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lettres, comme devant leurs pairs, recevoir d'eux le tribut de louange que leurs écrits ont mérité : c'est alors que l'opinion du petit nombre commande à l'opinion publique. Voilà pourquoi l'on voit deux espèces de goût, incompatibles en apparence, se concilier en Angleterre, et les beantés et les défauts contraires presque également applaudis.

Le génie de Shakespear ne fut pas éclairé; mais son instinct lui fit saisir la vérité et l'exprimer par des traits énergiques; il fut inculte et déréglé dans ses compositions, mais il ne fut point romanesque. Il n'évita ni la bassesse ni la grossièreté qu'autorisaient les mœurs et le goût de son temps, mais il connut le cœur humain et les ressorts du pathétique. Il sut répandre une terreur profonde, il sut enfoncer dans les ames les traits déchirants de la pitié. Il ne fut ni noble ni décent; il fut véhément et sublime. Chez lui, nulle espèce de régularité ni de vraisemblance dans le tissu de l'action, quoique, dans les détails, il soit regardé comme le plus vrai de tous les poètes vérité sans doute admirable, lorsqu'elle est le trait simple, énergique et profond qu'il a pris dans le cœur humain; mais vérité souvent commune et triviale, qu'une populace grossière aime seule à voir imiter.

Shakespear a un mérite réel et transcendant qui frappe tout le monde; il est tragique, il touche, il émeut fortement. Ce n'est pas cette

pitié douce qui pénètre insensiblement, qui se saisit des cœurs, et qui, les pressant par degrés, leur fait goûter ce plaisir si doux de se soulager par des larmes; c'est une terreur sombre, une douleur profonde, et des secousses violentes qu'il donne à l'ame des spectateurs, en cela peut-être plus cher à une nation qui a besoin de ces émotions violentes. C'est ce qui l'a fait préférer à tous les tragiques qui l'ont suivi. Mais tout l'enthousiasme de ses admirateurs n'en imposera jamais aux gens de bon sens et de goût sur ses grossièretés barbares.

A voir la liberté avec laquelle les Anglais se permettent de parler, de penser, et d'écrire sur les intérêts publics, et les avantages que la nation retire de cette liberté, on ne peut s'étonner assez que la comédie ne soit pas devenue à Londres une satire politique, comme elle l'était dans Athènes, et que chacun des deux partis n'ait pas eu son théâtre, où le parti contraire aurait été joué. Serait-ce qu'ayant l'un et l'autre des mystères trop dangereux à révéler en plein théâtre, ils auraient voulu se ménager? ou que l'impression du spectacle sur les esprits étant trop vive et trop contagieuse, ils en auraient craint les effets? Quoi qu'il en soit, la comédie, sur lé théâtre de Londres, s'est bornée à être morale; et comme, dans un pays où il y a peu de société, il y a aussi peu de ridicules; et qu'au contraire, dans un pays où tous les hommes se pi

quent de liberté et d'indépendance, chacun se fait gloire d'être original dans ses mœurs et dans ses manières; c'est à cette singularité, souvent grotesque en elle-même et plus souvent exagérée sur le théâtre, que le comique anglais s'est attaché, sans pourtant négliger la censure des vices, qu'il a peints des traits les plus forts.

Mais si le parterre de Londres s'est rendu l'arbitre du goût dans le spectacle le plus noble; si, pour plaire au peuple, il a fallu que le tragique se soit lui-même dégradé ; à plus forte raison a-t-il fallu que le comique se soit abaissé jusqu'au ton de la plaisanterie la plus grossière et la plus obscène. Du reste, comme elle s'est conformée au génie de la nation, et qu'au lieu des ridicules de société, c'est l'originalité bizarre qu'elle s'est proposé de peindre; il s'ensuit que le comique anglais est absolument local, et ne saurait se transplanter ni se traduire dans aucune langue. Voyez COMÉDIE.

L'orgueil patriotique de la nation anglaise, ne voulant laisser à ses voisins aucune gloire qu'elle ne partage, lui a fait, comme on dit, forcer nature pour exceller dans les beaux-arts. Par exemple, quoique sa langue ne soit rien moins que favorable aux vers lyriques, elle est la seule dans l'Europe qui ait proposé à l'ode chantée une fête solennelle, dans laquelle, comme chez les Grecs, le génie des vers et celui du chant sont réunis et couronnés. On connaît l'ode de Dryden pour la fête de

sainte Cécile; mais cette ode, la plus approchante du poème lyrique des Grecs, n'en est elle-même qu'une ombre. Dryden, pour exprimer le charme et le pouvoir de l'harmonie, raconte comment le poète Timothée, touchant la lyre et chantant devant le jeune Alexandre (quoique Timothée fût mort avant qu'Alexandre fût né), comment, disje, en variant les tons et en passant d'un mode à un autre, il maîtrisait l'ame du héros, l'agitait, l'enflammait, l'apaisait à son gré, lui inspirait l'ardeur des combats et la passion de la gloire, le ramenait à la clémence, l'attendrissait et le plongeait dans une douce langueur. Or, à la place du récit, qu'on suppose l'action même, Timothée au lieu de Dryden, Alexandre présent, le poète animé par la présence du héros, observant dans les yeux, dans les traits du visage, dans les mouvements d'Alexandre, les révolutions rapides qu'il causait dans son ame, fier de la dominer cette ame impérieuse, et de la changer à son gré; on sentíra combien l'ode du poète anglais doit être loin encore, toute belle qu'elle est, du poème lyrique des anciens.

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Le poème épique de Milton est étranger à l'Angleterre il ne tient à l'esprit de la nation que par la croyance commune à tous les peuples de l'Europe; nulle autre circonstance, ni du lieu ni du temps, n'a influé sur cette production sublime et bizarre. Le fanatisme dominait alors, mais il avait un autre objet; on ne contestait point la chute de nos premiers parents.

Plein des idées répandues dans les livres de Moïse et dans les écrits des prophètes, plein de la lecture d'Homère et des poèmes italiens, aidé de ces farces pieuses qui, sur les théâtres de l'Europe, avaient si sérieusement et si ridiculement travesti les mystères de la religion, enfin poussé par son génie, Milton vit, dans la révolte des enfers conjurés pour la perte du genre humain, un sujet digne de l'épopée ; et emporté par son imagination, il s'y abandonna. L'enfer de Milton est imité de celui du Tasse, avec des traits plus hardis et plus forts; mais il est gâté par l'idée ridicule du Pandemonium, et plus encore par le sale épisode de l'accouplement incestueux du Péché et de la Mort. La description des délices d'Éden et de l'innocente volupté des amours de nos premiers pères, n'est imitée de personne; elle fait la gloire de Milton. La guerre des anges contre les démons, fait sa honte.

Le péché de nos premiers pères est un événement si éloigné de nous, qu'il ne nous touche que faiblement; le merveilleux en est si familier, qu'il n'a plus rien qui nous étonne; et à force d'intéresser toutes les nations du monde, il n'en intéresse plus aucune aussi le poème du Paradis perdu fut-il méprisé en naissant ; et ses beautés étant audessus de la multitude, il serait resté dans l'oubli, si des hommes dignes de le juger et faits pour entraîner l'opinion publique, Pope et Adisson, n'avaient appris à l'Angleterre à l'admirer.

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