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la comédie de peindre les mœurs de la Grèce et de Rome, «< des filles achetées comme esclaves, et qui soient reconnues libres au dénouement ». Mais dans un temps où l'art dramatique n'avait aucune forme en Europe, que pouvait faire de mieux un savant, que d'en établir des préceptes sur la pratique des anciens?

On s'impatiente avec plus de raison de voirl'abbé d'Aubignac réduire en règles les premiers principes du sens commun; on ne peut se persuader que le siècle de Corneille eût besoin qu'on lui apprît que « l'acteur qui joue Cinna ne doit pas mêler les barricades de Paris avec les proscriptions du triumvirat, que le lieu de la scène doit être un espace vide, et qu'on ne doit pas y placer les Alpes auprès du mont Valérien. >> Mais si l'on pense que le Thémistocle de Duryer balançait alors Héraclius, ces leçons ne paraîtront plus si déplacées pour ce temps-là.

C'est donc sans aucun mépris pour les écrivains qui ont éclairé leur siècle, que je les crois audessous du nôtre. Il faut partir du point où l'on est depuis deux cents ans l'esprit humain a plus gagné qu'il n'avait perdu en dix siècles de barbarie.

Une poétique digne de notre âge serait un système régulier et complet, où tout fût soumis à une loi simple, et dont les règles particulières, émanées d'un principe commun, en fussent comme les rameaux. Cet ouvrage philosophique

est désiré depuis fong-temps, et le sera peut-être long-temps encore.

Quoique la poétique d'Aristote ne procède que par induction, de l'exemple au précepte, elle ne laisse pas de remonter aux principes de la nature; c'est le sommaire d'un excellent traité. Mais elle se borne à la tragédie et à l'épopée; et soit qu'Aristote, en jetant ses premières idées, eût négligé de les éclaircir, soit que l'obscurité du texte vienne de l'erreur des copistes, ses interprètes les plus habiles sont forcés d'avouer qu'il est souvent malaisé de l'entendre.

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Castelvetro, en traduisant le texte d'Aristote, l'analyse et le commente avec beaucoup de discernement; mais par la forme dialectique qu'il a donnée à son commentaire, il nous fait chercher péniblement quelques idées claires et justes dans un dédale de mots superflus. S'il ne discutait que les choses, il serait moins prolixe; mais il discute aussi les mots: encore, après avoir tourné un passage dans tous les sens, lui arrive-t-il quelquefois de manquer le véritable, ou de le combattre mal-à-propos. Le défaut de ce critique, comme de tous les écrivains didactiques de ce temps-là, est de n'avoir vu l'art du théâtre qu'en idée c'est au théâtre même qu'il faut l'étudier.

Dacier avait cet avantage sur l'interprète italien. Mais, comme il avait fait vœu d'être de l'avis d'Aristote, soit qu'il l'entendît ou qu'il ne l'entendît pas, ce n'est jamais pour consulter la

nature, mais pour consulter Aristote, qu'il fait usage de sa raison ; et lors même qu'Aristote se contredit, Dacier n'ose le contredire.

Non moins religieux sectateur des anciens, Le Bossu n'a étudié l'épopée que dans Homère et Virgile pour lui tout est bien dans ces poètes ; et hors de là il n'y a plus rien. Mais si Le Bossu et Dacier n'ont pas étendu nos idées, ils en ont hâté le développement.

Le grand Corneille, avec le respect qu'avait son siècle pour Aristote et qu'il a eu la modestie de partager, n'a pas laissé de répandre les lumières de la plus saine critique sur la théorie de ce philosophe; et ses discours en sont le commentaire le plus solide et le plus profond.

Les parallèles qu'on a faits de Corneille et de Racine, et la célèbre dispute sur les anciens et les modernes, en donnant lieu de discuter les principes, ont contribué à les éclaircir.

On est même entré dans le détail des divers genres de poésie; on a essayé de développer l'artifice de l'apologue, de déterminer le caractère de l'églogue, de suivre l'ode dans son essor et dans ses écarts; enfin les notes de Voltaire sur les tragédies de Corneille sont les oracles du bon goût et les plus précieuses leçons de l'art pour les poètes dramatiques: mais personne encore n'a entrepris de ramener tous les genres à l'unité d'une première loi.

Le poème de Vida contient des détails pleins

Élém, de Littér. IV.

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de justesse et de goût, sur les études du poète, sur son travail, sur les modèles qu'il doit suivre; mais ce poème, comme la poétique de Scaliger, est plutôt l'art d'imiter Virgile, que l'art d'imiter la nature.

La poétique d'Horace est le modèle des poèmes didactiques, et jamais on n'a renfermé tant de sens en si peu de vers: mais dans un poème, il est impossible de suivre de branche en branche la génération des idées ; et plus elles sont fécondes, plus ce qui manque à leur développement est difficile à suppléer.

La Frenaye, imitateur d'Horace, a joint aux préceptes du poète latin quelques règles particulières à la poésie française ; et son vieux style, dans sa naïveté, n'est pas dénué d'agrément. Mais le coloris, l'harmonie, l'élégance des vers de Despréaux, l'ont effacé: à peine lui reste-t-il la gloire d'avoir enrichi de sa dépouille le poème qui a fait oublier le sien. Cet ouvrage excellent et vraiment classique, l'Art poétique français, fait tout ce qu'on peut attendre d'un poème : il donne une idée précise et lumineuse de tous les genres; mais il n'en approfondit aucun.

Quelques modernes, comme Gravina chez les Italiens, et La Motte parmi nous, ont voulu remonter à l'essence des choses et puiser l'art dans la nature. Mais le principe de Gravina est si vague, qu'il est impossible d'en tirer une règle précise et juste.

« L'imitation poétique est, dit-il, le transport de la vérité dans la fiction. Comme la nature est la mère de la vérité, la mère de la fiction est l'idée que l'esprit humain tire de la nature. » (C'est le modèle intellectuel d'Aristote et de Cicéron, que Castelvetro n'a jamais bien compris.) « La poésie, ajoute Gravina, doit écarter de sa composition les images qui démentent ce qu'elle veut persuader. Moins la fiction laisse de place aux idées qui la contredisent, plus aisément on oublie la vérité, pour se livrer à l'illusion. »

Voilà en substance l'idée de la poésie, telle que Gravina l'a conçue : : règle excellente pour attacher le génie des poètes à l'étude de la nature et à la vérité de l'imitation; mais qui n'éclaire ni sur le choix des objets, ni sur l'art de les assortir et de les placer avec avantage : règle enfin d'après laquelle ce critique a dû voir que le Pastor fido et l'Aminte n'ont point la naïveté pastorale; mais qui ne l'a pas empêché de croire que le Roland de l'Arioste était un poème épique régulier, la Jérusalem du Tasse un ouvrage médiocre ; et en revanche, de regarder Sannazar comme l'héritier de la flûte de Virgile, et les poètes latins que l'Italie moderne a produits, comme les vives images des Catulle, des Tibulle, des Properce, des Ovide, etc.; d'adopter dans les poèmes italiens le mélange du merveilleux de la religion et de la fable, et de confondre le poème épique avec les romans provençaux.

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