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se ressemble, et qu'on y revient quand on veut, quelquefois même sans le vouloir. Chacun de nous a, comme le poète, la faculté de se mettre à la place de son semblable, et l'on s'y met réellement tant que dure l'illusion. On pense, on agit, on s'exprime avec lui, comme si on était lui-même ; et selon qu'il suit nos pressentiments ou qu'il s'en écarte, la fiction qui nous le présente est plus ou moins vraisemblable pour nous,

Ces pressentiments qui nous annoncent les mouvements de la nature ne sont pas assez décidés pour nous ôter le plaisir de la surprise; il arrive même assez souvent que le poète nous jette dans l'irrésolution, pour nous en tirer par un trait qui nous étonne et qui nous soulage; mais sans être déterminés à suivre telle ou telle route, nous distinguons très bien si celle que tient le poète est la même que la nature eût prise ou dû prendre en se décidant.

Ne vous êtes-vous jamais aperçu de la docilité avec laquelle notre ame obéit aux mouvements de celle d'Ariane ou de Mérope, d'Orosmane ou du vieil Horace? C'est que, durant l'illusion, votre ame et la leur n'en font qu'une ce sont comme deux instruments organisés de même, et accordés à l'unisson. Mais si l'ame du poète ne s'est pas montée au ton de la nature, le personnage auquel il a communiqué ses sentiments et son langage n'est plus dans la vérité de sa situation et de son caractère; et vous, qui vous mettez à

sa place mieux que n'a fait le poète, vous n'êtes plus d'accord avec lui. Voilà dans quel sens on doit entendre ce que dit le Tassse: Il falso non è; e quel non è, non si puo imitare. Mais il s'est quelquefois lui-même éloigné de ce principe: je l'ai observé à propos de Tancrède sur le tombeau de Clorinde; je l'observe encore dans le langage que tient Renaud sur les genoux d'Armide. Rien de plus naturel, de plus beau que ce qu'on voit dans cette peinture; rien de moins vrai que ce qu'on entend.

Qual raggio in onda, le scintilla un riso,
Negli umidi occhi, tremulo et lascivo.
Sovra lui pende: ed ei nel grembo molle

Le posa il capo, e'l volto al volto attolle

Cela est divin; mais vous n'allez plus trouver la même vérité dans ces froides hyperboles :

Non può specchio ritrar si dolce imago
Nein picciol vetro è un paradiso accolto.
Specchio t'è degno il cielo; e nelle stelle

Puoi riguardar le tue sembianze belle.

Avouez qu'à la place de Renaud ce n'est point là ce que vous auriez dit.

La vraisemblance, dans les choses de sentiment, n'est donc que l'accord parfait du génie du poète avec l'ame du spectateur. Si la direction que l'un donne à la nature, décline de celle que l'autre sent qu'elle eût voulu suivre, et s'il en presse ou ralentit mal à propos les mouve

ments, l'ame du spectateur, sans cesse contrariée et lasse enfin de céder, se rebute: de là vient qu'avec des qualités intéressantes et des situations pathétiques, un caractère mal dessiné et mal composé ne nous attache point.

La vérité de perception est la réminiscence des impressions faites sur les sens, et, par réflexion, la connaissance des choses sensibles, de leurs qualités communes, de leurs propriétés distinctives, et de leurs rapports naturels, soit entre elles, soit avec nous-mêmes. En nous repliant sur cette foule d'idées qui nous viennent par toutes les voies, nous nous sommes fait un plan des procédés de la nature dans l'ordre physique: ce plan est le modèle auquel nous rapportons le composé fictif que la poésie nous présente; et si elle opère comme il nous semble qu'eût opéré la nature, elle sera dans la vérité.

Or cette vérité, soit qu'elle ait pour objet l'existence ou l'action, ne peut rouler que sur des rapports de convenance et de proportion, de la cause avec l'effet, des parties l'une avec l'autre, et de chacune avec le tout. Si donc les éléments d'un composé physique, individuel, ou collectif, sont faits pour être ensemble, et suivent dans leur union les lois et le plan de la nature, l'idée de ce composé a sa vérité dans la cohésion de ses parties et dans leur mutuel accord. De même, si les rapports d'une cause avec son effet sont naturels et sensibles, l'idée de l'action portera sa

vérité en elle-même. Il est donc bien aisé de voir dans le physique ce qui est fondé sur la vraisemblance; et, par conséquent, ce qui ne l'est pas.

L'opinion sur les faits, soit moraux, soit physiques, est tantôt de pleine croyance, tantôt de simple adhésion; mais quelque faible que soit le consentement qu'on y donne, il suffit à l'illusion du moment. Un mensonge connu pour tel, mais transmis, recu d'âge en âge, est dans la classe des faits authentiques : on le passe sans examen. A plus forte raison, si les faits sont solennellement attestés par l'histoire, ne laissent-ils pas l'esprit la liberté du doute; et le poète, pour les supposer, n'a pas besoin de les rendre croyables : qu'ils soient d'accord avec l'opinion, cela suffit à leur vraisemblance.

à

Mais distinguons, 1o l'opinion d'avec la vérité historique, 2o les faits compris dans le tissu du poème d'avec les faits supposés au-dehors. «Je ne craindrai pas d'avancer, dit Corneille à propos du sacrifice qu'a fait Léontine en livrant son fils à la mort, que le sujet d'une belle tragédie doit n'être pas vraisemblable. » Et il se fonde sur le précepte d'Aristote, « de ne pas prendre pour sujet un ennemi qui tue son ennemi, mais un père qui tue son fils, une femme son mari, un frère sa sœur, etc. : ce qui n'étant jamais vraisemblable, ajoute Corneille, doit avoir l'autorité de l'histoire ou de l'opinion commune ».

J'ai fait mes preuves de respect pour ce grand homme; j'oserai donc ici, sans détour, n'être pas de son sentiment.

Je suis donc loin de penser que les sujets proposés par Aristote soient tous dénués de vraisemblance : il est très simple et très naturel qu'un fils tue son père, comme OEdipe, sans le connaître, ou qu'une mère soit prête à immoler son fils, comme Mérope, en croyant le venger; et quand ces faits n'auraient en eux-mêmes aucune apparence de vérité, pris dans les familles les plus illustres de la Grèce, ils avaient sans doute pour eux la célébrité, l'opinion publique : or pour les faits que l'on suppose dans l'avant-scène extra fabulam, l'opinion tient lieu de vraisemblance. Mais en voyant sur le théâtre les sujets de Polyeucte, de Rodogune et d'Héraclius, personne ne sait ni ne veut savoir ce qui en est pris dans l'histoire ; elle est donc comme un témoin muet. En vain Baronius fait mention du sacrifice de Léontine on ne lit point Baronius ; et son témoignage n'eût servi de rien, si l'action de Léontine n'avait pas eu sa vraisemblance en ellemême, c'est-à-dire un juste rapport avec l'idée que nous avons de ce que peut une femme aussi fière, aussi ferme, aussi courageuse, dévouée à son empereur.

Je dis plus de quelque manière que les faits soient fondés, rien ne les dispense d'être vraisemblables, dès qu'ils sont employés dans l'inté

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