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un serpent qui mord sa queue. Or, dans une langue où les mots suivent à la file la progression des idées, comment les arranger de façon qu'une partie de la pensée attende l'autre, et que l'esprit, égaré dans ce labyrinthe, ne se retrouve qu'à la fin?

Mais si la période française ne fut pas circulaire comme celle des anciens, au moins fut-elle prolongée et soutenue jusqu'à son repos absolu; et le tour, le balancement, la symétrie de ses membres, lui donnèrent de l'élégance, du poids, et de la majesté. Ainsi, à force de travail et de soins, notre langue acquit dans la prose une élégance, une souplesse, un tour harmonieux qui ne lui était pas naturel.

Le plus difficile était de donner à nos vers du nombre et de la mélodie: comment observer la mesure dans une langue qui n'a point de prosodie décidée? Aussi nos vers n'eurent-ils d'abord, comme les vers provençaux et italiens, d'autre règle que la rime et la quantité numérique des syllabes: on ne les chantait point, ils ne pouvaient donc pas être mesurés par le chant. L'ode même fut parmi nous ce qu'elle a été dans tout le reste de l'Europe moderne, un poème divisé en stances, et d'un style plus élevé, plus véhément, plus figuré que les autres poèmes, mais nullement propre à être chanté. Voyez ODE et LYRIQUE.

Cependant, comme, de leur naturel, les éléments des langues ont une prosodie indiquée

par les sons plus lents ou plus rapides, et par les articulations plus faciles et plus pénibles qu'elles présentent, la prosodie de la langue française se fit sentir d'elle-même à l'oreille délicate des bons poètes. Malherbe y sut trouver du nombre, et le fit sentir dans ses vers, comme Balzac dans sa prose. Il donna, au vers de huit syllabes et au vers héroïque, une cadence majestueuse, que nos plus grands poètes n'ont pas dédaigné de prendre pour modèle, heureux d'avoir pu l'égaler.

Plus le vers français était libre et affranchi de toutes les règles de la prosodie ancienne, plus il était difficile à bien faire; et depuis Malherbe jusqu'à Corneille, rien de plus déplorable que ce déluge de vers lâches, traînants, ou durs et boursouflés, sans mélodie et sans noblesse, dont la France fut inondée : le malheureux Hardi en faisait mille en vingt-quatre heures.

Si la poésie française a eu tant de peine, du côté du style et des vers, à vaincre les difficultés que lui opposait une langue inculte et barbare; elle n'a pas eu moins de peine à vaincre les obstacles que lui opposait la nature du côté des mœurs et du climat, dans un pays qui semblait devoir être à jamais étranger pour elle.

Ce que nous avons dit de l'Italie moderne, au sujet de l'histoire, peut s'appliquer à tout le reste de l'Europe, et particulièrement à la France. Si la poésie héroïque n'eût demandé que des faits

atroces, des complots, des assassinats, des brigandages, des massacres, notre histoire lui en eût offert abondamment, et des plus horribles. Qu'on se rappelle, par exemple, les premiers temps de notre monarchie, le règne de Clovis, le massacre de sa famille, le règne des fils de Clotaire, leurs guerres sanglantes, les crimes de Frédégonde et de Landri; c'est le comble de l'atrocité mais ce n'est là ni le poème épique ni la tragédie.

Il faut à l'épopée, comme je l'ai dit, des caractères et des mœurs susceptibles d'élévation, des événements importants et dignes de nous étonner, soit par leur grandeur naturelle, soit par le mélange du merveilleux; et rien de plus rare dans notre histoire.

Lorsqu'on ne savait pas faire encore une églogue, une élégie, un madrigal; lorsqu'on n'avait pas même l'idée de la beauté de l'imitation dans la poésie descriptive, dans la poésie dramatique; on eut en France la fureur de faire des poèmes épiques. Le Clovis, le Saint Louis, le Moïse, l'Alaric, la Pucelle, parurent presque en même temps; et qu'on juge de la célébrité qu'ils eurent, par l'admiration avec laquelle Chapelain parle de ses rivaux. « Qu'est-ce, dit-il, que la Pucelle peut opposer, dans la peinture parlante, au Moïse de M. de Saint-Amand? dans la hardiesse et dans la vivacité, au Saint Louis du révérend père Le Moine? dans la pureté, dans la

facilité, et dans la majesté, au Saint Paul de M. l'évêque de Vence? dans l'abondance et la pompe, à l'Alaric de M. Scudéry? enfin dans la diversité et dans les agréments, au Clovis de M. Desmarets? » (Préface de la Pucelle.)

La vérité est que tous ces poèmes font la honte du siècle qui les a produits. Le ridicule justement répandu depuis sur le Clovis, le Moïse, l'Alaric, la Pucelle, est la seule trace qu'ils ont laissée. Le Saint Louis est moins méprisable; mais de faibles imitations de la poésie ancienne et des fictions extravagantes n'ont pu le sauver de l'oubli. Le Saint Paul n'est pas même connu de nom.

Les causes générales de ces chutes rapides, après un succès éphémère, furent d'abord sans doute le manque de génie et la fausse idée qu'on avait de l'art, mais aussi le malheureux choix des sujets, soit du côté des caractères et des mœurs, soit du côté des peintures physiques et des incidents naturels, soit du côté du merveilleux. Quand il faut tout créer, les hommes et les choses, tout ennoblir, tout embellir; quand la vérité vient sans cesse flétrir l'imagination, la démentir, la rebuter, le génie se lasse bientôt de lutter contre la nature. Or que l'on se rappelle ce que nous avons dit des circonstances physiques et morales qui, dans la Grèce, favorisaient la poésie épique, et qu'on jette les sur ces poèmes modernes : le contraire, dans

yeux

presque tous les points, sera le tableau de la stérilité du champ couvert d'épines et de ronces où elle se vit transplantée.

Ne parlons point du Saint Louis, sujet dont toutes les beautés, enlevées par le génie du Tasse, ne laissaient plus aux poètes français que le faible et dangereux honneur d'imiter l'Homère italien; ne parlons point du Moïse, sujet qui demandait peut-être Ÿ'auteur d'Esther et d'Athalie et qui d'ailleurs n'a rien que de très-éloigné de nous: quelles mœurs à peindre en poésie dans le Clovis et l'Alaric, que celles des Romains dégénérés, des Gaulois asservis, des Goths et des Francs belliqueux, mais barbares, et dont tout le code se réduisait à la loi: Malheur aux vaincus! Que pouvait être, dans ces poèmes, la partie morale de la poésie, celle qui lui donne de la noblesse, de l'élévation, du pathétique, celle qui en fait l'intérêt et le charme? Voyez, dans les poésies qu'on attribue aux Islandais, aux Scandinaves et aux anciens Écossais, combien ce naturel sauvage, qui d'abord intéresse par sa franchise et sa candeur, est peu varié dans ses formes; combien cet héroïsme naturel et cette vigueur d'ame, de courage, et de mœurs, a peu de nuances distinctes; combien ces descriptions, ces images hardies se ressemblent et se répètent. A plus forte raison, dans un climat plus tempéré, où les sites, les accidents, les phénomènes de la nature sont moins bizarrement divers, les

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