Obrazy na stronie
PDF
ePub

alors âgé de quatre-vingts ans. Ses deux camarades, Turlupin et Gauthier Garguille, furent tellement frappés de ce double accident, qu'ils moururent tous deux dans la même semaine. On ne pouvait assurément terminer d'une manière plus tragique une carrière plus burlesque.

La farce, telle qu'ils l'avaient remise à la mode, ne ressemble nullement à celle des premiers tems du théâtre français; c'est tout bonnement ce que nous appelons maintenant des parades, telles qu'on les représente sur les tréteaux des boulevards. Horace, l'amant qui vient de Hollande, de Flandre, d'Italie, d'Angleterre et d'Espagne, et qui s'annonce comme la valeur et la fleur de l'armée, est l'original de notre beau Léandre; Florestine est mademoiselle Isabelle, et notre Cassandre est tracé sur le modèle de Gros-Guil laume, qui dit qu'il s'en va trafiquer aux Indes, et à qui son valet demande s'il faut pour cela sortir de la ville de Paris, et s'il s'embarquera à Montmartre. Voilà ce qui se trouve de plus piquant dans celles de ces farces qu'on nous a conservées; et si toutes les autres leur ressemblaient, on

conviendra qu'il fallait un aussi puissant ministre le cardinal de Richelieu pour les mettre à la mode.

que

Au surplus, que cette anecdote soit vraie ou fausse, il n'en est pas moins certain, comme on l'a déjà dit, que, pendant près de trente ans, la farce remplaça en France la comédie, dont la Rivey avait fait entrevoir le véritable genre, bientôt abandonné faute d'encouragement. Sans doute le siècle dans lequel avait vécu Montaigne était assez éclairé sur les penchans et les faiblesses du cœur humain, pour fournir un bon poëte comique; mais pour qui aurait-il travaillé? Le tèms n'était plus où la hardiesse d'un essai qui n'avait pas encore été tenté, avait donné à l'art dramatique le mérite et l'importance d'une nouvelle découverte. Les troubles religieux qui suivirent le règne d'Henri II, n'avaient pas peu contribué à discréditer les ouvrages d'esprit : les discussions théologiques blasent le goût, et la guerre civile le gâte tout-à-fait. Les auteurs dramatiques savaient bien où trouver un assez grand nombre de spectateurs et d'admirateurs pour amuser leur amourpropre, et se faire même une sorte de

réputation qui durait d'autant plus qu'elle s'établissait sur parole; mais telle dose de gloire qui, renfermée en un petit cercle, est assez forte pour enivrer celui qu'elle environne, peut fort bien s'évaporer et s'éventer, pour ainsi dire, exposée au ́grand air. Les représentations particulières avaient fait la fortune, littéraire s'entend, d'une foule d'auteurs dramatiques ; les représentations publiques les ruinèrent sans ressources: ils avaient été loués par des auteurs qu'ils louaient, et des grands seigneurs qui les protégeaient. Ils n'osèrent essayer d'amuser un public qui payait, et eussent-ils eu cent fois plus de talent, ils n'y auraient pas réussi.

Çe public-là ressemblait très-peu à celui qu'on a vu depuis.Tous les nobles habitaient leurs châteaux, qu'ils ne quittaient que pour aller à la guerre; ils revenaient, en passant à Paris, faire leur cour et leurs affaires, puis retournaient chez eux, d'où ils ne sortaient plus que pour quelques occasions solennelles, quelque fête ou quelque mariage de prince; et alors ils laissaient aux classes inférieures les plaisirs que tout le monde pouvait partager également. Même sous

Louis XIV, qui, en faisant de lui et de sa cour le centre de tout, avait tout attiré près de lui, et renvoyait sur Paris une partie des rayons qui s'échappaient de la gloire de Versailles, comme l'appelait Mme de Sévigné; dans ce tems où les plaisirs de la société commençaient à devenir l'unique occupation des Parisiens, l'habitude des divertissemens publics n'était pas encore très-établie parmi les gens du monde. Mme de Sévigné, qui vivait dans la société la plus spirituelle et la plus brillante, allait très-rarement au spectacle. On m'a fait faire une petite débauche, dit-elle dans une de ses lettres; on m'a mené voir Bérénice. Cependant elle parle beaucoup de Corneille; elle le savait par cœur, mais c'est qu'elle le relisait sans cesse. Mon fils, répète-t-elle à plusieurs reprises, lit admirablement ces beaux endroits de Corneille. On allait une fois voir les ouvrages des grands maîtres, puis on revenait les méditer et s'en pénétrer par la lecture, parce qu'alors on aimait la tragédie et la comédie, comme on aime à présent le spectacle.

S'il en était ainsi du tems de Louis XIV,

on juge facilement combien, sous le règne de Henri IV et au commencement de la minorité de Louis XIII, la bonne compagnie fréquentait peu les théâtres. Les femmes n'étaient pas dans l'usage de s'y montrer, et, selon toute apparence, avaient de bonnes raisons pour cela. Rotrou, qui peu de tems après se vantait d'avoir épuré les mœurs de la comédie, dit dans la préface d'une de ses pièces, que le théâtre est maintenant si bien réglé que les honnêtes femmes le peuvent fréquenter avec aussi peu de scrupule que le jardin du Luxem bourg. D'après ce que nous connaissons de ces comédies de Rotrou, où les honnêtes femmes pouvaient assister sans scrupule, ce devait être une singulière chose que celles où elles se faisaient scrupule d'assister.

[ocr errors]

La composition du parterre pouvait bien aussi éloigner un peu un peu les femmes du spectacle. Il n'était pas assujéti, comme à présent, à une certaine décence; il jouissait de la plus entière liberté, du moins si l'on en doit juger par un de ces prologues ou discours que les acteurs avaient coutume de réciter et ordinairement d'improviser

« PoprzedniaDalej »