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<< Ah! il n'en fut pas de même de la vieille sorcière Jeanneton. Et c'est là le mal! Lorsqu'elle s'en vint près de la comtesse avec ses douze enfants, criant et tenant des propos discourtois, la comtesse se trouvait avoir vidé son escarcelle, et elle lui dit:

((— Dieu vous assiste; il ne me reste plus rien à donner aujourd'hui.

<< - J'ai douze enfants, dit la maléficière.

<<―Je n'en aurai point autant, dit en riant la comtesse, à une de ses suivantes.

Il me faut des aumônes! répliqua la sorcière, il m'en faut, il m'en faut!

« Le rouge, à des propos si malséants, monta au visage de la fière comtesse.

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Va-t'en, s'écria-t-elle, va-t'en, maudite lice, toi et ta nichée de douze petits chiens!

«—Ah! s'écria la sorcière Jeanneton! ah! tu ris de mes douze enfants! tu veux qu'ils meurent de faim, belle dame! Tu en auras des enfants, et plus de douze, et ils mourront tous, et le beau neveu de ton mari portera la couronne de comte.

<«< Elle aurait dit bien d'autres menaces, mais les gardes de la comtesse éloignèrent la méchante femme.

« Quand la comtesse revint chez elle, soit à cause de cette aventure, soit à cause de la fatigue du voyage, elle se sentit prise des douleurs de l'enfantement.

«Le comte en ressentit un grand désespoir.

Oh! c'est pour le coup, s'écria-t-il, qu'ils auront beau jeu, les calomniateurs qui s'en vont répandant partout que la comtesse n'est point vraiment grosse; ils ne

manqueront pas de prôner haut et ferme que c'est exprès et pour tromper les yeux clairvoyants qu'elle s'en est venue faire ses couches à Cambray, loin de son pays. « Tout à coup il se prit à dire :

« Ah! je sais un moyen de mettre leur malice en défaut. Çà! vite et sus, mon sénéchal, faites tendre sur le marché une ample, somptueuse et magnifique tente sous laquelle je veux que madame Méhaut, ma femme, accouche, consentant et permettant qu'il soit loisible à toutes les femmes de bien, qui en auront volonté, d'assister et d'être présentes au travail de ladite dame. Le tout afin d'ôter à un chacun le doute et le bruit, répandus par malice, de la stérilité de ladite comtesse Méhaut.

<< Hélas! cet acte merveilleusement louable, et digne de perpétuelle mémoire, en tant même que, par cela, le comte montrait évidemment le souci qu'il ressentait pour le repos et la tranquillité de ses vassaux, cet acte tourna à la confusion de la comtesse et au terrible enseignement de toute la chrétienté. La tente se construisit en moins d'une heure, et les nobles dames entrèrent, tandis que les pauvres femmes de ma sorte restèrent alentour. Bon nombre de gens d'armes à cheval tenaient éloignés les curieux, qui, ne portant pas bėguin, n'avaient point droit d'admission.

<«< Or, la prédiction de la sorcière Jeanneton ne s'est que trop accomplie. La comtesse était accouchée de son dixième enfant quand on nous fit écarter par ordre de monseigneur d'Henneberch, auquel les sages-femmes venaient de dire quelque chose à l'oreille, »>

Le récit de la vieille Berthe n'était que trop vrai; e t

s'il faut en croire la tradition, il se passa dans la tente du marché au bois une bien autre terrible merveille : ce ne fut pas de douze enfants, mais, hélas! de trois cent soixante-cinq qu'accoucha la noble dame.

Cela est-il? cela n'est-il point? Nul ne peut le dire; car un prêtre et les sages-femmes surent seuls ce qui s'était passé, et le comte leur remit une grosse somme de sols d'or, avec menace de les faire mourir si jamais il était proféré par eux un mot de l'accouchement de la comtesse.

La comtesse trépassa vers l'aube, on la mit nuitamment au caveau de l'église métropolitaine de Notre-Dame, et quarante grands cercueils de plomb, qui contenaient les trois cent soixante-cinq enfants (car on disait ces enfants petits et menus), furent trouvés auprès de la bière de la comtesse, lorsqu'on ouvrit ce caveau deux cents années après les événements véridiques qui sont racontés en cette légende.

On brûla vive la sorcière Jeanneton au Coupe-Oreille, et on la conduisit au bûcher, bâillonnée et sans qu'on lui eût fait de procédure.

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Mathias Wilmart était le meilleur ménétrier de la ville d'Hesdin. Dans aucun village, à dix lieues à la ronde, on n'aurait dansé de bon cœur si tout autre que Mathias Wilmart eût joué de la basse-de-viole. Aussi n'était-il pas un personnage de peu d'importance il s'asseyait à table avec les parents des mariés; l'épousée, qui, suivant l'usage du servait les convives durant le repas, pays, manquait point de lui donner les meilleurs morceaux; enfin, lorsqu'il commençait quelques propos, chacun prêtait l'oreille, car nul ne savait mieux que lui raconter une histoire, chanter une chanson ou dire une joyeuse plaisanterie.

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Par un soir d'hiver, il y avait une noce à Auffin : la danse se prolongea fort tard, et depuis longtemps la nuit était venue quand Mathias, chargeant sur son dos la

basse-de-viole dont il avait joué avec tant de talent, annonça qu'il allait partir. On fit tous les efforts imaginale dissuader de cette résolution.

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Restez avec nous, père Mathias, lui disait un chacun : le vent souffle de bise; il gêle à pierre fendre; la forêt d'Hesdin, qu'il vous faudra traverser, ne jouit guère d'un bon renom elle est hantée par des loups et des détrousseurs, non moins à craindre, sans compter les sorciers, qui viennent y tenir le sabbat.

- J'ai un gobelet d'excellent vin dans le corps, répondit l'opiniâtre vieillard; un bon manteau fourré couvre mes épaules, et voici dans ma main un gros bâton ferré : avec cela je défie le froid, les loups et les larrons. Quant aux sorciers et aux diables, si j'en rencontre, je les ferai danser au bruit de ma basse-de-viole. Ils me diront, corbleu! si les ménétriers d'enfer savent jouer de l'archet comme Mathias Wilmart d'Hesdin!

En achevant ces paroles, qui firent rire les jeunes gens et hocher, en signe de blâme, la tête aux vieillards plus. sensés, il s'enveloppa de son manteau, et se mit à marcher d'un pas ferme dans le sentier qui traverse la forêt et qui conduit à Hesdin.

Il n'y avait guère plus d'un quart d'heure qu'il était en route, quand le ciel, jusque-là bien étoilé, se couvrit tout à coup d'un nuage immense. L'obscurité devint effrayante. Alors le ménétrier se surprit à regretter le bon lit qu'on lui avait offert à Auffin. Mais il était trop tard pour retourner sur ses pas. D'ailleurs, après les bravades qu'il avait faites, on ne manquerait pas de le narguer, en disant que la peur le ramenait. Il continua donc à mar

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