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empesté, et qu'il n'était pas raisonnable à lui d'y rester. Hé bien ! me dit-il, demandez aux malades; s'ils le veulent, je le veux bien, nous les embarquerons quand vous l'ordonnerez. J'allai moi-même dans les cases, je fis faire mes propositions par l'interprête, et tous répondirent comme le chef: « Ce n'est pas la peine, autant vaut mourir ici qu'ailleurs. » Effectivement, ils moururent tous en trois semaines sans vouloir se soumettre, à aucune espèce de régime, ni prendre un seul remède. Ils avaient à côté de leur hamac de l'eau, de la cassave dont ils usaient tant qu'ils pouvaient s'aider eux-mêmes; et quand ils n'en avaient plus la force, l'inaction, le défaut de secours accéléraient leur fin. Je reviendrai sur ces hommes si peu connus, et dont même aujourd'hui on se forme des idées fausses. On m'a demandé plus de détails: je dirai tout ce que j'en sais, tout ce que j'en pense; mais je poursuis d'abord le cours de mon voyage.

En revenant au poste, j'eus à prononcer provisoirement sur une question de droit d'un très-grand intérêt, et sur laquelle je n'ai point été de l'avis du gouverneur et des

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magistrats de Cayenne. La femme de N..... avait attaqué son mari en séparation pour mauvais traitemens. Ses preuves n'ayant pas été jugées suffisantes, elle avait succombé, et son mari l'avait ramenée dans son habitation d'Aprouague, où il avait huit ou dix nègres et un fort mauvais établissement. Il en projetait un autre, suivant l'usage du pays, et il voulait emmener sa femme dans les hauts de la rivière, à vingt lieues de toute habitation. Elle vint. me trouver, et me représenta qu'elle ne consentirait jamais à suivre dans les bois un homme connu pour être très-violent, qui l'avait battue plusieurs fois, et la tuerait peut-être quand il la verrait privée de toute protection. Le mari, informé de la démarche de sa femme, vint aussi plaider sa cause. Je lui observai que, d'après la division publique qui subsistait entre sa femme et lui, et leurs mauvaises dispositions réciproques, leur isolement était dangereux; que cependant, puisqu'il avait été autorisé par un jugement à continuer d'habiter avec sa femme, je n'entendais pas les séparer; mais que la permisssion du gouvernement lui étant nécessaire pour aller

s'établir ailleurs, je la lui refusais, et que le commandant du poste empêcherait son émigration s'il voulait l'effectuer à une plus grande distance que deux ou trois lieues d'un canton habité.

Un mari en Angleterre ne peut emmener sa femme malgré elle, hors des limites de la Grande-Bretagne : je me fondai sur cette loi pour en provoquer une qui permit aux femmes de la Guyane de ne pas suivre malgré elles leurs maris dans les déserts. J'obéissais sur ce point à un sentiment de justice naturelle, et à une autre impulsion qui me portait à poursuivre par tous les moyens possibles cette pernicieuse habitude des colons qui, les dispersant dans les bois à de grandes distances les uns des autres, les privait de toutes les ressources de la police et de la sociabilité.

La rivière d'Aprouague qui reçoit près du poste celle de Kouvrouei, se trouve au milieu des plus précieuses terres de la Guyane. C'est là que des travaux bien conçus, bien dirigés, paieront avec usure les avances de l'entrepreneur'.

I

Voyez les plans et les mémoires de la collection.

La rivière d'Oyapock n'offre pas moins de ressources, et ses terres hautes sont en général de meilleure qualité; mais les habitans qui y sont établis n'ont pas même pris la peine de choisir en ce genre ce qu'il y avait de mieux. J'avais donné rendez-vous au fort, au contre-maître charpentier que j'avais envoyé dans les forêts pour reconnaître les bois propres à lamarine. Le compte qu'il me rendit de sa mission était on ne peut pas plus satisfaisant : en moins de deux mois il avait marqué plus de deux mille arbres de la plus grande beauté, et ce que je voyais moi-même sur les bords de la rivière d'Ouanary, s'accordait avec son récit. N'est-il pas bien bizarre que toutes les entreprises possibles et utiles dans la Guyane, soient précisément celles qu'on a dédaignées pour s'attacher de préférence, et persévéramment à celles qui ne pouvaient promettre aucun succès. Qui empêche, me disais-je, en me promenant dans ces forêts, que je n'établisse ici un atelier de charpentiers, de scieurs de long, et que je n'envoie à Brest, à Toulon, des cargaisons d'excellens bois de Grignon, Coupi, Courbari, Balata, etc. . . . . Mais je n'avais

pas

de moyens, je ne pouvais que les solliciter.

Le quartier d'Oyapock contient quelques habitans de plus que celui d'Aprouague, mais les cultures y sont aussi désordonnées; et si les habitans ne veulent pas se subordonner à des plans plus sensés, mon avis est bien de ne pas les contraindre dans leurs fantaisies, mais de ne pas en payer les frais.

La rivière d'Ouanary qui décharge ses eaux dans celles d'Oyapock, arrose des terres de la meilleure qualité. La montagne Lucas qui la domine, est indiquée par la nature comme chef-lieu d'un établissement im-. mense. C'est là que je projetai celui de la Compagnie.

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A six lieues du poste d'Oyapock, je trouvai sur un flet placé au milieu du fleuve qui forme dans cette partie une magnifique cascade, un soldat de Louis XIV, qui avait été blessé à la bataille de Malplaquet, et avait obtenu alors ses invalides. Il avait 110 ans en 1777, et vivait depuis 40 ans dans ce désert. Il était aveugle et nud, assez droit, très-ridé; la décrépitude était

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Voyez les plans et proès-verbaux, 3.e vol. de la collection.

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