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n'est pas dans le temps, puisque sa durée est inétendue comme son être et d'un ordre supérieur au temps.

La possession absolue de sa vie, dans une plénitude que ni le passé, ni le présent, ni l'avenir ne divisent, telle est en Dieu l'Éternité. Le recommencement sans fin et comme sans but des mêmes chemins, dans une multiplicité inutile et informe, telle serait pour la vie du monde l'infinité. Qu'on ne se laisse donc pas tromper par les mots, et qu'on ne voie pas dans cette expression fatidique, l'infini, une vertu capable d'égaler à Dieu tout ce qu'elle touche. Infini signifie parfait; mais il signifie aussi indéterminé, et c'est en ce dernier sens seulement qu'il est applicable à la vie du monde. On peut lui accorder donc sans crainte l'immensité, si l'on n'a pas pour la lui refuser des raisons plus fortes; cette immensité, telle qu'il la peut revêtir, ne sera jamais que le voile splendide de sa misère. Le temps, ainsi étiré hors de toute limite, ne sera encore, selon la belle expression du philosophe, que l'image mobile de l'immobile éternité.

Enfin la raison principale, croyons-nous, qui rebute les esprits en face de notre hypothèse, c'est l'obscurité de cette notion d'infini, éternel scandale de la raison humaine. Il faut bien avouer en effet qu'il y a quelque chose de troublant et comme d'aveuglant pour l'esprit dans cette supposition d'une succession infinie de jours et de siècles. Tous les changements que nous observons partent d'un terme pour aboutir à un autre terme. Un univers qui marche et qui ne vient de nulle part; une durée qui s'écoule et qui ne s'approche ni ne s'éloigne d'un point de départ ou d'un but, il y a là quelque chose qui confond. Mais qu'on veuille bien remarquer d'autre part, et cette observation, à notre sens, est capitale, que la création du monde dans le temps est une notion tout aussi difficile à comprendre. Comment se représenter, en effet, le passage du néant absolu à l'être? Que se passe-t-il, à ce premier instant? Dirons-nous que le monde devient? Mais alors il n'est pas; car ce qui est n'a pas besoin de devenir. Dirons-nous qu'il est? Mais alors il ne devient pas. Et ainsi nous devrons concevoir à l'origine un double instant: l'un où le monde devient et n'est pas; l'autre où son devenir aboutit à l'être. Mais ce premier devenir, comment le concevoir? Que peut-il se passer là où il n'y a rien? Peut on se représenter un devenir sans sujet? Et n'est-il pas impossible par

conséquent de concevoir le devenir du monde, puisque aucun sujet ne préexiste à la naissance de tout?

On le voit, la difficulté est grande, et elle a scandalisé bien des philosophes.

Or que répond-on à cette difficulté? C'est que la création n'es pas une action ordinaire; c'est qu'appliquer aux origines du monde les lois de sa marche ultérieure, c'est raisonner à peu près comme le jeune sauvage qui refusait de croire aux explications qu'on lui donnait sur la génération humaine, sous prétexte qu'un homme ne saurait vivre neuf mois sans respirer et sans manger. La création n'est pas à proprement parler un changement, bien qu'il en résulte une chose nouvelle. Le monde est, et il est après n'avoir pas été, c'est tout ce qu'on peut dire, si même cette expression après ne renferme pas une idée fausse. Or la distinction du devenir et de l'être, au premier instant, est une nécessité du changement, du mouvement; elle ne peut donc point s'appliquer à l'origine première des êtres. Mais alors que reste-t-il ? Une action et une passion sans mouvement, que peuvent-ils bien être ? Une simple relation de cause à effet et d'effet à cause comme le dit saint Thomas après Aristote (1). Et ainsi la difficulté qui s'oppose à l'idée de création devient un argument pour l'hypothèse d'une durée éternelle. Car, je vous le demande, qu'est-ce qui peut bien empêcher la relation de créature à créateur d'être éternelle, puisque son fondement, c'est-à-dire l'action créatrice, est éternel (2)?

L'action de Dieu, en effet, ne se distingue pas de sa substance. Tout est un, en Celui qui est essentiellement un; l'acte pur ne souffre pas de mélange de potentialité, et le changement autant que le néant lui répugne. Ce qu'il veut, il l'a toujours voulu; ce qu'il fait, il l'a toujours fait; son intelligence et sa volonté, cause universelle de tout, sont dès l'éternité dans l'état ultime qui pose l'effet dans l'être. Si donc l'on regarde la question à ce point de vue,

(1) « Deus, creando producit res sine motu. Substracto autem motu ab actione et passione nihil remanet nisi relatio, ut dictum est. Unde relinquitur quod creatio, in creatura, non sit nisi relatio quædam ad Creatorem, sicut ad principium sui esse. » (La Pars, q. XLV, art. 3.)

(2) Creatio, active significata, significat actionem divinam, quæ est ejus essentia, cum relatione ad creaturam. (Ibid., ad 1m.)

la difficulté se déplace, et passe de notre thèse à la thèse adverse. Il est infiniment plus facile de concevoir un monde coéternel à l'action éternelle qui le cause qu'un monde temporel résultat d'une action posée dès l'éternité (1).

Concluons et résumons-nous en quelques mots. La preuve de l'existence de Dieu n'a nul besoin de supposer un commencement du monde. Elle s'établit indépendamment de cette notion et se compromet, loin de se fortifier, quand elle veut l'appeler à son aide (2). La supposition d'un monde éternel ne supprime pas la nécessité d'une Cause Première. Elle n'égale pas la créature au Créateur en durée, et si elle écrase notre esprit par sa grandeur,. c'est le cas de tant de choses qu'il n'y a pas lieu de s'en émouvoir. Placés comme un néant au milieu de tout, nous serions mal venus à exiger ici des clartés parfaites. L'étincelle de vie qui est la nôtre et la portion infime du temps qui la mesure ne peuvent pas nous donner une idée assez large de la durée pour que nous ne soyons pas effrayés à la supposer sans mesure. Le silence éternel de ces

(1) Qu'on veuille bien prendre garde au sens exact de cette affirmation. Nous n'avons nullement entendu dire comme on nous l'a prêté, que de toute manière l'hypothèse de l'éternité du monde fût plus facile à concevoir que la thèse adverse, mais. seulement eu égard à la causalité divine. Nous ne serions pas éloigné de prétendre, toutefois, que, tout compte fait, les difficultés soulevées par l'idée de création dans le temps sont aux yeux du philosophe du même ordre et presque du même degré que celles que provoque l'idée d'une succession infinie. Ce qui fait la différence pour le peuple et en philosophie beaucoup sont peuple - c'est que l'infini déroute l'expérience et que l'idée de commencement est vulgaire. Par là l'hypothèse d'une durée infinie nous effraie et celle du commencement de tout nous paraît simple. Mais si, dépassant la sphère de l'expérience, qui ne nous présente que des changements, nous envisageons, comme nous le faisions tout à l'heure, l'idée d'un commencement absolu, elle nous jettera dans le trouble, tout comme celle d'une durée éternelle. Quelqu'un nous disait à Fribourg: Nous n'avons nul intérêt, comme apologistes, à aggraver ainsi les difficultés de nos thèses. Nous avons dû répondre qu'il ne s'agit pas ici d'intérêt, mais de vérité; que l'idée de création dans le temps, que nous recevons de la foi, n'en reste pas moins pour nous, comme philosophes, extrêmement obscure, et que, si nous avions à choisir librement entre ces deux hypothèses ou le monde temporel, créé de Dieu par une action en quelque sorte nouvelle, ou le inonde éternel, dépendant éternellement de Dieu, c'est vers cette dernière, peut-être, que nous inclinerions.

(2) Encore, ici, une rectification à faire: on nous a objecté que, d'après saint Thomas, la nécessité d'un Dieu est beaucoup plus manifeste, dans la supposition de la durée limitée du monde. Cette remarque du saint Docteur est l'évidence même. A qui admet le commencement de toutes choses, rien n'est plus facile que de démontrer Dieu, mais encore fautil établir cette hypothèse. Il n'est pas fréquent qu'elle soit admise par les athées dont l'éternité de la matière est au contraire le grand refuge, et s'il est vrai que la raison á elle seule soit impuissante à l'établir, il importe grandement de séparer sa cause de celle de l'existence de Dieu.

espaces infinis m'effraie, disait Pascal. Mais de cette affirmation que le temps infini offre une idée obscure à cette autre que le contraire est démontré, il y a un abîme. Ne le franchissons pas lors de toute raison.

En face des matérialistes et des panthéistes qui affirment l'éternité du monde, il nous convient d'avoir une attitude nette et loyale. Nous avons pour nous des principes supérieurs, c'est bien; la foi nous révèle plus d'un fait, et parmi eux la nouveauté relative du monde; mais ce n'est pas un motif pour prétendre imposer au nom de la raison ce que nous ne tenons pas d'elle ni n'en pouvons tenir.

Avant de traiter d'ignorants ou de mauvais philosophes ceux qui nient l'un de nos dogmes, il faut y regarder de bien près; car les revanches d'une critique ennemie, autorisées en partie par nos imprudences, tourneraient, il faut nous en souvenir, au détriment de la vérité que nous voulons défendre. « Et cela est utile à considérer, dit saint Thomas en concluant son exposé de doctrine en cette matière, de peur que quelqu'un, essayant présomptueusement de démontrer ce qui est de la foi, n'apporte des raisons infirmes qui prêtent à rire aux infidèles, en leur faisant croire que nous adhérons pour de telles raisons aux choses de foi (1). »

(A suivre.)

Fr. A.-D. SERTILLANGES,

des Frères Prêcheurs.

(1) « Et hoc utile est ut consideretur ne forte aliquis quod fidei est demonstrare præsumens, rationes non necessarias inducat, quæ præbeant materiam irridendi infidelibus, existimantibus nos propter hujusmodi rationes credere quæ fidei sunt. »

LA LUMIÈRE DANS LES ŒUVRES DE DIEU

Dieu est lumière par nature; sa première action est une parole et une lumière. Sa première parole dans l'éternité, c'est son Verbe, splendeur de la lumière, splendeur de la gloire, lumière de lumière. Candor lucis æternæ (1), splendor gloriæ (2), lumen de lumine (3). Sa première parole dans le temps est le sublime fiat lux, dont la beauté ravissait le païen Longin. La dernière parole qui terminera les temps sera celle qui invitera les élus à cette Jérusalem céleste dont il est dit: Claritas Dei illuminavit eam (4). Du Ciel au Ciel, de l'éternité à l'éternité, voilà l'étendue et le royaume de la lumière. Chaque fois que Dieu produit une créature, il dit de nouveau Fiat lux! que la lumière soit! Et le nouvel être sort radieux du foyer divin, il montre à la terre et au Ciel son éclat virginal; c'est une lumière qui est faite. Et facta est lux.

Nous voulons essayer de montrer que, en effet, tout être est lumière par nature; il y a en lui comme une triple splendeur : l'éclat de l'essence créée, le reflet de l'essence divine, et même un certain reflet du Dieu-Trinité. Nous étudierons ensuite la lumière spéciale qui se trouve dans les créatures raisonnables, soit dans l'ordre naturel, soit dans l'ordre surnaturel.

La meilleure définition de la lumière est celle qu'en a donnée saint Paul Omne quod manifestatur lumen est (5). Tout ce qui manifeste un objet est lumière. On a d'abord appliqué ce nom à ce qui manifeste les objets au regard, et, de même qu'on a transporté le mot vision, qui signifiait proprement l'acte de la vue, à toute connaissance, ainsi en a-t-il été du mot lumière. Toute connaissance est une vision, toute faculté qui connaît est un (1) Sap., vii, 26.

(2) Hebr., 1, 3.

(3) Symb. Nic.

(4) Apoc., II, 23.

(5) Eph., v, 13. Le participe grec Davepoúpevov, à la voix moyenne, peut se prendre dans un sens actif et signifier, non ce qui est manifesté, mais ce qui manifeste.

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