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nature des mœurs ont déterminé le caractère et le génie de toutes les langues.

Dans une démocratie, où l'éloquence peut tout sur la multitude, de qui tout dépend, les artifices du langage ont dû avoir pour but d'ébranler l'imagination, de flatter les sens, d'enflammer les passions du peuple. Dans une monarchie, où règnent des intérêts et des besoins d'un autre genre, ce principe caché, mais puissant, qui forme les mœurs et les usages d'une nation, doit imprimer au langage une autre direction, un tout autre caractère.

Sous cette forme de gouvernement; les citoyens étant divisés en classes distinctes et subordonnées, il se fait un effort continuel de la part des classes inférieures pour s'élever vers les premières, et de la part des premières pour repousser les inférieures. Ainsi, l'on y voit le peuple' toujours prêt à imiter et le langage et les mœurs des grands, pendant que ceuxci, par un mouvement contraire, s'efforçant toujours de se distinguer, affectent de rejeter de leur langage les expressions et les tournures devenues trop familières au peuple.

Entretenue dans une fluctuation continuelle par cette tendance et cette réaction des esprits, la langue finirait par. s'appauvrir et se dessécher en se polissant, si les gens de lettres et les bons ouvrages ne concouraient à la fixer et à l'enrichir.

La langue grecque, formée par le peuple et pour le peuple, devait être l'organe de l'imagination, des passions; notre langue formée par les. du monde et les gens de lettres, a dû être l'organe de l'esprit et de la raison.

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Qu'étaient les Athéniens? Un peuple d'auditeurs et d'enthousiastes. Que sommesnous aujourd'hui ? Un peuple de lecteurs tranquilles et réfléchis. Voilà le véritable principe de la distance qu'il y a du caractère de la langue grecque au caractère de la nôtre.

Transportons-nous à Athènes; nous y verrons le poëte, l'orateur, l'historien, le philosophe même, réciter leurs compositions à des hommes assemblés, à des hommes dont les sens étaient sans cesse exercés et toujours insatiables, à des hommes qui pardonnaient tout à celui qui savait charmer leurs oreilles. Un trait

d'éloquence ou de poésie venait-il s'offrir à leur mémoire ? les idées ou les images qui s'y trouvaient exprimées, ne se réveillaient dans leur esprit que revêtues des sons, des accens qui les avaient animées. C'est ainsi qu'en nous rappelant des vers embellis par une musique qui nous est familière, nous nous rappelons toujours et en même tems, le chant dont ces vers sont accompagnés.

Le gouvernement, les mœurs, les opinions, tout a changé; on ne parle plus au peuple assemblé ; on ne gouverne plus par l'éloquence. Ce n'est que dans le silence du cabinet qu'on juge des compositions littéraires on lit tranquillement l'ouvrage du poête et de l'orateur, comme celui du philosophe.

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Pour peu qu'on réfléchisse sur la manière dont naissent, se modifient et se pénètrent les sensations et les idées concevra sans peine la prodigieuse diffé rence qui se trouve dans les impressions qu'on reçoit par un sens ou par un autre. Le sens de l'ouïe, délicat et sensible, ne peut être ébranlé sans douleur ou sans plaisir; celui de la vue est pour ainsi

dire, impassible, et semble n'être destiné qu'à transmettre paisiblement à l'ame l'i-. mage des objets dont il est frappé. J'appellerais volontiers l'ouïe le sens de l'ame et des passions, et la vue, le sens de l'esprit et de la raison. Il y a, entre les idées qui nous sont transmises par les oreilles ou par les yeux, à peu près la même différence qu'entre des objets aperçus au travers des flots d'une onde agitée, ou réfléchis par le cristal uni d'une eau pure et tranquille. Eh! qui de nous n'a pas éprouvé que le même drame qui nous enchantait, s'il retentissait à nos oreilles, animé par les accens d'une voix tendre et mélodieuse, ou par une déclamation véhémente et passionnée, n'était, lorsque nous le soumettions à la lecture, qu'un ouvrage froid, insipide, souvent plein de défauts que la magie des sons avait fait disparaître? Combien donc se trompèrent ceux de nos écrivains qui tentèrent de transporter dans notre langue les formes et les combinaisons grecques et latines! Familiarisés avec les langues anciennes, ils crurent que l'art de la parole devait avoir les mêmes principes dans tous les tems et

dans tous les lieux. Ils sentirent les besoins de la langue; mais ils s'y méprirent sur les moyens d'y suppléer.

Ce ne fut que vers le commencement du siècle dernier, quand la France trop long-tems agitée vint enfin à respirer, quand la paix ranima le goût des lettres et des arts, que la langue, en suivant les progrès des mœurs, commença à prendre de la consistance.

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Un philosophe assis aujourd'hui parmi vous', Messieurs, a fait voir combien les progrès de l'esprit humain tiennent aux progrès des langues. En effet, lors de la renaissance des lettres, quels obstacles nos écrivains ne rencontrèrent-ils pas dans l'imperfection du langage? Une foule de mots dont l'origine avait disparu, ou dont l'acception était incertaine et dénaturée; une syntaxe sans principe, sans analogie; une prosodie vague et indéterminée; la prononciation même abandonnée au hasard ou au caprice: tout nuisait également et à l'harmonie du discours, et à la préci

1 M. l'abbé de Condillac, Origine des Connaissances humaines.

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