Obrazy na stronie
PDF
ePub

K

chose que ce que l'on devrait ; enfin, la vie se passe à la remettre. >>

Hélas! mon philosophe a raison, la vie se passe à la remettre; c'est pour demain ou pour un tems plus éloigné, que nous faisons des projets de raison et de sagesse. Presque toute la vie se consume à se consoler de ses fautes par la résolution de n'en plus commettre : elle se passe à la remettre. Nous ne disposons point de nous ; nous nous laissons entraîner par le mouvement qui nous entoure, nous agite et nous égare loin de nos projets, de nos goûts, de notre bonheur. « Le sage seul dispose de son sort, « dit mon philosophe; les autres ne vont

pas, ils sont entraînés. » Mon ami, le sage seul me paraît heureux; car, quoi de plus heureux que de connaître la route qu'on doit suivre et de ne point s'en écarter! Rien ne m'a jamais paru plus misérable, plus petit, que d'abandonner sa vie à une suite de mouvemens sans but d'agitation sans intérêt. Cette vie déclare assez le vide de l'ame et l'absence de toute passion noble et intéressante. Ce n'est point dans un homme dissipé par choix, que je choisirais un ami. Cette succession de ta

et

bleaux mobiles et variés qui distrait l'ame sans l'attacher, qui est à l'esprit ce que la lanterne magique est aux yeux, nous enlève tout pouvoir de juger sainement et de sentir vivement. Car, peut-on apprécier et sentir ce que l'on ne voit qu'en courant ? L'ame s'use et se fatigue vainement en s'éparpillant ainsi. Les gens dissipés ne sentent point la vie. « Leur ame, dit mon philoso

[ocr errors]

phe, est un vase sans fond, d'où s'écou«<lent et s'échappent tous les plaisirs. L'ame, dit aussi Vauvenargues, aime à se reposer sur les objets que la Nature embellit. J'ai souvent senti cette vérité ; j'aime à revenir sans cesse sur les objets qui m'ont émue. Un beau spectacle, un bel ouvrage, un beau tableau de la nature ou de l'art, me rappellent souvent à eux et, en me découvrant de nouvelles beautés, m'offrent de nouvelles jouissances. Je ne sais si c'est lenteur ou incapacité d'esprit; mais il me faut du tems pour apprécier le mérite des choses et des hommes. Le sentiment cependant est plus prompt que la pensée, et acquiert un tact rapide par l'habitude de s'exercer. Je me rappelle, par exemple , que je devinai

presque tout ce que vous valez, la première fois que je vous vis. L'accord de vos accens et de votre langage, de vos manières et de votre physionomie, m'annonça un homme aussi honnête que je le trouvais aimable, et l'intérêt de vos regards me promit un ami. Il faut que ce soit là des indications justes de l'ame et du caractère, puisque vous m'avez tenu parole en vertus comme en amitié.

LETTRE IV.

:

Vous commencez à croire que je ne vous ai point exagéré le mérite de mon philosophe. Vous êtes frappé comme moi de la profonde justesse de ses idées, et de l'énergique éloquence avec laquelle il les exprime. Vous êtes impatient de le connaître. Mon ami, vous le connaîtrez un bien que je ne pourrais partager avec vous ne serait pas un vrai bien pour moi. Mon philosophe est d'ailleurs accessible à tout le monde, quoiqu'il n'aille au-devant de personne. Peutêtre même l'avez-vous rencontré quelquefois; mais prévenu, comme je l'étais d'abord moi même, par son apparente austérité, vous vous en serez éloigné. Combien je me sais gré de n'avoir pas cédé à cette première impression! quelle douceur et quelle force je puise dans son entretien ! je ne le quitte jamais sans me sentir plus de courage dans mes privations, plus de patience pour les contradictions, et plus d'indulgence pour tout ce qui m'entoure. Aussi

ai-je pour son entretien une sorte de passion qui me fait aspirer avec impatience au moment où je jouirai, sans distraction, de sa raison et de ses lumières. C'est une de ces ames actives, qui, lorsqu'elles dirigent leur énergie vers le bien, étendent les facultés de l'homme et présentent l'exemple et le modèle de la hauteur où il peut s'élever. Quoiqu'il doive beaucoup de ses vertus au soin qu'il a pris de les perfectionner, il croit que la nature en a jeté les semences dans toutes les ames. « Le vice, selon lui, est une « plante étrangère, qui périt aisément, si

l'on veut se donner quelques peines pour « l'extirper; la vertu s'y trouve dans son terrain naturel et s'enracine de plus en « plus; elle est dans l'ordre de la nature.

Le vice, au contraire, en est l'ennemi ». Combien j'aime cette philosophie, qui se borne à haïr le vice sans calomnier la nature humaine! en effet, je crois que l'homme, en cédant aux passions malfaisantes, les déteste toujours; car toujours il est malheureux tant qu'il s'y abandonne. Il est très-disposé au contraire à se passionner pour la vertu. Un des premiers sentimens des ames jeunes et bien nées, c'est de s'en

« PoprzedniaDalej »