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corps d'une Vénus ou d'un Apollon, Hélène au milieu des vieillards troyens, Achille au sortir de la cour de Scyros ; voilà le merveilleux de la beauté dans le physique. Le soin du poète alors est de rassembler les plus belles parties dont un composé naturel soit susceptible, pour en former un tout régulier; et de disposer les choses comme la nature les eût disposées, si elle n'avait eu pour objet que de nous donner un spectacle enchanteur. L'accord en fait la vraisemblance.

Il n'y a point de tableaux parfaits dans la disposition naturelle des choses: la nature, dans ses opérations, ne songe à rien moins qu'à se composer et à se donner en spectacle; et l'on doit s'attendre à trouver dans le moral autant et plus d'incorrections que dans le physique. La clémence d'Auguste envers Cinna est dégradée par le conseil de Livie la gloire du conquérant du Mexique est ternie par une lâche trahison : César a quelquefois été cruel jusqu'à l'atrocité le vieux Caton était avare. L'histoire a peu de caractères dans lesquels la poésie ne soit obligée de dissimuler et de corriger quelque chose : c'est comme une statue de bronze qui sort raboteuse du moule, et qui demande encore la lime; mais il faut bien prendre garde, en la polissant, de n'en pas affaiblir les traits. Il est arrivé souvent de détruire l'homme en faisant le héros.

Quel est donc le guide du poète dans ce genre de fiction? Je l'ai dit, le sentiment du beau mo

Elém. de Littér. IV.

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ral, que la nature a mis en nous. Il a pu recevoir quelque altération de l'habitude et du préjugé; mais l'une et l'autre cèdent aisément au goût naturel qui n'est qu'assoupi, et que l'impression du beau réveille. Quel est le lâche voluptueux qui n'est pas saisi d'un saint respect, en voyant Régulus retourner à Carthage? Ce qui peut se mêler d'opinions et d'habitude dans nos idées sur le beau moral, ne tire donc pas à conséquence et ne doit se compter pour rien.

Mais le poète qui conçoit l'idée du beau, et qui est en état de le peindre en altérant la vérité, le peut-il à son gré sans manquer à la vraisemblance.

Horace nous donne le choix, ou de suivre la renommée, ou d'observer les convenances. Mais ce choix est-il libre? Non ; et si les caractères et les faits sont connus, l'altération n'en est permise qu'autant qu'elle n'est pas sensible. On peut bien ajouter aux vertus et aux vices quelques coups de pinceau plus hardis et plus forts; on peut bien adoucir, déguiser, effacer quelques traits qui dégraderaient ou qui noirciraient le tableau; mais on ne peut pas insulter en face à la vérité, en changeant les événements et en dénaturant les hommes : ce n'est qu'à la faveur de l'obscurité ou du silence de l'histoire que la poésie, n'étant plus gênée par la notoriété des faits, peut en disposer à son gré, en observant les convenances; car alors la vérité muette laisse régner l'illusion.

L'abbé Dubos, après avoir dit que ce serait une pédanterie que de reprocher à Racine d'avoir changé, dans Britannicus, la circonstance de l'essai du poison préparé par Locuste, Locuste, n'en fait pas moins le procès au même poète, pour avoir employé le personnage de Narcisse, qui ne vivait plus; pour avoir supposé que Junie était à Rome, lorsqu'elle en était exilée ; et pour avoir changé le caractère de cette princesse, afin de l'ennoblir et de le rendre intéressant. N'est-ce pas encore là de la pédanterie? Je conviens avec l'abbé Dubos que les faits historiques de quelque importance ne doivent pas être changés, encore moins les faits célèbres et connus de tout le monde, et qu'il serait absurde de faire tuer Brutus par César. Mais la mort de Narcisse et le caractère de Junie sont-ils du nombre de ces faits? La règle, en pareil cas, est de savoir jusqu'où s'étendent les connaissances familières du monde cultivé pour lequel on écrit. Or quel est le siècle où les petits détails de l'histoire romaine soient assez présents aux spectateurs et aux lecteurs, pour que de si légères altérations les blessent? Un homme versé dans l'étude de l'antiquité sait ce que Tacite et Sénèque ont dit des mœurs de Junia Calvina; mais ni la ville ni la cour n'en sait rien. Virgile a donné dans Didon l'exemple des licences heureuses que peut prendre en pareil cas. Tout ce qu'on a droit d'exiger pour prix de ces licences, c'est qu'elles contribuent à la beauté de la composition. Il s'a

l'on

git donc, non d'aller chercher dans l'histoire si Narcisse était vivant et si Junie était à Rome, mais de voir dans la tragédie s'il était bon de faire vivre Narcisse et d'oublier l'exil de Junie. Que Tacite et Sénèque aient dit d'elle qu'elle était une effrontée, ou qu'elle était une Vénus pour tout le monde, et pour son frère une Junon, ces anecdotes ne sont pas du nombre des faits importants et célèbres qu'un poète doit respecter. Et sur quoi porterait la licence que l'abbé Dubos lui-même accorde aux poètes d'altérer la vérité, si des circonstances aussi peu marquées étaient des traits d'histoire inaltérables?

C'est un supplice pour les artistes que les préceptes donnés par ceux qui ne sont point de l'art.

A l'égard de la beauté physique qui est l'objet capital de la peinture et de la sculpture, elle exerce peu les talents du poète : il l'indique, il ne la peint jamais; et en l'indiquant, il fait plus que de la peindre. Voyez ESQUISSE.

des gran

Quant à l'exagération des forces deurs, des facultés de l'être physique, comme lorsqu'on fait des héros d'une taille et d'une force prodigieuse, des animaux d'une grandeur énorme, des arbres dont les racines touchent aux enfers et dont les branches percent les nues ; ces peintures exagérées sont ce qu'il y a de moins difficile la justesse des proportions et des rapports en fait la vraisemblance.

Une autre sorte de prodige dont la poésie tire

plus d'avantage, c'est la rencontre et le concours de certaines circonstances que le mouvement naturel des choses semble n'avoir jamais dû combiner ainsi, à moins d'une expresse intention de la cause qui les arrange. On annonce à Mérope la mort de son fils; on lui amène l'assassin, et l'assassin est ce fils qu'elle pleure. OEdipe cherche à découvrir le meurtrier de Laïus; il reconnaît que c'est lui-même, et qu'en fuyant le sort qui lui a été prédit, il a tué son père et épousé sa mère. Oreste est conduit à l'autel de Diane pour y être immolé; et la prêtresse qui va l'égorger se trouve être sa sœur Iphigénie. Hécube va laver dans les eaux de la mer le corps de sa fille Polyxène, immolée sur le tombeau d'Achille; elle voit flotter un cadavre, ce cadavre approche du bord, Hécube reconnaît Polydore son fils. Voilà de ces coups de la destinée, si éloignés de l'ordre des choses, qu'ils semblent tous prémédités.

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Tout ce qui est possible n'est pas vraisemblable; et lorsque, dans la combinaison des événements ou dans le jeu des passions, nous apercevons une singularité trop étudiée; le poète nous devient suspect, l'illusion cesse avec la confiance : en cela pèche, dans Inès, l'affectation de donner pour juges à don Pèdre deux hommes dont l'un doit le haïr et l'absout, l'autre doit l'aimer et le condamne cette antithèse inutile est évidemment combinée à plaisir. L'unique moyen de persuader est de paraître de bonne foi; or plus la

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