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Et cependant, nous le reconnaissons loyalement et bien volontiers, les kantistes n'ont pas eu complètement tort en affirmant que ce principe premier, comme bien d'autres principes, était affirmé le plus souvent par l'esprit humain en vertu d'une habitude innée, et de cet instinct naturel, que saint Thomas lui-même a proclamé sous le nom d' « habitus primorum principiorum ».

Avant d'avoir connu les savantes analyses de la métaphysique, qui a ramené par divers procédés le principe de causalité à celui de contradiction, et avant d'avoir suivi patiemment tous les méandres de l'argumentation, l'esprit humain affirme déjà la nécessité absolue du principe de causalité. Savants et ignorants ont déjà recherché partout et toujours la cause des phénomènes, et ne se sont déclarés satisfaits qu'après l'avoir découverte. Voilà qui est certain. Il y a donc des habitudes innées, qui nous font juger ou raisonner juste, avant d'avoir connu les règles du jugement ou du raisonnement.

Appelez ces habitudes des instincts naturels, des instincts acquis et transmis par hérédité, ou l'un et l'autre à la fois, j'y consens très volontiers. Mais de quel droit mettre en suspicion la valeur de ces instincts intellectuels? De quel droit supposer qu'ils nous trompent et nous égarent?

Le petit poulet qui sort de la coquille est-il trompé par l'instinct qui le porte à becqueter le grain qu'il n'a jamais vu? Ou le petit enfant, par sa tendance invincible à sucer le lait maternel?

Pourquoi les lois de l'esprit ne seraient-elles pas d'accord avec les lois des choses? Et de quel droit supposer un désaccord qui serait une monstruosité, non pas seulement accidentelle, mais légale et universelle dans la nature ?

De fait, un peu de réflexion, jointe à une simple analyse, que Kant et les kantistes n'ont jamais pris la peine de faire ou de discuter, nous ont montré avec évidence que le principe de causalité, bien loin de n'être qu'un objet de foi aveugle, peut être objet d'in

tuition; qu'il est en lui-même très raisonnable, puisqu'il ne peut être nié sans une contradiction véritable. Ainsi la raison du savant a justifié et éclairé la foi du vulgaire en ce premier principe. La science, par ses patientes recherches, a rendu une fois de plus hommage à la bonté et à la sagesse du Créateur.

Qu'on nous permette une dernière remarque sur la nouveauté plus ou moins apparente de cette fameuse controverse. On a dit et répété que les anciens philosophes n'avaient jamais analysé le principe de causalité, et que la philosophie était arrivée jusqu'à Kant, sans avoir eu l'idée de poser un si grave problème. Kant aurait donc l'honneur d'avoir le premier attiré l'attention de l'esprit humain sur la valeur de ce principe fondement de la connaissance intellectuelle.

Une telle assertion nous a toujours paru assez invraisemblable, et l'étude assidue des anciens textes, surtout de saint Thomas et d'Aristote, nous a plus d'une fois prouvé qu'elle est une grave exagération, pour ne pas dire une erreur historique.

Si l'on veut avoir une analyse profonde et une théorie complète de l'habitude en général, et en particulier de ces habitudes intellectuelles des premiers principes, appelées par les scolastiques habitus primorum principiorum, et par Kant formes à priori de la raison, c'est à saint Thomas qu'il faut les demander. Il en a parlé ou traité, non pas une fois par hasard, mais dans plusieurs centaines de passages, ce qui démontre mieux que toute autre preuve l'importance qu'il attachait à la question (1).

Quant à l'analyse du principe même de causalité, nos mo

(1) Voici comment saint Thomas parle de ces habitudes intellectuelles : Sunt cognitio naturaliter indita (Ia IIe, q. xci, a. 3, c); impressio divini luminis (Ia Iae, q. XCI, a. 2, c); — semina scientiarum; rationes seminales (De Verit., q. xi, a. 1, c) ; — certitudo principiorum... est ex lumine rationis divinitus interius indito, quo nobis loquitur Deus : (Ibid. ad 13, et ad 17). — Intellectus primorum principiorum consequitur ipsam naturam humanam quæ æqualiter in omnibus invenitur (2a IIae, q. v, a. 4, ad 3, q. vIII, a. 1, ad 1, q, XLVII, a. 6, c). - Cf. ARISTOT. Physiq. VII, c. 1, fin. Voir le beau traité « De Habitibus » que vient de faire paraître S. Em. le Card. Satolli, 1 vol. in-8°, Rome, typog. de la Propagande.

dernes ne semblent pas se douter que les Anciens, depuis Aristote, l'exprimaient le plus souvent dans une formule d'apparence très. différente, quoique au fond identique à la formule moderne. N'ayant pas su reconnaître l'antique formule, ils ont dû se tromper dans leur jugement sur l'ignorance apparente des anciens.

Aristote, le premier, a employé le plus souvent la formule devenue célèbre dans l'École : « quidquid movetur ab alio movetur » ; tout ce qui est mù l'est par un autre, ou par une autre partie de lui-même.

La raison de cette préférence du Stagirite est facile à comprendre, dès qu'on se place à son point de vue. Le mouvement étant le fait universel et fondamental de la Nature, son étude est le point de départ et le fondement de cette philosophie toute expérimentale et scientifique qui est celle d'Aristote. Or l'analyse du mouvement donne aussitôt les notions fondamentales d'acte et de puissance, de passage de la puissance à l'acte, et le principe fameux « quidquid movetur ab alio movetur ».

Ce principe, Aristote l'analyse et le prouve non seulement par l'expérience, soit l'expérience des corps inorganiques qui sont inertes, soit l'expérience des vivants où chaque organe est toujours mis en mouvement par un autre organe, une faculté par une autre faculté: mais encore et surtout par la raison qui ne saurait admettre que le même être ou la même partie d'un être soit à la fois, sous le même rapport, moteur et mobile, en acte et en puissance (1), ce qui serait la contradiction même zéro égalerait un.

Le principe « quidquid movetur... » est donc facilement ramené par Aristote à celui de contradiction. Mais ce principe « quidquid movetur...» n'est qu'une des nombreuses formules du principe de causalité, comme il est facile de s'en convaincre.

En effet, pour Aristote, « tout ce qui est mû » signifie : tout ce passe de la puissance à l'acte, tout ce qui change et qui par conséquent commence, au moins à un certain point de vue. Donc tout ce qui commence est mû par un autre, c'est-à-dire a une cause. L'identité fondamentale de l'antique formule avec la formule

(1) « Nihil idem est simul in actu et in potentia, respectu ejusdem. » S. THOм., Contra Gent., 1. I, c. 13, 3o.*— ARIST., Phys., 1. VIII, c. 5.

moderne devient ainsi manifeste, en même temps que son carac

tère analytique.

L'esprit humain n'a donc pas attendu à Kant pour poser et résoudre une question si grave et si élémentaire de la Philosophie première. Le Sage avait bien raison de dire qu'il n'y a rien d'absolument nouveau sous le soleil, nihil novi subsole, et c'est ce que confirme l'étude plus attentive de l'histoire. Renouons donc les traditions antiques: la sagesse des siècles nouveaux ne peut que gagner à s'éclairer à la sagesse des siècles passés. La pensée des grands génies qui ont honoré l'humanité, en philosophie comme dans toutes les sciences, bien loin d'être une barrière importune, est un point d'appui nécessaire à l'essor nouveau de l'esprit humain.

A. FARGES.

LA

PREUVE DE L'EXISTENCE DE DIEU

ET L'ÉTERNITÉ DU MONDE

(SUITE ET FIN)

Nous avons essayé, dans un précédent article, de dégager la preuve de l'existence de Dieu de l'idée de création dans le temps, qui semble à beaucoup faire corps avec elle. Tout ce qu'atteint cette preuve, disions-nous, c'est la dépendance absolue de tous les êtres à l'égard du Premier Être; quant à la durée qui les mesure, comme elle n'en est qu'un pur accident, venu du dehors, et qu'elle dépend exclusivement de l'action divine, nous ne la pouvons connaître que par communication à nous faite des vouloirs divins.

Nous savons fort bien être en contradiction, ici, avec un grand nombre de philosophes; mais en philosophie le nombre n'est rien, ce sont les raisons qui importent, et nous croyons avoir pour nous de bonnes raisons, sans parler des imposantes autorités, les plus hautes qu'on puisse fournir en pareille matière, d'Aristote (1), Platon (2), saint Augustin (3), Albert le Grand (4), et saint Thomas d'Aquin (5).

(1) Phys., liv. VIII.

(2) Il semble dire le contraire dans le Timée; mais il a été généralement commenté en notre sens par ses disciples soit contemporains (ARISTOTE, Du Ciel, liv. III), soit postérieurs (S. AUGUSTIN Cité de Dieu, liv. X, ch. 31). BoECE, De Consolatione.

(3) Cf. Cité de Dieu, livr. X, c. 31 et livr. XI, c. 4. Dans ces passages, saint Augustin ne défend pas d'hypothèse du monde éternel, ce n'était pas son rôle dans une apologie de la foi chrétienne; mais il la cite sans la reprendre si ce n'est en ce qui touche l'àme humaine, à qui les Platoniciens attribuaient des migrations perpétuelles. Il s'élève également, comme tout philosophe chrétien doit le faire, contre la prétention de démontrer l'eternité du monde et par conséquent de taxer d'erreur notre foi.

(4) On a parfois voulu faire passer Albert le Grand pour un adversaire de notre thèse et on a cherché opposer son autorité à celle de saint Thomas. Nous demandons qu'on veuille bien lire sa thèse VIII Phys., Tr. I, cap., XIII, où, après avoir donné une raison probable en faveur de la nouveauté du monde, il ajoute : « Nec tamen dicimus quod sit demonstratio, nec putamus demonstrabile esse unum vel alterum. » La raison probable qu'il donne là est du reste réfutée par saint Thomas et par Boëce.

(5) Il est inutile d'indiquer ici des références. Nous avons cité et citerons encore assez

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