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liser en nous, par la représentation successive de ses parties. Dans le premier cas, point de problème; dans le second, nous sommes, par hypothèse, dans l'impossibilité d'aboutir. Et ainsi, d'aucune manière, pas plus dans notre esprit que dans la réalité, l'infini, comme tel, n'a d'existence propre. Dans la réalité, il n'existe pas, mais quelque chose de lui, toujours fini. Dans notre esprit, il existe en puissance, «< in potentia accipientis », dit saint Thomas d'Aquin, en ce sens qu'après tout ce qu'on en fait revivre, on peut toujours en supposer encore. D'une façon comme de l'autre nulle difficulté, toutes celles qu'on prétend y relever ne sont qu'illusion.

Faut-il encore s'arrêter à cette objection que nous avons lue dans un auteur, non sans surprise: « Une série de mouvements dont chaque terme a un commencement et dont la totalité serait sans commencement est une contradiction manifeste. Si chacun a commencé, tous ont commencé. » Voilà un raisonnement bien. étrange! C'est tout comme si l'on disait: chaque minute d'une journée a soixante secondes; donc toutes ont soixante secondes. Assurément toutes sont ainsi; mais le tout n'est pas ainsi; car entre toutes et le tout, la différence est grosse comme une montagne. Il en est de même en notre hypothèse. Chacun des mouvements qui composent la vie du monde a commencé; tous par conséquent ont commencé; mais le tout, c'est-à-dire la succession même, n'a pas commencé, et l'objection repose sur une équivoque.

Il y a bien des cas où l'on peut conclure de chacun à tous et à la totalité; c'est lorsque l'attribut en question est tel que la multiplication matérielle n'y ajoute rien, comme si l'on dit: chaque homme est raisonnable, donc l'humanité est raisonnable (1). Mais

(1) C'est ainsi que le raisonnement suivant de notre auteur renferme un grand fond de vérité, bien qu'il soit équivoque et par là rendu inutile: « Il est inadmissible que tous les êtres de la série prétendue infinie soient à la fois causés et non causés; chacun aurait une cause et leur ensemble n'en aurait point: ce qui est contradictoire, car l'addition ne saurait changer la nature des êtres additionnés et faire avec des êtres produits un total d'êtres non produit. » L'argument ainsi présenté ne prouve rien contre personne; car l'athée répondra: Tous les êtres de ma série infinie sont causés, puisque chacun dépend de celui qui le précède. Ce qui est « non causé » c'est leur succession, et leur fond commun, la matière. Il n'y a donc pas de contradiction dans ma thèse, puisque « causé » et «non causé » ne se rapportent pas au même objet.

Quant au théiste qui admet l'éternité du monde, il répondra: Tous les êtres de ma série sont causés; l'ensemble qu'ils forment est lui-même causé; mais chaque être est

quand le débat porte sur un attribut qui relève de la quantité, il est clair qu'on ne peut rien conclure. Quelque légère que soit une paille, une charrette de paille sera toujours lourde; parce que la multiplication matérielle fait au poids. Mais ne fait-elle donc rien à la durée? Deux mouvements ne prennent-ils pas plus de temps qu'un seul ? Et s'il y en a une infinité, ne leur faut-il pas une durée éternelle, c'est-à-dire sans commencement?

Il ne faut donc pas conclure, ici, de chaque mouvement particulier à la succession elle-même; ce sont là deux faits très différents dont chacun a ses causes propres. Chaque mouvement étant un fait particulier a sa cause particulière; la succession étant un fait universel doit avoir une cause universelle. Trouvez cette cause universelle, trouvez-la éternelle, et vous avez tout ce qu'il faut pour donner l'éternité au monde, à condition bien entendu qu'il y ait dans la nature une puissance passive à des recommencements sans fin; mais la matière est là pour la fournir.

Mais quittons ces régions métaphysiques, où les importunités de l'attaque nous ont retenus trop longtemps; un autre terrain s'offre à nous, plus facile à parcourir, où notre marche par conséquent pourra se faire rapide. C'est du domaine scientifique qu'il s'agit.

On prétend démontrer le commencement du monde par la science, et de là partir pour démontrer Dieu. Nous l'avons dit, cette conséquence est facile à déduire; mais c'est le point de départ qui est en question. Peut-on démontrer, par la science, le commencement du monde?

(A suivre.)

Fr. A.-D. SERTILLANGES, O. P.,
Lecteur en Sacrée Théologie.

limité dans sa durée, comme dépendant d'une cause particulière et temporelle; l'ensemble au contraire est infini en durée, comme dépendant d'une cause universelle et éternelle. Il est parfaitement vrai que « l'addition ne saurait changer la nature des êtres additionnés »>; mais la durée n'est pas une question de nature : « Quod quid est abstrahit ab hic et nunc. » (S. TH. Ia Рars, q. XLVI, art. 2.)

Mais si la durée n'est pas une question de nature, la nécessité ou la contingence en est une, et c'est pourquoi l'auteur a parfaitement raison de dire que si chacun est « đérivé » dans le sens de dépendant, de contingent, tous le sont, et le tout de même, que ce tout soit d'ailleurs fini ou infini. Par là on peut prouver Dieu invinciblement et c'est la troisième preuve de saint Thomas dans la Somme; mais on n'en peut rien tirer contre

nous.

LA CROYANCE NATURELLE

ET LA SCIENCE

(1)

C'est un sujet terriblement difficile en philosophie, Messieurs, que celui de la croyance. Nous le savons tous; mais, si les difficultés, même terribles, devaient faire reculer les philosophes, nous n'aurions, vous et moi, qu'à vider cette salle au plus vite. Nous ne pouvons, en effet, parler de la croyance sans que surgissent immédiatement devant nous les plus graves problèmes de la vie humaine; car la foi est partout dans la vie : elle est dans les recherches du savant, d'aucuns disent en la science même ; elle est dans la vie morale individuelle; elle est dans la vie sociale; elle est dans la vie religieuse. Les difficultés de mon sujet sont donc immenses et innombrables. Vous m'excuserez, n'est-ce pas? Messieurs, si je ne les aborde pas toutes en ces vingt minutes que nous mesure si justement la sagesse de notre règlement. Mais, puisque nous sommes à la Section de Philosophie, vous trouverez bon que, m'abstenant avec la plus scrupuleuse rigueur de toute discussion supérieure ou étrangère à la philosophie pure, je vous entretienne uniquement des rapports naturels de la foi ou croyance humaine, et de la science ou vérité démontrée.

Ici comme ailleurs, je suivrai fidèlement saint Thomas d'Aquin: non que je croie, en philosophie, au Magister dixit, car les Maîtres eux-mêmes nous avertissent, dans l'École, qu'entre philosophes, l'argument d'autorité est de tous le plus faible (2). Je suivrai ici saint Thomas en disciple qui a pesé ses raisons et qui les trouve vraies; et nous verrons, sur ces raisons, ce qu'il faut penser des rapports de la foi naturelle et de la science.

(1) Communication présentée en substance à la Section de Philosophie du IV Congrès scientifique international des Catholiques, en la deuxième séance du 19 août 1897. (2) Philosophus argumentum assumit ex propriis rerum causis. » (Contra Gentiles, II, cap. IV.) « Consuevimus dicere quod locus ab auctoritate est valde debilis et infirmus. Et in II° Metaph. traditur quod impedimentum est ad scientiam credere testimoniis famosorum.» (ÆGID. Rom. in II° Sentent., dist. I, q. I, art. 2.)

Réduite à ces termes, la question demeure vaste, et son intérêt n'est pas amoindri.

Elle nous intéresse d'abord pour elle-même. Science et croyance, ce sont les deux pôles qui limitent et qui situent l'axe de nos connaissances. Dans nos voyages du connu à l'inconnu, nous allons de la foi à la science ou de la science à la foi: l'exacte exploration de ces deux pôles de notre monde intellectuel est autrement nécessaire, et n'est pas moins courageuse parfois en son genre, que celle des pôles de notre globe. La théorie de la croyance et la théorie de la science sont complémentaires l'une de l'autre. Si, par hasard, quelqu'un d'entre vous ne connaissait que l'une d'elles, il risquerait de donner un sens tronqué et faux à cette magistrale critique de la connaissance humaine, dont saint Thomas, en son lointain xII° siècle, a su poser les éternelles bases, avec tant de solidité et de profondeur.

La question des rapports de la foi naturelle et de la science a aussi, pour nous, son intérêt actuel. Personne d'entre vous n'ignore, Messieurs, que beaucoup de philosophes contemporains, en France notamment, s'attachent à l'exacte délimitation des frontières respectives de la vérité de croyance et de la vérité démontrée. Personne d'entre vous n'ignore qu'après les engouements quelque peu naïfs d'il y a quarante ans pour la vérité démontrée, il y a, parmi nous, une réaction puissante en faveur des vérités obscures que certifie la croyance. Beaucoup souscrivent à des paroles comme celles-ci : « Toute la science humaine se suspend à un premier acte de foi; » ou encore à cette autre, plus mesurée: « Il y a une part de croyance dans la science même. »

Que penser de ces affirmations et de l'éternel problème qu'elles visent à résoudre ?

Permettez-moi de vous l'indiquer sommairement, en essayant de répondre à trois questions: 1° En quoi l'acte de science et l'acte de foi se ressemblent-ils ? 2° En quoi diffèrent-ils? 3° Quels sont leurs rapports?

I

L'acte de science et l'acte de croyance ont cela de commun qu'ils sont des actes de jugement. Je sais que les trois angles d'un

triangle sont égaux à deux droits; je crois que Tombouctou existe. Il y a là autre chose que de simples concepts; je me prononce formellement sur la vérité de plusieurs concepts, groupés en énoncés; je détermine mon intelligence à tenir que l'objet de mes concepts est, ou, au cas d'un jugement négatif, à tenir que cela n'est pas (1). L'acte de croyance et l'acte de science sont donc tous deux des jugements.

A ce titre, remarquez-le bien, Messieurs, ils ont une propriété commune, découlant immédiatement de leur essence : ils connaissent formellement l'être réel des choses, présent à notre pensée. Je dis l'être réel, et non pas seulement le phénomène de la pensée, ni le seul rapport logique de nos concepts, mais l'être même des choses, selon l'axiome formulé par saint Thomas:

(OBJECTUM INTELLECTUS EST ENS. >>

Sans doute, nous n'avons pas cette naïve candeur d'avancer que la pensée sortant pour ainsi dire de l'âme, comme la projection d'une lampe électrique, aille se plaquer sur les choses pour en éclairer l'être. Nous reconnaissons avec saint Thomas cette évidente vérité que voir, imaginer, comprendre, connaître par l'intelligence ou par les sens, n'est point une action transitive, mais immanente (2). Toutefois sa forme et son contenu lui viennent du dehors immanente dans son procédé, elle est transcendante comme représentation. Ce sont les choses mêmes qui par leur impression sur nos sens et par les intuitions abstractives dont elles déterminent l'élaboration par notre intelligence, viennent projeter en nous, dans le réceptacle vide de nos puissances, comme une empreinte formelle et un décalque exact de leur être intime. La réalité vraie, objective, extérieure à nous, est donc bien l'objet de notre connaissance qui, par son procédé immanent, trouve présent en soi l'être même qui est, tel qu'il est. Car si l'être ne nous est connu que par sa sensation, son image ou son idée, présentes en nous, tout l'être de cette sensation, image ou idée, se modèle sur l'être réel qui l'imprime et, s'y rapportant formellement tout entier, il y reporte d'un premier bond notre

(1) « Judicat intellectus de re apprehensa quando dicit quod aliquid est vel non est. » De Veritate, quæst. I, art. 3. Cf. III Sentent., dist. xxIII, q. 1, art. 2, q 1.

(2) I Pars, q. LXXXV, art. 2.

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