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de nos querelles et se passionnent comme nous. Il est donc impossible, à tous égards, d'imaginer des dieux qui ne soient pas hommes; mais, ce qui n'est pas impossible, c'est de leur donner plus d'élévation dans les sentiments, plus de dignité dans le langage que n'ont fait la plupart des poètes. Ce que dit Satan au soleil dans le poème de Milton, ce que Neptune dit aux vents dans l'Énéide; voilà les modèles du merveilleux. La bonne façon d'employer ses personnages est de les faire agir beaucoup, et de les faire parler peu. Le dramatique est leur écueil : aussi les at-on presque bannis de la tragédie; le merveilleux n'y est guère admis qu'en idée et hors de la scène visible. Si quelquefois on y a fait voir des spectres, ils ne disent que quelques mots et disparaissent à l'instant. Dans la tragédie de Macbeth, après que ce scélérat a assassiné son roi, un spectre se présente, et lui dit : Tu ne dormiras plus. Quoi de plus simple et de plus terrible? La grande difficulté est d'employer avec décence un merveilleux qu'il n'est pas permis d'altérer, comme celui de la religion. Il est absurde et scandaleux de donner aux êtres surnaturels qu'on révère, les vices de l'humanité. Si donc, par exemple, l'on introduit dans un poème les anges, les saints, les personnes divines, ce ne doit être qu'en passant et avec une extrême réserve on ne peut tirer de leur entremise aucune action passionnée. Le saint Michel de Ra

phaël est l'exemple de ce que je viens de dire : il terrasse le dragon, mais avec un front inaltérable; et la sérénité de ce visage céleste est l'image des mœurs qu'on doit suivre dans cette espèce de merveilleux aussi, dès que la scène du poème de Milton est dans le ciel, sa fiction devient absurde et ne fait plus d'illusion. Des esprits impassibles et purs ne peuvent avoir rien de pathétique. Le champ libre et vaste de la fiction est donc la mythologie, la magie, la féerie, dont on peut se jouer à son gré.

J'ai dit que l'impossibilité d'expliquer naturellement les phénomènes physiques avait réduit l'esprit humain à l'invention du merveilleux ; et c'est ainsi qu'on a fait de toutes les causes secondes des intelligences actives, et plus ou moins puissantes selon leurs grades et leurs emplois : les éléments en ont été peuplés; la lumière, le feu, l'air, et l'eau ; les vents, les orages, tous les météores; les bois, les fleuves, les campagnes, les moissons, les fleurs, et les fruits, ont eu leurs divinités particulières. Au lieu de chercher, par exemple, comment la foudre s'allumait dans la nue, et d'où venaient les vagues d'air dont l'impulsion bouleverse les flots; on a dit qu'il y avait un dieu qui lançait le tonnerre, un dieu qui déchaînait les vents, un dieu qui soulevait les mers. Cette physique, peu satisfaisante pour la raison, flattait le peuple, amoureux des prodiges; aussi fut-elle érigée en culte; et après avoir perdu

son autorité, elle conserve encore tous ses charmes.

La morale eut son merveilleux comme la physique et le seul dogme des peines et des récompenses dans l'autre vie, donna naissance à une foule de nouvelles divinités. Il avait déjà fallu construire, au-delà des limites de la nature, un palais pour les dieux des vivants; on assigna de même un empire aux dieux des morts, et des demeures aux mânes. Les dieux du ciel et les dieux des enfers n'étaient que des hommes plus grands que nature; leur séjour ne pouvait être aussi qu'une image des lieux que nous habitons. On eut beau vouloir varier, le ciel et l'enfer n'offrirent jamais que ce qu'on voyait sur la terre. L'Olympe fut un palais radieux; le Tartare, un cachot profond; l'Elysée, une campagne riante.

Largior hic campos æther et lumine vestit
Purpureo; solemque suum, sua sidera norunt.

(Æn. vi, 640.)

Le ciel fut embelli par une volupté pure et par une paix inaltérable. Des concerts, des festins, des amours, tout ce qui flatte les sens de l'homme, fut le partage des immortels. Le calme et l'innocence habitèrent l'asile des ombres heureuses; les supplices de toute espèce furent infligés aux mânes criminels, mais avec peu d'équité, ce me semble, par les poètes même les plus judicieux. La fiction n'en fut pas moins re

cue et révérée; et le Tartare fut l'effroi des méchants, comme l'Élysée était l'espoir des justes.

Un avantage moins sérieux que la poésie tira de ce nouveau système, fut de rendre sensibles les idées abstraites, dont elle fit encore des légions de divinités. La métaphysique se jeta dans la fiction, comme la physique et la morale. Les vices, les vertus, les passions humaines, ne furent plus des notions vagues. La sagesse, la justice la vérité, l'amitié, la paix, la concorde, tous ces biens et les maux opposés ; la beauté, cette collection de tant de traits et de nuances; les grâces, ces perceptions si délicates, si fugitives; le temps même, cette abstraction que l'esprit se fatigue vainement à concevoir, et qu'il ne peut se résoudre à ne pas comprendre; toutes ces idées factices, et composées de notions primitives, qu'on a tant de peine à réunir dans une seule perception; tout cela, dis-je, fut personnifié. Un merveilleux qui faisait tomber sous les sens ce qui même eût échappé à l'intelligence la plus subtile, ne pouvait manquer de saisir, de captiver l'esprit humain : on ne connut bientôt plus d'autres idées que ces images allégoriques. Toutes les affections de l'ame, presque toutes ses perceptions prirent une forme sensible : l'homme fit des hommes de tout; on distingue les idées métaphysiques aux traits du visage; chacune d'elles eut un symbole, au lieu d'une définition; et ce fut sur la convenance de l'image avec son objet que fut fondée la vraisemblance.

On vient de voir toute la philosophie animée par la fiction, et l'univers peuplé d'une multitude innombrable d'êtres d'une nature analogue à celle de l'homme. Rien de plus favorable aux arts, et surtout à la poésie. La mythologie, sous ce point de vue, est l'invention la plus ingénieuse de l'esprit humain.

Mais il eût fallu que le système en fût composé par un seul homme, ou du moins sur un plan suivi. Formé de pièces prises çà et là, et qu'on n'a pas même eu soin d'ajuster l'une à l'au tre, il ne pouvait manquer d'être rempli de disparates et d'inconséquences; et cela n'a pas empêché qu'il n'ait fait les délices des peuples, et long-temps l'objet de leur adoration : Quod finxere timent (LUCRÈCE): tant la raison est esclave des sens! Mais aujourd'hui que la fable n'est plus qu'un jeu, nous lui passons, hors du poème, toutes ses irrégularités, pourvu qu'au-dedans tout ce qu'on nous présente se concilie et soit d'accord.

J'ai distingué ailleurs la fiction simple et l'allégorie. Je ne ferai que rappeler ici en peu de mots leur différence et leur emploi. L'une embrasse tous les êtres fantastiques qui ont pris la place des causes naturelles, ou qui sont venus à l'appui des vérités morales, Jupiter, Neptune, Pluton, ne sont pas donnés pour des symboles, mais pour des personnages aussi réels qu'Achille, Hector, et Priam; ils ne doivent donc être em

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