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Dans cette manière de feindre, la peinture la suit, mais de loin, et dans ce qu'il y a de plus facile; car ce n'est pas dans le physique, mais dans le moral, qu'il est difficile de rendre, par la fiction, ce qui n'est pas, comme s'il était : Non solum quæ essent, verumtamen quæ non essent, quasi essent. (JUL. SCAL. ) C'est là ce qui l'élève au-dessus de l'éloquence et de tous les arts.

L'objet des arts est infini en lui-même : il n'est

borné que par leurs moyens. Le modèle univer

sel, la nature, est présent à tous les artistes; mais le peintre, qui n'a que les couleurs, ne peut en imiter que ce qui tombe sous le sens de la vue. Le pinceau de Vernet ne rendra jamais dans une tempête le cri des matelots et le bruit des cordages,

...Clamorque virum, stridorque rudentum.

Le Titien n'exprimera pas les parfums exhalés des cheveux de Vénus:

Ambrosiæque comæ divinum vertice odorem

Spiravere.

Le musicien, qui n'a que des sons, ne peut rendre tout ce qui affecte le sens de l'ouïe; et pour former ce tableau des effets de la lyre d'Orphée,

At cantu commota Erebi de sedibus imis

Umbra ibant tenues....

l'harmonie appellera la pantomine à son secours. Ainsi les arts sont obligés de se réunir pour faire

ni tous

face à la poésie. Mais ni aucun des arts, les arts ensemble n'imiteront ce qu'elle exprime. Elle seule pénètre au fond de l'ame, et en développe à nos yeux les replis. Ni les douces gradations des sentiments, ni les violents accès de la passion ne lui échappent. Les degrés d'élévation et de sensibilité, d'énergie et de ressort, de chaleur et d'activité, qui varient et distinguent les caractères à l'infini; toutes ces qualités, disje, et les qualités opposées sont exprimées par la poésie. La même vertu, le même vice, la même passion a mille nuances dans la nature; la poésie a mille couleurs pour graduer toutes ces nuances. C'est peu d'être aussi variée, aussi féconde que la nature même la poésie compose des ames, comme la peinture imagine des corps ; c'est un assemblage de traits pris çà et là de différents modèles, et dont l'accord fait la vraisemblance. Ses personnages ainsi formés, elle les oppose et les met en action: action plus vive, plus touchante qu'on ne la voit dans la nature; action variée dans son unité, soutenue dans sa durée, liée dans toutes ses parties, et sans cesse animée dans ses progrès par les obstacles et les combats.

:

C'est ici surtout que l'art de l'orateur me semble le céder à celui du poète. Instruire, intéresser, émouvoir, sont leur objet commun : mais la tâche de l'orateur est de persuader la vérité; celle du poète, le mensonge, et le mensonge

Élém. de Littér. IV.

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connu pour tel. L'un, pour remuer son auditoire, a des intérêts sérieux, réels, et présents; l'autre n'a que des fables ou des souvenirs éloignés : l'un, si j'ose le dire, produit ses effets avec des corps ; et l'autre, avec des ombres.

Que Cicéron serre dans ses bras, en présence des juges, Plancus, son ami, son bienfaiteur et son client, et qu'il le baigne de ses larmes; il en fera répandre, rien de plus naturel. Qu'il presse dans son sein le fils de Flaccus encore enfant; que dans ses bras il le présente aux juges, et qu'il s'écrie d'une voix déchirante, Miseremini familiæ, judices; miseremini fortissimi patres, mi-› seremini filii: l'attendrissement, la douleur dont il est pénétré, passera dans toutes les ames ; et voilà le dernier effort de l'art oratoire. Mais qu'avec le fantôme d'Oreste et de Pylade, d'Andromaque et d'Astyanax, le poète obtienne le même effet, et un effet plus grand, voilà le merveilleux de l'art du poète; et il serait incompréhensible, si l'on ne savait pas quel est sur nous l'empire de l'imagination, une fois frappée et séduite.

Ce fut pour donner à l'imitation tous les dehors de la réalité, qu'on inventa le genre dramatique, où tout n'est pas illusion comme dans un tableau, où tout n'est pas vrai comme dans la nature, mais où le mélange de la fiction et de la vérité produit cette illusion tempérée qui fait le charme du spectacle. Il est faux que l'actrice que je vois pleurer et que j'entends gémir soit

Ariane; mais il est vrai qu'elle pleure et gémit : mes yeux et mes oreilles ne sont pas trompés ; tout ce qui les frappe est réel; l'illusion n'est que dans ma pensée. Tel est l'art de la poésie dramatique, le plus séduisant, le plus ingénieux de tous les arts d'imitation.

Ainsi, me dira-t-on, si l'éloquence a pour elle toute la force de la vérité, au moins peut-elle reprocher à la poésie d'y suppléer par tous les charmes du mensonge. Oui, j'en conviens; mais quel que soit réciproquement l'avantage de leurs moyens, il sera toujours vrai que la mobilité, la souplesse, la force d'imagination que demandent les transformations du poète pour revêtir à chaque instant un nouveau caractère, et dans la même scène des caractères opposés; que le génie pour les créer, les combiner, et les faire agir comme dans la nature même; que cette faculté de concevoir, de combiner un grand dessein, de conduire une action vaste, et d'en graduer l'intérêt, sont réservés au poète; et le talent de produire dans son ensemble et dans ses détails, Cinna, Britannicus, Zaïre, le Misanthrope ou le Tartufe, me semble encore supérieur au talent de tirer d'un sujet oratoire tous les moyens de persuasion, d'émotion dont il est susceptible, au talent, dis-je, tout merveilleux qu'il est, de composer ou la harangue pour la Couronne, ou le plaidoyer pour Milon, ou l'oraison funèbre de Condé.

De l'idée que nous venons de nous former de

la poésie, dérive immédiatement celle qu'on doit avoir du poète ; et par l'objet qu'il se propose, on peut juger et des talents dont il a besoin d'être doué, et des études qui lui sont propres.

Les trois facultés de l'ame d'où résultent tous les talents littéraires, sont l'esprit, l'imagination, et le sentiment; et dans leur mélange, c'est le plus ou le moins de chacune de ces facultés qui produit la diversité des génies.

Dans le poète, c'est l'imagination et le sentiment qui dominent; mais si l'esprit ne les éclaire, ils s'égarent bientôt l'un et l'autre. L'esprit est l'œil du génie, dont l'imagination et le sentiment sont les ailes.

Toutes les qualités de l'esprit ne sont pas essentielles à tous les genres de poésie; il n'y a que la pénétration et la justesse dont aucun d'eux ne peut se passer. L'esprit faux gâte tous les talents, l'esprit superficiel ne tire avantage d'aucun.

la

parure; par l'ima

Tout n'est pas image et sentiment dans un poème. Il y a des intervalles où la pensée brille seule et de son éclat; il faut même se souvenir que la plus belle image n'en est que et lors même que la pensée est colorée gination ou animée par le sentiment, elle nous frappe d'autant plus qu'elle est plus spirituelle, c'est-à-dire plus vive, plus finement saisie, et d'une combinaison à la fois plus juste et plus nouvelle dans ses rapports. L'esprit n'est donc

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