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Il avait trop de jugement.
Le corbeau donc vole et revole.
Sur son rapport les trois amis
Tiennent conseil. Deux sont d'avis
De se transporter sans remise

Aux lieux où la gazelle est prise.
L'autre, dit le corbeau, gardera le logis:
Avec son marcher lent, quand arriverait-elle ?
Après la mort de la gazelle.

Ces mots à peine dits, ils s'en vont secourir
Leur chère et fidèle compagne,
Pauvre chevrette 1 de montagne.
La tortue y voulut courir :

La voilà comme eux en campagne,
Maudissant ses pieds courts avec juste raison,
Et la nécessité de porter sa maison.

Rongemaille (le rat eut à bon droit ce nom)
Coupe les nœuds du lacs: on peut penser la joie.
Le chasseur vient, et dit : Qui m'a ravi ma proie?
Rongemaille, à ces mots, se retire en un trou,
Le corbeau sur un arbre, en un bois la gazelle :
Et le chasseur, à demi-fou

De n'en avoir nulle nouvelle,
Aperçoit la tortue, et retient son courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraie?

Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraie.
Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous,
Si le corbeau n'en eût averti la chevrette.

Celle-ci, quittant sa retraite,

Contrefait la boiteuse, et vient se présenter.
L'homme 2 de suivre, et de jeter

Tout ce qui lui pesait : si bien que Rongemaille
Autour des nœuds du sac tant opère et travaille,
Qu'il délivre encor l'autre sœur,

Sur qui s'était fondé le souper du chasseur.
Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée.

(1) La gazelle. — (2) Commence. Éllipse.

Pour peu que je voulusse invoquer Apollon,
J'en ferais, pour vous plaire, un ouvrage aussi long
Que l'Illiade1 ou l'Odyssée.2
Rongemaille ferait le principal héros,

Quoiqu'à vrai dire ici chacun soit nécessaire.
Porte-maison l'infante y tient de tels propos,3
Que monsieur du corbeau va faire

Office d'espion, et puis de messager.
La gazelle a d'ailleurs l'adresse d'engager
Le chasseur à donner du temps à Rongemaille.
Ainsi chacun en son endroit

S'entremet, agit et travaille.

A qui donner le prix? Au cœur, si l'on m'en croit.

Que n'ose et que ne peut l'amitié violente !
Cet autre sentiment que l'on appelle amour
Mérite moins d'honneur ; cependant chaque jour
Je le célèbre et je le chante.

Hélas! il n'en rend pas mon âme plus contente!
Vous protégez sa sœur, il suffit ; et mes vers
Vont s'engager pour elle à des tons tout divers.
Mon maître était l'Amour; j'en vais servir un autre,4
Et porter partout l'univers
Sa gloire aussi bien que la vôtre.

FABLE XVI.

LA FORÊT ET LE BUCHERON.

UN bûcheron venait de rompre ou d'égarer
Le bois dont il avait emmanché sa cognée.
Cette perte ne put sitôt se réparer

Que la forêt n'en fût quelque temps épargnée.
L'homme enfin la prie humblement

(1) Poëme épique d'Homère sur le siége de Troie. - (2) Poëme épique sur les aventures d'Ulysse. (3) Des discours si persuasifs. -(4) L'amitié: amour fondé sur l'estime.

De lui laisser tout doucement
Emporter une unique branche,
Afin de faire un autre manche:

Il irait employer ailleurs son gagne-pain; 1
Il laisserait debout maint chêne et maint sapin
Dont chacun respectait la vieillesse et les charmes.
L'innocente forêt lui fournit d'autres armes.
Elle en eut du regret. Il emmanche son fer :
Le misérable ne s'en sert

Qu'à dépouiller sa bienfaitrice
De ses principaux ornements.
Elle gémit à tous moments :
Son propre don fait son supplice.

Voilà le train du monde et de ses sectateurs :
On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d'en parler. Mais que de doux ombrages
Soient exposés à ces ontrages,

Qui ne se plaindrait là-dessus ?

Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode,
L'ingratitude et les abus

N'en seront pas moins à la mode.

FABLE XVII.

LE RENARD, LE LOUP, ET LE CHEVAL.

UN renard, jeune encor, quoique des plus madrés,2
Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice: Accourez,
Un animal paît dans nos prés,

Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous? dit le loup en riant:
Fais-moi son portrait, je te prie.

Si j'étais quelque peintre ou quelque étudiant,

(1) Talent, outil; ce qui fait gagner la vie. —(2) Fins, rusés.

Repartit le renard, j'avancerais la joie
Que vous aurez en le voyant.

Mais venez Que sait-on? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.

Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,

Fut presque sur le point d'enfiler la venelle.1
Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendraient volontiers comment on vous appelle.
Le cheval, qui n'était dépourvu de cervelle,
Leur dit; Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs;
Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle.
Le renard s'excusa sur son peu de savoir:

Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire;
Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou 2 pour tout avoir; 3
Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire.
Le loup, par ce discours flatté,
S'approcha. Mais sa vanité

Lui coûta quatre dents; le cheval lui desserre
Un coup; et haut le pied.4 Voilà mon loup par terre,
Mal en point,5 sanglant et gâté.
Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit :
Cet animal vous a sur la mâchoire écrit
Que de tout inconnu le sage se méfie.

FABLE XVIII.

LE RENARD ET LES POULETS D'INDE.

CONTRE les assauts d'un renard

Un arbre à des dindons servait de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,

(1) Sentier. Enfiler la venelle, prendre la fuite. — (2) Terrier. (3) Pour tout bien, toute richesse. (4) Disparut, s'enfuit.(5) Vaincu, blessé.

S'écria: Quoi! ces gens se moqueront de moi!
Eux seuls seront exempts de la commune loi !
Non, par tous les dieux! non. Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent.

Lui, qui n'était novice au métier d'assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda 1 sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Arlequin n'eût exécuté

Tant de différents personnages.

Il élevait sa queue, il la faisait briller,
Et cent mille autres badinages,

Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller.
L'ennemi les lassait en leur tenant la vue

Sur même objet toujours tendue.

Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tombait quelqu'un : autant de pris,
Autant de mis à part: près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.

Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe.

FABLE XIX.

LE SINGE.

Il est un singe dans Paris
A qui l'on avait donné femme :
Singe en effet d'aucuns maris,2
Il la battait. La pauvre dame
En a tant soupiré, qu'enfin elle n'est plus.
Leur fils se plaint d'étrange sorte,
Il éclate en cris superflus :

(1) S'éleva. (2) De certains, de plusieurs maris.

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