Obrazy na stronie
PDF
ePub

SUR

LE CARACTÈRE ET LES ECRITS

DU DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.

FRANÇOIS, duc de la Rochefoucauld auteur des Réflexions morales, naquit en 1613.

Son éducation fut négligée; mais la nature suppléa à l'instruction.

Il avait, dit madame de Maintenon, une physionomie heureuse, l'air grand, beaucoup d'esprit et peu de savoir.

:

Le moment où il entra dans le monde était un tems de crise pour les mœurs nationales la puissance des grands, abaissée et contenue par l'administration despotique et vigoureuse du cardinal de Richelieu, cherchait encore à lutter contre l'autorité; mais à l'esprit de faction on avait substitué l'esprit d'intrigue.

L'intrigue n'était pas alors ce qu'elle est aujourd'hui ; elle tenait à des mœurs plus fortes, et s'exerçait sur des objets plus im

portans. On l'employait à se rendre nécessaire ou redoutable; aujourd'hui elle se borne à flatter et à plaire. Elle donnait de l'activité à l'esprit, au courage, aux talens, aux vertus même; elle n'exige aujourd'hui que de la souplesse et de la patience. Son but avait quelque chose de noble et d'imposant, c'était la domination et la puissance; aujourd'hui, petite dans ses vues comme dans ses moyens, la vanité et la fortune en sont le mobile et le terme. Elle tendait à unir les hommes; aujourd'hui elle les isole. Plus dangereuse alors, elle embarrassait l'administration et arrêtait les progrès d'un bon gouvernement; aujourd'hui, favorable à l'autorité, elle ne fait que rapetisser les ames et avilir les mœurs. Alors, comme aujourd'hui, les femmes en étaient les principaux instrumens; mais l'amour, ou ce qu'on honorait de ce nom, avait une sorte d'éclat qui en impose encore, et s'ennoblissait un peu en se mêlant aux grands intérêts de l'ambition; au lieu que la galanterie de nos jours, dégradée elle-même par les petits intérêts auxquels elle s'associe, dégrade et l'ambition et les ambitieux.

L'esprit de faction se ranima à la mort de

Richelieu. La minorité de Louis XIV parut aux grands un moment favorable pour reprendre quelque influence sur les affaires publiques. M. de la Rochefoucauld fut entraîné par le mouvement général; et des intérêts de galanterie concoururent à l'engager dans la guerre de la Fronde; guerre ridicule, parce qu'elle se faisait sans objet, sans plan et sans chef, et qu'elle n'avait pour mobile que l'inquiétude de quelques hommes plus intrigans qu'ambitieux, fatigués seulement de l'inaction et de l'obéissance.

Il était alors l'amant de la duchesse de Longueville. On sait qu'ayant été blessé au combat de Saint-Antoine d'un coup de mousquet qui lui fit perdre quelque tems la vue, il s'appliqua ces deux vers connus de la tragédie d'Alcyonée de Duryer :

Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J'ai fait la guerre aux rois; je l'aurais faite aux Dieux.

Lorsqu'il se brouilla ensuite avec madame de Longueville, il parodia ainsi ces vers:

Pour se cœur inconstant, qu'enfin je connais mieux,
J'ai fait la guerre aux rois; j'en ai perdu les yeux.

On voit, par la vie du dục de la Roche

foucauld qu'il s'engageait aisément dans une intrigue, mais que bientôt il montrait pour en sortir autant d'impatience qu'il en avait mis à y entrer. C'est ce que lui reproche le cardinal de Retz, et ce qu'il attribue à une irrésolution naturelle qu'il ne sait comment expliquer.

Il est aisé, ce me semble, de trouver dans le caractère de M. de la Rochefoucauld, une cause plus vraisemblable de cette conduite. Avec sa douceur naturelle, sa facilité de mœurs, son goût pour la galanterie, il lui était difficile de ne pas entrer dans quelque parti au milieu d'une cour où tout était parti, et où l'on ne pouvait rester neutre sans être au moins accusé de faiblesse. Mais, avec cette raison supérieure, cette probité sévère, cet esprit juste, conciliant et observateur, que ses contemporains ont reconnus en lui, comment eût-il pu s'accommoder long-tems de ces intrigues où le bien public n'était tout au plus qu'un prétexte; où chaque individu ne portait que ses passions et ses vues particulières, sans aucun but d'utilité générale; où les affaires les plus graves se traitaient sans décence et sans principes; où les plus grands intérêts étaient

F

sans cesse sacrifiés aux plus petits motifs; qui étaient enfin le scandale de la raison comme du gouvernement?

L'esprit de parti tient à la nature des gouvernemens libres : il peut s'y concilier avec la vertu et le véritable patriotisme. Dans une monarchie, il ne peut être suscité qué par un sentiment d'indépendance, ou par des vues d'ambition personnelle, également incompatibles avec un bon gouvernement; il y corrompt le germe de toutes les vertus, quoiqu'il puisse y mettre en activité des qualités brillantes qui ressemblent à des

vertus.

C'est ce que M. de la Rochefoucauld nè. pouvait manquer de sentir. Ainsi, quoiqu'îl eût été une partie de sa vie engagé dans des intrigues de parti, où sa facilité et ses liaisons semblaient l'entretenir malgré lui, on voit que son caractère le ramenait à la vie privée, où il se fixa enfin, et où il sut jouir des charmes de l'amitié et des plaisirs de l'esprit.

On connaît la tendre amitié qui l'unit jusqu'à la fin de sa vie à madame de la Fayette. Les Lettres de madame de Sévigné nous apprennent que sa maison était le

« PoprzedniaDalej »