Obrazy na stronie
PDF
ePub

60.

61.

62.

63.

64.

On ne vit point assez pour profiter de ses fautes. On en commet1 pendant tout le cours de sa vie; et tout ce que l'on peut faire à force de faillir, c'est de mourir corrigé. Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'avoir su éviter de faire une sottise2.

3

Le récit de ses fautes est pénible; on veut les couvrir et en charger quelque autre : c'est ce qui donne le pas au directeur sur le confesseur.

Les fautes des sots sont quelquefois si lourdes et si difficiles à prévoir, qu'elles mettent les sages en défaut, et ne sont utiles qu'à ceux qui les font. (ÉD. 6.)

L'esprit de parti abaisse les plus grands hommes jusques aux petitesses du peuple.

Nous faisons par vanité ou par bienséance les mêmes choses, et avec les mêmes dehors, que nous les ferions par inclination ou par devoir. Tel vient de mourir à

1. VAR. (édit. I et certains exemplaires de 2): L'on ne vit point assez.... L'on en commet, etc.

2. Ce n'est que dans la 7o édition que cette réflexion a été rapprochée de la précédente. Elle formait précédemment une remarque distincte.

3. VAR. (édit. 1 et certains exemplaires de 2) : on aime au contraire à les couvrir et en charger quelque autre; (édit. 3 et d'autres exemplaires de a) on aime, etc. .... et à en charger quelque autre; (édit. 4) on s'efforce au contraire de les couvrir et d'en charger quelque autre.

4. « On ne connoît point assez que c'est la vanité qui donne le branle à la plupart de nos actions », avait dit Malebranche dans un passage que M. Damien (Étude sur la Bruyère et Malebranche, p. 58 et 59) rapproche des remarques 64, 65, 66 et 75 du chapitre des Jugements. Voyez dans la Recherche de la vérité, livre II, 2o partie, le chapitre vii (de la Préoccupation des commentateurs), où Malebranche a voulu démontrer que l'amour-propre conduit toujours les commentateurs à

Paris de la fièvre qu'il a gagnée à veiller sa femme, qu'il n'aimoit point.

Les hommes, dans le cœur, veulent être estimés, et 65. ils cachent avec soin l'envie qu'ils ont d'être estimės; parce que les hommes veulent passer pour vertueux, et que vouloir tirer de la vertu tout autre avantage que la même vertu1, je veux dire l'estime et les louanges', ce ne seroit plus être vertueux, mais aimer l'estime et les louanges, ou être vain3 : les hommes sont très-vains, et ils ne haïssent rien tant que de passer pour tels. (ÉD. 4.)

Un homme vain trouve son compte à dire du bien ou 66. du mal de soi: un homme modeste ne parle point de soi. (Éd. 4.)

On ne voit point mieux le ridicule de la vanité, et combien elle est un vice honteux, qu'en ce qu'elle n'ose se montrer, et qu'elle se cache souvent sous les apparences de son contraire 3. (ÉD. 4.)

louer les auteurs au delà de leurs mérites, lors même qu'ils ne s'aperçoivent point qu'en cela ils obéissent à la vanité, « si naturelle à l'homme qu'il ne la sent pas. » —— « La vertu n'iroit pas loin si la vanité ne lui tenoit compagnie », écrit de son côté la Rochefoucauld (no cc).

1. VAR. (édit. 4-7): tout autre avantage que la vertu même. 2. VAR. (édit. 4) : comme seroient l'estime et les louanges. 3. VAR. (édit. 4-6): et être vain.

4. « On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler.» (La Rochefoucauld, n° cxxxvIII.) — « .... Se priser et se mespriser, écrit Montaigne (livre III, chapitre XIII, tome IV, p. 106) en traduisant un passage d'Aristote (Morale à Nicomaque, livre IV, chapitre XIII), naissent souuent de pareil air d'arrogance.... » Voyez plus loin, p. 32, note 2, le commentaire qu'a fait Malebranche du passage où Montaigne cite ainsi Aristote.

5. « L'humilité n'est souvent qu'une feinte soumission, dont on se sert pour soumettre les autres; c'est un artifice de l'orgueil qui s'abaisse pour s'élever; et bien qu'il se transforme en mille manières,

La fausse modestie est le dernier raffinement de la vanité; elle fait que l'homme vain ne paroît point tel, et se fait valoir au contraire par la vertu opposée au vice qui fait son caractère : c'est un mensonge. La fausse gloire est l'écueil de la vanité; elle nous conduit à vouloir être estimés par des choses qui à la vérité se trouvent en nous, mais qui sont frivoles et indignes qu'on les relève : c'est une erreur. (ÉD. 4.)

67. Les hommes parlent de manière, sur ce qui les regarde, qu'ils n'avouent d'eux-mêmes que de petits défauts1, et encore ceux qui supposent en leurs personnes de beaux talents ou de grandes qualités. Ainsi l'on se plaint de son peu de mémoire, content d'ailleurs de son

lors

il n'est jamais mieux déguisé et plus capable de tromper que
qu'il se cache sous la figure de l'humilité. » (La Rochefoucauld,
n° CCLIV.)

1. « Nous n'avouons de petits défauts que pour persuader que nous n'en avons pas de grands. » (La Rochefoucauld, no cccxxvii.)

2. En faisant cette remarque, la Bruyère, dit M. Damien (Étude sur la Bruyère et Malebranche, p. 59), « semble avoir voulu généraliser les réflexions de Malebranche sur la vanité de Montaigne. » Voici le passage de Malebranche dont il s'agit: « C'est donc vanité, et une vanité indiscrète et ridicule à Montagne de parler avantageusement de lui-même à tout moment. Mais c'est une vanité encore plus extravagante à cet auteur de décrire ses défauts; car si on y prend garde, on verra qu'il ne découvre guère que ceux dont on fait gloire dans le monde à cause de la corruption du siècle; qu'il s'attribue volontiers ce qui peut le faire passer pour esprit fort, et lui donner l'air cavalier; et afin que par cette franchise simulée de la confession de ses désordres, on le croie plus volontiers dans les choses qu'il dit à son avantage. Il a raison de dire que se priser et se mespriser naissent souuent de pareil air d'arrogance. C'est toujours une marque certaine que l'on est plein de soi-même; et Montagne me paroît encore plus fier et plus vain quand il se blâme que lorsqu'il se loue, parce que c'est un orgueil insupportable que de tirer vanité de ses défauts au lieu de s'en humilier.» (De la Recherche de la vérité, livre II, 3e partie, chapitre v, tome I, p. 328.`

grand sens et de son bon jugement'; l'on reçoit le reproche de la distraction et de la rêverie, comme s'il nous accordoit le bel esprit; l'on dit de soi qu'on est maladroit, et qu'on ne peut rien faire de ses mains, fort consolé de la perte de ces petits talents par ceux de l'esprit, ou par les dons de l'âme que tout le monde nous connoît; l'on fait l'aveu de sa paresse en des termes qui signifient toujours son désintéressement, et que l'on est guéri de l'ambition; l'on ne rougit point de sa malpropreté, qui n'est qu'une négligence pour les petites choses, et qui semble supposer qu'on n'a d'application que pour les solides et essentielles 2. Un homme de guerre aime à dire que c'étoit par trop d'empressement ou par curiosité qu'il se trouva un certain jour à la tranchée, ou en quelque autre poste très-périlleux, sans être de garde ni commandé; et il ajoute qu'il en fut repris de son général. De même une bonne tête ou un ferme génie qui se trouve né avec cette prudence que les autres hommes

3

note 2,

1. Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement. » (La Rochefoucauld, no Lxxxix.) Dans la page même qui contient la citation faite ci-dessus, p. 32, Malebranche fait la remarque suivante: « Si nous croyons Montagne sur sa parole, nous nous persuaderons que c'étoit un homme de nulle retention, qu'il n'avoit point de gardoire, que la mémoire lui manquoit du tout*, mais qu'il ne manquoit pas de sens et de jugement. Cependant, si nous en croyons le portrait même qu'il a fait de son esprit, je veux dire son propre livre, nous ne serons pas tout à fait de son sentiment. » 2. VAR. (édit. 4-6): et les essentielles.

3. VAR. (édit. 4): ni commandé; il ajoute même.

* Et si ie suis homme de quelque leçon, ie suis homme de nulle retention » (livre II, chapitre x, tome II, p. 112). — « le m'en vois escorniflant par cy par là des liures les sentences qui me plaisent, non pour les garder (car ie n'ay point de gardoire).... » (livre I, chapitre xxiv, tome I, p. 173). « Elle (la mémoire) me manque tout (livre II, chapitre xvII, tome II, p. 497). Il est d'autres passages encore où Montaigne se plaint de sa mémoire : voyez tome I, p. 45; tome II, p. 129; et tome IV, p. 145.

LA BRUYÈRE. II

3

du

68.

69.

cherchent vainement à acquérir; qui a fortifié la trempe de son esprit par une grande expérience; que le nombre, le poids, la diversité, la difficulté et l'importance des affaires occupent seulement, et n'accablent point; qui par l'étendue de ses vues et de sa pénétration se rend maître de tous les événements; qui bien loin de consulter toutes les réflexions qui sont écrites sur le gouvernement et la politique, est peut-être de ces âmes sublimes nées pour régir les autres, et sur qui ces premières règles ont été faites; qui est détourné, par les grandes choses qu'il fait, des belles ou des agréables qu'il pourroit lire, et qui au contraire ne perd rien à retracer et à feuilleter, pour ainsi dire, sa vie et ses actions: un homme ainsi fait peut dire aisément, et sans se commettre, qu'il ne connoît aucun livre, et qu'il ne lit jamais. (ÉD. 4.)

On veut quelquefois cacher ses foibles, ou en diminuer l'opinion par l'aveu libre que l'on en fait. Tel dit : « Je suis ignorant, » qui ne sait rien; un homme dit : « Je suis vieux, » il passe soixante ans; un autre encore : « Je ne suis pas riche, » et il est pauvre. (ÉD. 5.)

La modestie n'est point, ou est confondue avec une chose toute différente de soi, si on la prend pour un sentiment intérieur qui avilit l'homme à ses propres yeux, et qui est une vertu surnaturelle qu'on appelle humilité. L'homme, de sa nature, pense hautement et superbement de lui-même, et ne pense ainsi que de lui-même : la modestie ne tend qu'à faire que personne n'en souffre; elle est une vertu du dehors, qui règle ses yeux, sa démarche, ses paroles, son ton de voix, et qui le fait agir extérieurement avec les autres comme s'il n'étoit pas vrai qu'il les compte pour rien. (Ed. 4.)

« PoprzedniaDalej »