleur de la discussion nous avait arraché, à l'égard de ceux que nous vénérons et que nous considérons comme nos maîtres, quelques paroles trop vives, ils voudront bien les excuser et n'en rendre responsables que notre conviction profonde et notre commun amour de la Vérité.

Fr. A.-D. SERTILLANGES, O. P.,
Lecteur en Sacrée Théologie.

LA MATIÈRE PREMIÈRE ET L'ÉTENDUE

La matière et l'étendue deux notions que la philosophie aussi bien que le vulgaire regardent comme étroitement unies. Tout corps est étendu, occupe une place, ou du moins, si l'on tient à la rigueur des termes, est naturellement apte à recevoir les dimensions spatiales. Réciproquement, tout ce qui possède l'étendue, j'entends une étendue affectant un sujet réel pour écarter la question du vide — est un corps ou une propriété du corps. Seule donc la substance corporelle est étendue; l'esprit peut bien avoir des propriétés qui lui sont communes avec la matière, telle l'activité entendue en son sens général; en aucune manière il ne possède l'étendue. Leibniz et les dynamistes, qui ont regardé les constitutifs des corps comme des éléments simples, à la façon de l'esprit, n'ont pu s'empêcher de reconnaître que la matière qui en résulte, le substantiatum, est composée, et nous apparaît sous la forme de l'étendue.

Cette relation entre l'étendue et la substance matérielle, si évidente qu'elle soit, ne laisse pas pourtant de présenter plus d'une difficulté au métaphysicien, qui veut pénétrer jusqu'aux principes premiers de l'être. Sans parler de l'obscurité inhérente à la nature de l'étendue géométrique considérée en elle-même, ni de la controverse qui a trait à son objectivité, deux questions se posent relativement à l'étendue envisagée comme affectant la substance corporelle. Appartient-elle à l'essence et à la constitution même de cette substance, ou bien n'en est-elle qu'une propriété, rattachée sans doute à elle par un lien nécessaire, mais toutefois s'en distinguant réellement? Et si on admet la seconde hypothèse, on peut se demander comment cette propriété découle de la substance.

La première question elle-même peut encore s'entendre dans deux sens, selon qu'on recherche si l'étendue est toute l'essence du corps, de manière à s'identifier totalement avec lui, ou si elle n'en est qu'un constitutif partiel. On connaît la solution radicale donnée par Descartes; pour lui l'étendue géométrique est toute l'essence du corps (1). Ainsi pensent pareillement les partisans de l'atomisme pur ou mécanique. L'atomisme dynamique, qui outre l'étendue admet de véritables forces dans la matière, doit reconnaître aussi, à moins de professer un agnosticisme absolu, que les corps sont constitués essentiellement, quoique d'une manière partielle, par l'étendue, puisqu'il ne remonte pas à des principes supérieurs pour expliquer la nature intime de l'atome. Du reste Tongiorgi, un de ceux qui ont le plus nettement formulé l'atomisme au point de vue philosophique, établit cette proposition: Nulla quoque videtur esse realis distinctio inter corpoream substantiam, ejusque essentiales proprietates, extensionem videlicet, ac resistendi vim (2).

Pour Leibniz et les dynamistes, évidemment l'étendue ne fait pas partie de l'essence des corps, ceux-ci étant constitués par des monades, des éléments simples, purs centres de forces, qu'ils regardent tous comme inétendus. L'étendue n'est qu'une propriété, une résultante de ces éléments simples; mais c'est une étendue purement phénoménale, qui n'a pas objectivement cette manière d'être, notamment cette continuité, que nous lui attribuons dans notre représentation.

Seule la philosophie scolastique regarde l'étendue objective et continue comme une véritable propriété de la substance corporelle. Ce n'est qu'une propriété, car elle se distingue réellement de la matière première et de la forme substantielle, qui sont selon les scolastiques les deux principes constitutifs du corps; mais c'est une propriété réelle et objective, et ils prétendent en rendre raison par l'un de ces deux constitutifs, la matière première. La forme explique le caractère déterminé, l'unité, l'activité du corps; la

(1) Les principes de la philosophie, 2o part., § 2, 64. Voir la même opinion dans MaleBRANCHE, De la recherche de la vérité, liv. III, ch. 8, § 2.

(2) Cosmologia, no 226. Prop. VIII.

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