Obrazy na stronie
PDF
ePub

NOTICE

sur

M. HENRI DARCY

PAR M. GIRARD DE CAUDEMBERG

Membre résidant.

MESSIEURS,

L'Académie, en m'honorant de son choix pour l'entretenir de M. Henri Darcy, ce membre si regrettable et si savant dont elle déplore la perte récente, a été au-devant du vœu de mon cœur. Rien ne pouvait plus adoucir chez moi l'amertume d'une séparation si cruelle et d'un chagrin si vif et si imprévu, que d'avoir à vous parler longuement et en détail de cet ami dont, plus que tout autre, j'ai pu apprécier les rares et excellentes qualités. En rassemblant toutes les honorables circonstances de sa vie, en vous exposant avec étendue tout ce qu'il a fait pour l'art des constructions et pour la science, en signalant surtout ses vertus antiques opposées dans leur stoïcisme à toutes les faiblesses de notre siècle, et qui permettent si bien de lui appliquer cette grande et célèbre épithète d'Horace : Justum et tenacem propositi virum, je croyais encore l'entendre auprès de moi et causer intimement avec lui. Je ne m'appesantirai pas sur des éloges qu'il n'aimait pas entendre, vous le savez tous, puisque tous vous l'avez connu; mais je raconterai simplement ce qu'il a été, ce qu'il a dit, ce qu'il a écrit, ce qu'il a fait, ce qu'il a aimé, et de ce récit sincère et sans

ornement l'éloge tout naturellement sortira, et en ce moment où ses cendres sont encore brûlantes pour vos souvenirs ce sera plus qu'une notice, ce sera une oraison funèbre.

Henri Darcy était né à Dijon le 10 juin 1803; dès l'âge de quatorze ans il avait perdu son père, et le soin de son éducation et de celle de son frère plus jeune resta entre les mains d'une mère qui les chérissait tous deux, et qui sut, par sa tendre sollicitude et ses sages conseils, les mettre à même d'acquérir, pour des carrières très-différentes, ces connaissances solides et étendues qui leur permirent plus tard d'occuper avec distinction les plus hautes fonctions publiques.

Henri Darcy suivit les cours du collége de Dijon et s'y fit remarquer par son application, sa sagacité et son ardeur pour les sciences mathématiques, et dès lors l'École polytechnique était un but qui ne pouvait lui échapper; il y entrait en effet en 1821, dans les premiers rangs, et y a soutenu jusqu'à sa sortie cet avantage de position qui assurait son entrée à l'Ecole d'application des ponts et chaussées. En 1826, il était déjà chargé, comme aspirant ingénieur, d'un des arrondissements du Jura, et le sort favorable voulut qu'un poste d'ingénieur devînt vacant à Dijon dès l'année suivante et qu'il pût l'obtenir. Cette circonstance, heureuse pour lui comme elle l'a été pour nous, le réunit à sa mère, à son frère, à ses amis, et lui rendit dans sa patrie la vie de famille, pour laquelle il était fait, et où il apportait, avec l'expansion de son cœur, cet esprit de saillie et cet entrain qui font le charme des relations intimes.

On n'avait pas cessé de se préoccuper à Dijon, depuis des époques déjà éloignées, des moyens de procurer à ses habitants des eaux assez abondantes et assez pures pour qu'ils pussent se passer des puits, qui n'offrent pour la plupart qu'une boisson malsaine et désagréable. Dès le XV. siècle la fontaine du Rosoir avait appelé l'attention des hommes à ce connaissant; d'autres avaient proposé de rendre le cours

de Suzon pérenne; d'autres voulaient élever les eaux de l'Ouche par des machines; d'autres, enfin, conduire dans la ville les fontaines abondantes de Neuvon et des Chartreux, ou celles plus voisines et plus élevées des environs du Creux-d'Enfer, la fontaine des Suisses et celle de Montmusard.

-

Mais en 1828 une nouvelle solution du problème se présentait avec des chances de se faire accepter par tout le monde. Les puits forés, dits puits artésiens, étaient devenus à la mode, et les succès récents et si remarquables obtenus par ce moyen à Paris et ailleurs par M. Mulot et d'autres habiles sondeurs pouvaient faire espérer les plus heureux résultats. C'est sous l'empire de ces idées qu'une société de souscripteurs se forma à Dijon pour faire l'acquisition d'un appareil de sondage et procéder à un essai. — Le Conseil municipal s'y associa pour une première somme de 3,000 fr. et choisit la place Saint-Michel pour le lieu du forage. L'opération commença au mois de mars 1829, sous la direction des ingénieurs du département, et M. Darcy y prit une bonne part. Le 6 août 1830, la sonde, qui était descendue à 150m 72c, s'enfonça tout à coup comme dans un vide; on avait atteint une nappe d'eau souterraine, qui remonta vivement par les tubes, mais sans jaillir au dehors. Les travaux qui se poursuivirent depuis cette époque dans le but d'obtenir mieux laissèrent le niveau de ces eaux vives à deux mètres en contre-bas du pavé de la place. M, Darcy constata alors lui-même que la source ainsi créée donnait une eau d'une excellente qualité, mais que, même en abaissant le niveau à dix mètres au-dessous du pavé de la place, elle ne pouvait fournir que 500 litres par minute, quantité insuffisante pour l'alimention d'eau de la ville de Dijon, dans le cas même où cette quantité obtenue eût été jaillissante, comme nous le dirons bientôt ; mais il n'en était pas ainsi, et il n'y avait guère lieu de l'espérer sur d'autres emplacements: c'est donc en s'appuyant sur les

meilleurs motifs que M. Darcy a reporté toutes ses espérances et toutes ses laborieuses recherches sur les moyens d'amener dans sa ville natale les eaux abondantes d'une des sources vives des environs.

La source du Rosoir lui ayant paru, dès les premières investigations, réunir toutes les conditions désirables, il se livra à l'étude de cette source et de tous les éléments de la question avec la sagacité supérieure dont il a fait preuve dans le reste de sa carrière.

Ses premières recherches eurent pour but de déterminer la quantité d'eau qui pouvait largement satisfaire aux besoins divers des habitants et à la salubrité de la ville par l'arrosage des rues et le nettoyage des ruisseaux. — Les données fournies par l'alimentation d'eau de plusieurs villes d'Angleterre et de France lui permirent de fixer avec un haut degré de certitude à 150 litres par jour et par habitant la quantité d'eau très-largement suffisante pour le service des particuliers et pour le service municipal; ce qui exige pour 30,000 habitants 4,500,000 litres par jour, ou 3,125 litres par minute.

Cette base posée, il fallait s'assurer que la fontaine du Rosoir pourrait fournir au moins cette quantité d'eau dans les mois les plus secs de l'année et dans les années les moins abondantes en pluie. M. Darcy se livra à cet effet pendant plusieurs années à des observations et à des jaugeages dont le détail est consigné dans son très-remarquable ouvrage sur les fontaines publiques de Dijon, publié seulement en 1856, que vous possédez, Messieurs, dans votre bibliothèque, et sur lequel nous reviendrons bientôt. Or, le résultat de ces expériences avait donné pour le minimum du produit de la source seulement 2,770 litres par minute; il y aurait donc eu déficit sur la quantité reconnue nécessaire, et d'autant plus qu'il ne fallait pas moins de 255 litres pour le service des communes de Messigny, Vantoux et Ahuy. Il faut même ajouter que ce déficit se serait précisément ma

« PoprzedniaDalej »