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C'était sur-tout sur les écrivains les plus célèbres, lorsque Voltaire croyait avoir à s'en plaindre, que tombaient avec le plus de profusion les traits de son esprit mordant. On sait comment il traitait Maupertuis, Pompignan, Rousseau, avec qui il était en guerre ouverte ; mais il n'épargnait pas toujours ceux avec qui il n'avait aucun démêlé, tels que Montesquieu, Duclos, Helvétius.

Le livre de l'Esprit venait de paraître, et avait fait à Paris le plus grand éclat. Voltaire le caractérisait ainsi : « Le titre louche, l'ouvrage sans méthode, beaucoup de choses communes ou superficielles, et le neuf faux ou problématique. C'est Duclos, ajouta-t-il, qui a donné à Helvétius le courage de faire imprimer son livre; mais il ne l'a pas défendu contre la persécution. Duclos, selon lui, était un esprit caustique, dur et de mauvais goût '. »

I

Helvétius qui était attaché à la cour,

La postérité n'adoptera pas ces jugemens hasardés dans des momens d'humeur. Duclos et Helvétius conserveront une mémoire honorable. Bettinelli ajoute que Voltaire était à Paris, lorsque le livre de l'Esprit parut: c'est une erreur.

avait présenté lui-même son ouvrage à la famille royale, et en avait été très-grácieusement reçu. J'en fus charmé, je connaissais Helvétius; c'était un homme doux, raisonnable, généralement aimé, et qu'on n'avait pas cru capable d'avoir composé un tel ouvrage. Mais quelques semaines après mes yeux s'ouvrirent; j'étais dans l'antichambre de M. le Dauphin. Le prince sortit de son appartement, tenant dans ses mains un exemplaire de l'Esprit; il dit tout haut qu'il allait chez la reine pour lui montrer les belles choses que son maître-d'hôtel faisait imprimer. Alors éclata la tempête contre le livre et l'auteur. Quelle folie, disait Voltaire, de vouloir faire le philosophe à la cour, et l'homme de cour avec les philosophes!

Le propos le plus extraordinaire que j'aie entendu à Paris sur ce fameux livre, sortit de la bouche de madame de Graffigny, l'auteur célèbre de Cénie et des Lettres péruviennes. Elle était tante d'Helvétius du côté maternel; je croyais, en conséquence, la trouver très-partiale en faveur de son neveu. Croiriez-vous bien, me dit-elle un jour, qu'une grande partie

de L'ESPRIT, et presque toutes les notes, ne sont que des balayures de mon appartement; il a recueilli ce qu'il y a de bon de mes conversations, et il a emprunté de mes gens une douzaine de bons mots. Voltaire riait beaucoup de ce propos lorsque je le lui racontai, et il me cita une foule d'autres traits du même genre, sur la plupart des beaux esprits de Paris, même sur ceux qui étaient ses plus zélés admirateurs. La seule personne dont je lui aie toujours entendu parler avec la même estime et le même enthousiasme, c'est madame du Châ telet, dont il avait plusieurs portraits dans ses appartemens. Il m'en montrait un jour un, en me disant : Voilà mon immortelle Emilie.

Je ne ferai aucune réflexion sur le récit du P. Bettinelli. On y aperçoit bien quelque prévention monacale, et une grande frayeur des sarcasmes de Voltaire ; mais on y reconnait aussi la tournure d'esprit et la conversation toujours brillante et animée de cet homme extraordinaire. On y verra encore que ceux qui l'ont représenté comme le flatteur des rois et le fauteur du despotisme, ont bien sottement apprécié les

ménagemens qu'il avait souvent pour la puissance, dans la seule vue de la fléchir en faveur de la philosophie, et de faire passer des vérités qu'il croyait utiles au genre humain.

E T

DE ROUSSEAU.

DEUX hommes ', dans le siècle dernier, ont mérité la palme de l'éloquence; si pour l'obtenir, il n'y a pas eu une opposition absolue dans les moyens, on remarque au moins une différence frappante dans les titres.

L'un nous a étonnés par la magnificence

• Ceux qui ont une juste idée de l'éloquence ne me reprocheront pas de n'avoir pas fait mention de Thomas, qui a toujours tâché et qui a cru suppléer au talent que la nature lui avait refusé, par l'emphase, l'exagération et une combinaison de figures, de mouvemens et de mots qui décelaient son impuissance. L'éloge de Marc-Aurèle demande une exception; cependant le graud mérite de ce morceau tient à sa forme dramatique, et d'ailleurs l'apprêt, qui est un des défauts de Thomas, n'était pàs déplacé dans un discours d'appareil.

Je n'ai point parlé non plus des éloges couronnés par l'Académie; les meilleurs sont plutôt élégans qu'éloquens, ce qui devait être. L'un des torts de Thomas a été de vouloir sortir du genre que le goût indiquait.

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