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tante, et celle dont vous demandiez particulièrement d'être instruite dès le commencement de cet entretien. Je ne sais comment il est arrivé que nous avons passé d'un discours à un autre, sans avoir rien touché de ce que j'avois préparé sur cela pour contenter votre curiosité. Ne vous en repentez pas néanmoins, et reconnoissez devant Dieu que vous aviez besoin de cette dernière leçon sur l'oraison de simple regard, pour plier votre entendement à ne penser non plus que si vous n'en aviez point.

Tenez, Madame, j'ai connu une jeune fille de dix-huit ans (je la dirigeois et la disposois à la contemplation acquise). Elle m'ouvrit un jour son cœur sur toutes les petites peines qu'elle éprouvoit dans les voies de Dieu, et surtout dans l'oraison. C'étoit un esprit libre, enjoué; elle me dit brusquement « Voulez-vous, mon Père, que je vous dise franchement ce qui en est? je ne saurois penser à la Suissea: quand je pense, il faut que ce soit à quelque chose. » Je lui repartis qu'elle ne pensât à rien : « C'est, me dit-elle, ce qui est absolument impossible, et n'osant point penser à de bonnes choses, je pense à des sottises : c'est tout ce qui me reste; car votre vue confuse et indistincte de Dieu, cela est bientôt expédié, et je n'en ai pas pour deux instants. » Elle me fit un peu rire. Hélas! présentement, Madame, je voudrois que vous la connussiez, c'est une souche, c'est une poutre, c'est un corps mort'; elle est si fort vidée de son propre esprit,

a. « Réver à la Suisse, c'est ne penser à rien. » (Dictionnaire de Trévoux.)

1. « Vouloir agir activement, c'est offenser Dieu, lequel veut être le seul agent; et pour cela il faut s'abandonner à lui et demeurer ensuite comme un corps mort. La nature agissante empêche l'opération de Dieu et la vraie perfection, parce que Dieu veut agir en nous sans nous. » (Propositions de Molinos condamnées*.) Il y en a qui sont élevés par une grâce extraordinaire, de sorte que l'âme se trouve quasi dans une pure passiveté; elle

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....

* Velle operari active est Deum offendere, qui vult esse ipse solus agens; et ideo opus est seipsum in Deo totum et totaliter derelinquere, et postea permanere velut corpus exanime. Activitas naturalis est gratia inimica, impeditque Dei operationes et veram perfectionem, quia Deus vult operari in nobis sine nobis. (Propositions a et 4.)

LA BRUYÈRE. II

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on l'a si fort accoutumée à ne plus faire aucune opération, qu'on diroit qu'elle l'a perdu. Ses parents et ses amis, qui n'étant point des nôtres, ne peuvent approuver son genre de vie, font malicieusement courir le bruit que les excès qu'elle a faits dans la prière ont altéré sa raison, et l'ont rendue imbécile. Je vous la ferai connoître, c'est une bonne âme. Mais adieu, je vous chasse; il est heure indue.

LA PÉNITENTE. Je ne m'en apercevois pas en votre compa gnie, mon Père; il faut pourtant s'en priver et se recommander à vous.

Le directeur. A moi, fort bien, et non pas à mes prières.

n'agit plus, elle ne fait que pâtir, recevant.... les lumières divines en leur entendement, et les transports amoureux, et les ardeurs sacrées en leur volonté; d'elles-mêmes elles ne s'appliquent à quoi que ce soit.» (L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, p. 186.) Demande de Philothée, dans les mêmes Conférences mystiques de l'abbé d'Estival: « J'opinerois pourtant de ce qui a été dit pour les actes, et que vous nous donnerez permission de descendre de temps en temps à la méditation affective, ou comme vous avez dit, aux aspirations amoureuses *. Et en vérité, ce ne seroit pas une petite consolation pour la pauvre nature, qui est si souvent accablée dans les sécheresses et dans les distractions. Notre esprit naturel anroit.... un peu plus de liberté; il est extrêmement resserré das le simple regard, où l'on restreint son activité à ne rien faire, et quoique les aspirations affectives soient des actes de volonté, l'entendement pourtant y a toujours grande part. » Réponse da directeur: «< Tous ces moyens de nature que vous proposez, Phisthée, ne sont pas fort propres pour me porter du côté des actes et des aspirations; je préférerai toujours la pure passiveté, la me et le néant de l'entendement,... à toutes les plus belles aspiretions.» (Page 273.)

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inspirations amoureuses; » mas

DIALOGUE III.

Propriété et activité, source de tout le mal selon les quiétistes. Obscurité, embarras et contradictions de cette doctrine. Qu'elle ruine la liberté de l'homme et sa coopération à la grâce; erreur condamnée d'anathème par le concile de Trente.

La pénitente. Que j'ai perdu, mon Père, de ne vous avoir pas encore entendu discourir à fond de ce principe corrompu de toutes nos actions, que vous appelez propriété et activité! Le directeur. Pourquoi, Madame ?

LA PÉNITENTE. Parce, mon Père, que ce que vous m'en auriez appris m'auroit été d'un grand secours dans une conversation que j'eus avant-hier avec mon beau-frère.

LE DIRECTEUR. Qui? Monsieur l'abbé?

La pénitente. Lui-même, le docteur de Sorbonne.

Le directeur. Voilà, Madame, un nom fort respectable. N'êtes-vous point encore toute émue, quand vous pensez que vous avez osé tenir contre un docteur? Que seroit-ce si vous aviez disputé contre votre curé, ce personnage si éclairé, cet homme de bien? Mais contre votre évêque, quelle rébellion! Apprenez, ma fille, que chez nous on ne fait aucune acception du plus ou du moins des dignités ecclésiastiques, et que la mesure de notre estime, de nos déférences et de notre vénération est celle de l'union plus intime et plus essentielle d'une âme avec Dieu par l'oraison de simple regard.

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Mais sans sortir de notre sujet, sachons, je vous supplie, ma chère fille, quelle a été l'occasion, le progrès et les suites de l'entretien que vous avez eu avec Monsieur le docteur?

LA PÉNITENTE. Ce fut, mon Père, jeudi dernier, qu'on apporta le chanteau au logis, pour rendre demain le pain bénit. LE DIRECTEUR. Comment cela nous mènera-t-il à la propriété et à l'activité ?

LA PÉNITENTE. Vous le verrez, mon Père. Nous venions de

a. Il y a ici, et plus loin, p. 583, acceptation, au lieu d'acception, dans les anciennes impressions.

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diner quand les bedeaux entrèrent. Ils furent à peine sortis, que mon beau-frère me souriant : « Hé bien! ma sœur, me dit-il, vous rendrez le pain bénit dimanche prochain? — Il y Si l'on en juge par a apparence, lui dis-je. les apparences, repartit-il, j'oserois bien assurer que vous ne le rendrez pas. Que voulez-vous dire, mon frère? lui répondis-je; dans quelle pieuse distraction êtes-vous? hé! ne voyez-vous pas le chanteau que les bedeaux de notre paroisse ont laissé sur la table? — Le chanteau n'est rien, continua-t-il, et les bedeaux encore moins. · Oh, oh! lui dis-je, à qui en avez-vous donc? cela est fort plaisant, je vous assure. Plus plaisant, reprit mon beau-frère, que vous ne pensez, et que vous ne sauriez dire; mais je persiste à vous soutenir que vous ne rendrez pas dimanche le pain bénit. Vous avez donc révélation que je mourrai avant dimanche ? Vous ne mourrez point pour cela, me dit-il; mais vous serez à la vérité fort embarrassée. Hé, de quoi? lui dis-je, embarrassée: c'est vraiment un grand embarras que de rendre un pain bénit! — Vous avez donc, me demanda-t-il, une grande envie de le rendre? Fort grande, lui dis-je. Vous songerez à l'ordonner dès aujourd'hui ? Moi, ou mes gens, ajoutai-je. Et s'ils y manquoient, vous en seriez fâchée ? — Oui, en vérité. Et dimanche, poursuivit-il, vous vous préparerez à aller à l'église, vous choisirez votre offrande selon votre dévotion, et vous rendrez votre pain bénit?

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Qui en doute?

Moi, me dit-il en riant; et ma raison est que je ne saurois me persuader que ma belle-sœur s'expose à faire un péché, plutôt que de manquer à une pure cérémonie, et où il n'y a au plus qu'une obligation de bienséance. - Comment, mon frère, un péché? je suis bien simple et je m'aperçois bien tard que vous plaisantez, sans voir néanmoins, je vous l'avoue, sur quoi peut rouler la plaisanterie. — Je parle, dit-il, fort sérieusement, ma sœur; et je vous soutiens, que songer à faire un pain bénit, songer à l'aller présenter à l'autel avec une pièce d'or, telle que vous la jugez convenable, se soumettre soi et son offrande à la bénédiction du prêtre, que tout cela est une action qui part de notre volonté pure; que l'on n'en useroit pas ainsi, si l'on ne s'y étoit absolument déterminé soi-même; qu'il n'y a donc point là d'évacuation

de notre propre action; que l'esprit d'Adam se retrouve là tout entier; et que si vous en étiez tout à fait dépouillée, vous demeureriez sur cela dans une parfaite indifférence, et ne feriez jamais la démarche de rendre le pain bénit. »

LE DIRECTEUR. Ne trouvâtes-vous pas, ma fille, aisément ce qu'il falloit lui répondre ?

LA PÉNITENTE. Je vous avoue, mon Père, que je ne m'attendois pas à cette subtilité de mon beau-frère : je demeurai assez interdite ; mais ayant un peu repris mes esprits, je crus que je pouvois lui répondre; et afin que je connoisse si j'ai parlé juste, dites-moi, mon Père, ce que vous lui auriez répondu vous-même.

Le directeur. Que la coutume, la qualité de paroissienne, l'usage, votre tour qui revenoit, le chantea:, étoient des raisons plus que suffisantes pour s'acquitter de ce devoir envers votre curé et votre paroisse; qu'il ne vous falloit point d'autre indice de la volonté de Dieu que celui-là qu'ainsi ce genre de détermination, surtout pour une action de petite importance, ne pouvoit que très-injustement et même très-ignoramment (vous pouviez aller jusque-là) être qualifié de péché. LA PÉNITENTE. Je ne lui ai presque pas, mon Père, répondu autre chose.

Le directeur. Cela lui devoit fermer la bouche.

LA PÉNITENTE. Au contraire, il prit occasion de ce que j'avois dit que rendre le pain bénit étoit une action presque indifférente, et qui ne méritoit point, pour s'y résoudre, de mouvement extraordinaire, de me dire que je reconnoissois donc dans les hommes plusieurs genres d'actions; et il m'expliqua sa pensée, en me demandant si je ne savois pas bien distinguer les actions nécessaires et naturelles, comme manger, dormir, tousser, faire digestion, d'avec les actions libres mais indifférentes, comme parler de nouvelles, de la pluie et du beau temps, se promener dans une allée plutôt que dans une autre; et celles-ci d'avec les actions libres et mauvaises, comme parler mal de quelqu'un, voler, tuer, s'enivrer; et ces dernières encore d'avec les actions vertueuses, comme prier Dieu, donner l'aumône, empêcher la médisance, s'humilier, entendre la messe, communier. Je lui dis que je connoissois ces différences. Il me demanda si je croyois que les actions

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