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Supposons que les belles scènes d'Euripide et de Sophocle, que les morceaux sublimes de Milton, n'aient jamais été qu'une prose éloquente et harmonieuse dira-t-on que les hommes de génie qui ont si bien peint, ne sont pas des poètes; et qu'un ouvrage de ce style, rempli de pareilles beautés, ne mérite pas le nom de poème?

Les étrangers avouent de bonne foi qu'ils ne sentent point l'harmonie des vers de La Fontaine, et qu'ils sont même peu touchés de celle des vers de Racine. Ce ne sont pour eux que des lignes de prose élégantes et mélodieuses, d'un certain nombre de syllabes longues ou brèves à volonté, et coupées en deux par un repos. Il en est de même pour nous des vers italiens, allemands ou anglais; et quand il serait vrai que l'harmonie des vers de Virgile et d'Homère aurait encore le même charme pour tous les peuples qui les entendent, en est-il de même des vers que chacun d'eux s'est fait au gré de son oreille? Quoique l'Anglais, l'Italien, le Francais, scandent chacun à leur manière les vers de l'Enéide, tous lui donnent les mêmes nombres, et pour tous ils sont composés de six mesures à quatre temps. Mais quelle sera pour l'étranger la façon de scander nos vers? Celui-ci, par exemple,

Je ne veux que la voir, soupirer et mourir.

est composé de seize temps. Celui-ci en a vingt et un :

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Les temps sont arrivés; cessez, triste chaos.

et tous les deux ont douze syllabes.

De tels vers sont-ils tellement essentiels à la poésie, que l'en priver ce fût l'anéantir? Je suis loin de penser qu'une prose inanimée, sans couleur et sans mouvement, puisse les remplacer. Je crois même qu'un poème écrit en prose demanderait une plénitude d'idées, de sentiments et d'images, une chaleur, une continuité d'intérêt, dont peuvent se passer les vers, par la raison que la singularité de leur mécanisme peut quelquefois par intervalle amuser, occuper l'oreille. Mais en supposant toutes les beautés poétiques, soit du style, soit de la pensée, réunies dans un ouvrage, l'invention, le dessin, l'ordonnance, la vérité de l'imitation, le coloris et l'harmonie de la prose, en deux mots, la peinture et l'éloquence au plus haut degré, ne serait-ce plus de la poésie, dès qu'il y manquerait ce nombre de syllabes, ces repos et ces consonnances qui caractérisent nos vers? L'habitude en a fait sans doute pour notre oreille un plaisir de plus, et une infinité de choses faibles et communes ont passé à la faveur de l'illusion que les vers ont faite à l'oreille. Mais la beauté des tableaux, des images que la poésie nous présente, les traits pathétiques dont elle nous pénètre, ont-ils besoin de cette séduction pour se faire admirer, pour se faire sentir? changera-t-elle de

nature en renonçant à l'un de ses moyens et au plus fantasque de tous?

La poésie est une peinture qui parle, ou, si l'on veut, un langage qui peint; le comble de l'art serait de peindre en même temps et à l'esprit et à l'oreille; mais si, réduite à peindre à l'esprit, elle y excelle, n'est-ce pas quelque chose? Mais și, au lieu d'enfermer ses idées dans les bornes d'un vers sans rhythme, elle s'applique à tirer avantage de la liberté de la prose, pour en varier les mouvements, les intervalles, et les repos, au gré de l'ame et de l'oreille; si cette prose harmonieuse est de plus animée par les couleurs d'un style figuré, par la chaleur d'une éloquence tantôt douce et sensible, tantôt vive et brûlante; enfin si on trouve dans ce style le caractère de beauté idéale qui distingue les grandes productions des arts, c'est-à-dire un degré de force, de richesse, de correction, de précision, d'élégance, qui semble pris dans la nature, et qui cependant n'y est jamais; ne sera-ce point encore assez pour faire de la poésie?

La prose, à ce degré de perfection, est peutêtre aussi difficile et aussi rare que les beaux vers; peut-être même l'est-elle plus, par la raison qu'elle n'a point de formules prescrites; mais en accordant aux vers un mérite de plus, et un agrément de fantaisie que ne saurait avoir la prose, je ne puis souscrire à l'opinion qui en a fait exclusivement le langage de la poésie. J'ad

mire, autant qu'il est possible, les poètes qui excellent dans l'art d'écrire en vers; je m'y suis exercé moi-même, et je sens trop le prix d'un talent auquel l'habitude a donné tant de pouvoir et tant de charme, pour conseiller à qui le possède de négliger cet avantage; mais je croirai toujours que l'écrivain auquel il ne manquera que ce don-là pour être poète, aura le droit de dire encore, en exprimant en prose harmonieuse tout ce que la nature a de plus animé, de plus touchant, de plus sublime; Et moi aussi je suis poète.

VRAISEMBLANCE. Le but que se propose immédiatement la fiction, c'est de persuader; or elle ne peut persuader qu'en ressemblant à l'idée que nous avons de ce qu'elle imite. Ainsi la vraisemblance consiste dans une manière de feindre conforme à notre manière de concevoir; et tout ce que l'esprit humain peut concevoir, il peut le croire, pourvu qu'il y soit amené.

Tant que le poète ne fait que nous rappeler ce que nous avons vu au-dehors, ou éprouvé au-dedans de nous-même, la ressemblance suffit à l'illusion; et comme nous voyons dans la feinte l'image de la réalité, le poète n'a besoin d'aucun artifice pour gagner notre confiance. Mais que la fiction nous présente un événement qui n'ait point d'exemple, un composé qui n'ait point de

modèle

comme la ressemblance n'y est pas, nous y cherchons la vérité idéale; et c'est alors que le poète est obligé d'employer tout son art pour donner au mensonge les couleurs de la vérité. Nous savons qu'il feint, nous devons l'oublier; et si nous nous en souvenons, le charme est détruit et l'illusion cesse. Dove manca la fede non puo abbondare l'affetto, ò il piacere di quel che si legge o s'ascolta. (LE TASSE.)

Il y a, dans notre manière de concevoir, une vérité directe et une vérité réfléchie : l'une et l'autre est de sentiment, de perception ou d'opi

nion.

La vérité de sentiment est l'expérience intime de ce qui se passe au-dedans de nous-même, et, par réflexion, de ce qui doit se passer en général dans l'esprit et dans le cœur de l'homme. C'est à ce modèle, sans cesse présent, qu'on rapporte la fiction dans la poésie dramatique. Nous sommes tels : c'est la vérité, directe. Nous sentons qu'il est de la nature de l'homme d'être modifié de telle ou telle façon, par telle ou telle cause, dans telle ou telle circonstance; que dans notre composé moral, telles qualités, tels accidents, s'accordent et se concilient, tandis que tels se combattent et s'excluent mutuellement : c'est la vérité réfléchie.

Mais comment se peut-il que la vérité de sentiment soit la même dans tous les hommes? C'est que, dans tous les hommes, le fond du naturel

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