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qui s'applique sans relâche à tout perfectionner, a été la cause constante des progrès de la poésie dans un climat qui ne semblait pas fait pour elle; et plus elle a eu de difficultés à vaincre, plus elle mérite de gloire à ceux qui, à travers tant d'obstacles, l'ont élevée à un si haut point de splendeur.

D'après l'esquisse que je viens de donner de l'histoire naturelle de la poésie, on doit sentir combien on a été injuste en comparant les siècles et leurs productions, et en jugant ainsi les hommes. Voulez-vous apprécier l'industrie de deux cultivateurs: ne comparez pas seulement les moissons; mais pensez au terrain qui les a produites, et au climat dont l'influence l'a rendu plus ou moins fécond,

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POÈTE. D'après l'idée qu'Homère nous donne de son art, et de l'estime qu'on y attachait dans les temps qu'il a rendus célèbres, on voit que les poètes étaient des philosophes ou des théologiens qui se donnaient pour inspirés, et auxquels on croyait que les dieux avaient révélé des secrets inconnus au reste des hommes. Ainsi lorsqu'ils faisaient aux peuples des récits merveilleux, ou qu'ils expliquaient par des fables les phénomènes de la nature, on ne demandait pas où ils avaient pris cette science mystérieuse ; le chantre ou le devin se disait prêtre d'Apollon,

favori des Muses, confident de leur mère, la déesse Mémoire : que ne devait-il pas savoir?

Ce ne fut que long-temps après, et lorsque les peuples plus éclairés s'aperçurent que dans le génie des poètes il n'y avait rien de surnaturel, qu'à l'idée d'inspiration succéda celle d'invention et de fiction poétique. Mais alors même, en perdant le crédit de la prophétie, les poètes surent conserver le pouvoir de l'illusion, et quoique reconnus pour des menteurs ingénieux, ils soutinrent leur personnage. De là, ces formules d'invocation, d'inspiration et d'enthousiasme qu'ils ne cessèrent d'affecter; de là ce style figuré, ce langage mystérieux, qu'ils retinrent de leur ancienne divination; de là cette élévation d'idées, cette majesté de langage, qui leur fut nécessaire pour imiter le dieu dont ils se disaient les organes.

Du temps même d'Horace, on ne méritait le nom de poète qu'autant qu'on avait les moyens de remplir ce grand caractère :

Ingenium cui sit, cui mens divinior, atque os
Magna sonaturum, des nominis hujus honorem.

A mesure que l'amour du mensonge est devenu moins vif, et que le goût des arts et l'esprit qui les juge ont pris quelque teinte de philosophie, le rôle de poète s'est modéré : l'ode a perdu sa vraisemblance; l'épopée, son merveilleux au don de feindre des chimères a succédé

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le talent de peindre, d'embellir des réalités; l'enthousiasme s'est réduit à la chaleur d'une imagination sagement exaltée, d'une ame profondément émue; et l'éloquence du poète n'a plus différé de celle de l'orateur que par un peu plus de hardiesse dans les tours et dans les images, par un peu plus de liberté et d'emphase dans l'expression: en sorte qu'il est plus vrai que jamais que, du côté de l'élocution, le talent de l'orateur et celui du poète se touchent: Est finitimus oratori poeta: numeris adstrictior paulo verborum autem licentia liberior, multis vero ornandi generibus socius ac pene par. (Cic. De Orat.-)

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Mais tout réduit que nous semble à présent l'ancien domaine du poète, je ne pense pas que, du côté de l'invention, celui de l'orateur ait jamais eu cette étendue illimitée qui s'enfonce dans les possibles, et dans laquelle non-seulement le vrai, mais le vraisemblable, est compris. Il me semble donc que Cicéron a exagéré, lorsqu'il a dit de l'orateur comparé au poète : In hoc quidem certe prope idem, nullis ut terminis circumscribat aut definiat jus suum. ( Cic. De Orat.).

Considérons ici le poète à peu près comme Cicéron a considéré l'orateur; et pour nous former une idée de l'artiste, remontons à celle de l'art.

Si je dis, comme Simonide, que la peinture

est une poésie muette, je crois la définir complètement si je dis que la poésie est une peinture animée et parlante, aurium pictura, je suis encore fort au-dessous de l'idée qu'on en doit avoir.

C'est peu de présenter son sujet à l'esprit, elle le rend sans cesse comme présent aux yeux avec ses traits et ses couleurs ; et cela seul l'égale à la peinture.

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Sæva sedens super arma, et centum vinctus ahenis
Post tergum nodis, fremet horridus ore cruento (1).

(VIRGIL.)

Rubens lui-même aurait-il mieux peint la Discorde enchaînée dans le temple de Janus ?

La peinture saisit son objet en action, mais ne le présente jamais qu'en repos. En exprimant ces vers de Virgile,

Illa vel intactæ segetis per summa volaret

Gramina, nec teneras cursu læsisset aristas (2)...

le peintre représentera Camille élancée sur la pointe des épis, mais immobile dans cette atti

(1) « Au fond du temple la Fureur impie, assise sur un monceau d'armes meurtrières, et les bras enchaînés derrière le dos avec cent nœuds d'airain, frémira d'un air horrible et d'une bouche écumante de sang. >>

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(2) Elle volerait sur la cime des jeunes moissons sans les fouler, et les tendres épis ne seraient pas blessés de sa course légère.

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tude, au lieu qu'en poésie l'imitation est progressive et aussi rapide que l'action même. La poésie n'est donc plus le tableau, mais le miroir de la naturė.

Dans le miroir, les objets se succèdent et s'effacent l'un l'autre. La poésie est comme un fleuve qui serpente dans les campagnes, et qui dans son cours répète à la fois tous les objets répandus sur ses bords. Il y a plus : cet espace que parcourt la poésie, est dans l'étendue successive comme dans l'étendue permanente; ainsi le même vers présente à l'esprit deux images incompatibles, les étoiles et l'aurore, le présent et le passé :

Jamque rubescebat stellis Aurora fugatis.

Dans les exemples du tableau, du miroir, et du fleuve, on ne voit qu'une surface: la poésie tourne autour de son objet comme la sculpture, et le présente dans tous les sens.

Elle fait plus que répéter l'image et l'action des objets; cette imitation fidèle, quelque talent, quelque soin qu'elle exige, est sa partie la moins estimable: la poésie invente et compose; elle choisit et place ses modèles, arrange, assortit elle-même tous les traits dont elle a fait choix, ose corriger la nature dans les détails et dans l'ensemble, donne de la vie et de l'ame aux corps, une forme et des couleurs à la pensée, étend les limites des choses, et se fait des mondes nou

veaux.

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