Obrazy na stronie
PDF
ePub
[ocr errors]

PRÉFAC E.

LETTRE DE L'AUTEUR.

Jz reçois, Monsieur, avec reconnoissance, les ob

servations que vous m'envoyez sur mon ouvrage. Si je suis sensible aux éloges que vous daignez en faire, j'aime trop la vérité pour me choquer de la franchise avec laquelle vous me proposez vos objections; je les trouve assez graves, pour mériter toute mon attention. Ce seroit être bien peu philosophe, que de n'avoir

pas

le courage d'entendre contredire ses opinions. Nous ne sommes point des théologiens; nos démêlés sont de nature à se terminer à l'amiable; ils ne doivent ressembler en rien à ceux des apôtres de la superstition, qui ne cherchent qu'à se surprendre mutuellement par des argumens captieux, et qui, aux dépens de la bonne foi, ne combattent jamais que pour défendre la cause de leur vanité et de leur propre entêtement. Nous désirons tous deux le bien du genre humain; nous cherchons la vérité; nous ne pouvons, cela posé, manquer d'être d'accord.

Vous commencez par admettre la nécessité d'examiner la religion et de soumettre ses opinions au tribunal de la raison; vous convenez que le christianisme ne peut soutenir cet examen, et qu'aux yeux du bon sens il ne paroîtra jamais qu'un tissu d'absurdités, de fables décousues, de dogmes insensés, de cérémonies puériles, de notions empruntées des Chaldéens, des Egyptiens, des Phéniciens, des Grecs et des Romains. En un mot, vous avouez que ce systême religieux n'est que le produit informe de presque toutes les anciennes superstiTome IV. A

tions, enfantées par le fanatisme oriental, et diversement modifiées par les circonstances et les préjugés de ceux qui se sont depuis donnés pour des inspirés, pour des envoyés de Dieu, pour des interprêtes de ses volontés nouvelles.

و

Vous frémissez des horreurs que l'esprit intolérant des chrétiens leur a fait commettre, toutes les fois qu'ils en ont eu le pouvoir; vous sentez qu'une religion, fondée sur un Dieu sanguinaire, ne peut être qu'une religion de sang; vous gémissez de cette phrénésie, qui s'empare dès l'enfance de l'esprit des princes et des peuples et les rend également esclaves de la superstition et des prêtres, les empêche de connoître leurs véritables intérêts les rend sourds à la raison, les détourne des grands objets qui devroient les occuper. Vous reconnoissez qu'une religión fondée sur l'enthousiasme ou sur l'imposture, ne peut avoir de principes assurés, doit être une source éternelle de disputes, doit toujours finir par causer des troubles, des persécutions et des ravages, sur-tout lorsque la puissance politique se croira indispensablement obligée d'entrer dans ses querelles. Enfin, vous allez jusqu'à convenir qu'un bon chrétien, qui suit littéralement la conduite que l'évangile lui prescrit comme la plus parfaite,, ne connoît en ce mondé aucun des rapports sur lesquels la vraie morale est fondée, et ne peut être qu'un misantrope inutile s'il manque d'énergie, et n'est qu'un fanatique turbulent s'il a l'ame échauffée.

Après ces aveux, comment peut-il se faire que vous jugiez que mon ouvrage est dangereux ? Vous me dites que le sage doit penser pour lui seul; qu'il faut une religion, bonne ou mauvaise, au peuple ;. qu'elle est un frein nécessaire aux esprits simples et grossiers, qui sans elle n'auroient plus de motifs pour s'abstenir du

[ocr errors]

crime et du vice. Vous regardez la réforme des préjugés religieux comme impossible; vous jugez que les princes, qui peuvent seuls l'opérer, sont trop intéressés à maintenir leurs sujets dans un aveuglement dont ils profitent. Voilà, si je ne me trompe, les objections les plus fortes que vous m'ayez faites, je vais tâcher de les lever.

D'abord je ne crois pas qu'un livre puisse être dangereux pour le peuple. Le peuple ne lit pas plus qu'il ne raisonne; il n'en a ni le loisir, ni la capacité: d'un autre côté, ce n'est pas la religion, c'est la loi qui contient les gens du peuple, et quand un insensé leur droit de voler ou d'assassiner, le giber les avertiroit de n'en rien faire. Au surplus, si par hazard il se trouvoit parini le peuple un homme en état de lire un ouvrage philosophique, il est certain que cet homme ne seroit pas communément un scélérat à craindre.

Les livres ne sont faits que pour la partie d'une nation, que les circonstances, son éducation, ses sentimens, mettent au-dessus du crime. Cette portion éclairée de la société, qui gouverne l'autre, lit et jugé les ouvrages; s'ils contiennent des maximes fausses ou nuisibles, ils sont bientôt ou condamnés à l'oubli, ou dévoués à l'exécration publique s'ils contiennent des vérités, ils n'ont aucun danger à courir. Ce sont les fanatiques, les prêtres et les ignorans, qui font les révolutions; les personnes éclairées, désintéressées et sensées, sont toujours amies du repos.

Vous n'êtes point, Monsieur, du nombre de ces penseurs pusillanimes, qui croyent que la vérité soit capable de nuire; elle ne nuit qu'à ceux qui trompent les hommes, et elle sera toujours utile au reste du genre humain. Tout a dû vous convaincre depuis long-tems que tous les maux, dont notre espèce est affligée, ne

[ocr errors]

viennent que de nos erreurs de nos intérêts mal entendus, de nos préjugés, des idées fausses que nous attachons aux objets.

En effet, pour peu que l'on ait de suite dans l'esprit il est aisé de voir que ce sont en particulier les préjugés religieux qui ont corrompu la politique et la morale. Ne sont-ce pas nos idées religieuses et surnaturelles qui firent regarder les souverains comme des dieux ? C'est donc la religion qui fit éclore les despotes et les tyrans; ceux-ci firent de mauvaises loix (2); leur exemple corrompit les grands; les grands corrompirent les peu

ples; les peuples viciés devinrent des esclaves malheureux, occupés à se nuire, pour plaire à la grandeur, et pour se tirer de la misère. Les Rois furent appellés les images de Dieu; ils furent absolus comme lui; ils créèrent le juste et l'injuste, leurs volontés sanctifièrent souvent l'oppression, la violence, la rapine; et ce fur par la bassesse, par le vice et le crime, que l'on obtint la faveur. C'est ainsi que les nations se sont remplies de citoyens pervers qui, sous des chefs corrompus par des nations religieuses, se firent continuellement une guerre ouverte ou clandestine, et n'eurent aucuns motifs pour pratiquer la vertu.

Dans des sociétés ainsi constituées, que peut faire la religion? Ses terreurs éloignées, ou ses promesses ineffables, ont-elles jamais empêché les hommes de sè livrer à leurs passions, ou de chercher le bonheur par les voies les plus faciles: Cette religion a-t-elle influé sur les mœurs des souverains, qui lui doivent leur pouvoir divin? Ne voyons-nous pas des, princes, remplis de foi, entreprendre à chaque instant les guerres

(1) Cette vérité est dans tout son jour dans les Recherches sur l'ori gine du Despotisme oriental.

« PoprzedniaDalej »