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ne suffit pas à l'harmonie de la parole. Elle y contribue, elle y ajoute: mais, sans le choix des mots les plus expressifs par le son en même temps que par le nombre, sans le mélange et la succession des voyelles et des consonnes les plus sensiblement analogues au caractère de la pensée, du sentiment, ou de l'image, la mesure seule, en poésie, serait ce qu'elle est en musique lorsqu'elle est dénuée du charme de la mélodie et de l'expression de l'accent.

De même aussi que la musique, sans être mesurée, peut être harmonieuse par l'heureux choix des modulations et des accords, la poésie, sans observer une mesure exacte, un mouvement réglé, peut se donner encore une harmonie très sensible; et nos beaux vers en sont la preuve. Les nombres n'en sont pas égaux; mais lorsqu'ils sont mis à leur place, et qu'ils ont ensemble un rapport assez marqué avec le mouvement de la pensée, du sentiment, ou de l'image, l'oreille en est encore ravie : ainsi, sans être comparables aux vers de Virgile du côté du rhythme, les vers de Racine ne laissent pas d'avoir une harmonie enchanteresse; et celui qui, comme Racine, saura donner à un certain nombre de syllabes, sans mesure précise, cette harmonie plus libre, et cependant si rare encore, aura un très grand avanlage à écrire en vers plutôt qu'en prose. C'est ce que La Motte n'a pas senti. J'ai observé d'ailleurs que la rime a pour nous l'attrait d'une cu

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riosité piquante, et que la surprise que nous cause cette difficulté vaincue avec une adresse ingénieuse, est pour nous encore un plaisir. J'ai reconnu de plus qu'on était quelquefois redevable à la rime d'une heureuse singularité d'idées inci- . dentes, ou de mots imprévus qu'elle faisait trouver. Enfin je n'ai rien dissimulé de ce qui la rend chère à l'oreille, et secourable pour la mémoire. Voyez RIME.

J'ajoute encore qu'il dépend de nos poètes de donner à leurs vers, sinon toute la précision du nombre et de la mesure, au moins une apparence de cadence métrique qui en impose agréablement à l'oreille. Et ce que je n'ai fait qu'énoncer ailleurs, je vais tâcher de le rendre sensible.

Je fonderai mes observations sur la récitation la plus cadencée, sans dissimuler cependant qu'il serait mal de l'affecter, soit au théâtre, soit à la lecture. Mais, quoiqu'il faille scander les vers latins pour en faire sentir exactement le nombre, l'altération que la mesure éprouve quand on récite naturellement, n'empêche pas une oreille délicate et juste de sentir la rondeur périodique du vers; et de deux morceaux de poésie récités avec la même négligence pour la mesure, la multitude même ne laissera pas de distinguer le plus harmonieux. Il en est du vers français comme du vers latin : quoi que l'on donne au sens et à l'expression, la beauté physique du nombre n'échappe

jamais à l'oreille; et le vers dont la scandaison a le plus d'harmonie, est encore celui qui en a le plus, naturellement déclamé.

J'ai dit que le vers asclépiade des anciens avait servi de modèle au vers héroïque français : et en effet un asclépiade est un vers français de la plus parfaite régularité :

Pāstōr, cùm trăhĕrēt pēr frětă nāvĭbus.

Mais cela n'est pas réciproque. Dans l'un et l'autre la quantité numérique des syllabes et le repos sont bien les mêmes; mais la valeur prosodique des sons et la place de chaque nombre est déterminée dans le latin, et ne l'est pas dans le français il est même impossible, vu la rareté de nos dactyles, de faire continuement, dans notre langue, des asclépiades réguliers ; et quand cela serait facile, il faudrait l'éviter en voici la raison. L'asclépiade est invariable dans toutes ses parties, et par conséquent monotone aussi ne l'employait-on jamais que dans de petits poèmes lyriques, et le plus souvent mêlé de quelque autre espèce de vers. Voyez STROPHE. Nous avons destiné au contraire notre vers de douze syllabes, sans aucun mélange, à l'épopée, à la tragédie, aux poèmes dont l'étendue exigerait le plus de variété.

D'ailleurs, plus l'asclépiade est compassé dans sa mesure, plus il s'éloigne de la liberté du langage naturel : il ne convient donc point à la poésie

dramatique, dont le style doit être si près de la nature; et dans toutes les scènes qui animent l'épopée, elle est dramatique elle-même. Enfin le caractère de notre langue est d'appuyer sur la pénultième ou sur la dernière syllabe des mots; et presque tous les pieds de l'asclépiade s'appuient sur l'anté-pénultième et glissent sur les deux suivantes. C'en est assez pour faire sentir que nous ne pouvons ni ne devons affecter l'asclépiade pur.

Mais n'y aurait-il pas moyen de varier les nombres de l'asclepiade sans en altérer le rhythme, comme on varie les notes de musique sans altérer la mesure du chant? C'est ce que j'ose proposer. Et si quelqu'un regarde cette idée comme fantasque et chimérique, je le préviens que dans Racine, Voltaire, La Fontaine, Quinault, que j'ai actuellement sous les yeux, il y a mille vers mesurés comme j'entends qu'ils peuvent l'être. Je n'en cherchais que quelques exemples, j'en ai trouvé sans nombre; et je ne propose aux jeunes poètes que d'essayer par réflexion ce que leurs maîtres ont fait sans y penser, et par un sentiment exquis de la cadence et de l'harmonie. Figurons-nous d'abord les deux pieds de l'asclépiade :

521.

N'est-il pas vrai que, sans altérer la mesure de ces deux nombres isochrones, on peut les remplacer par l'un de ces équivalents?

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Prenons ensuite un asclépiade pur,

Gēns hūmānă ruit pēr větĭtum něfăs.

et n'y changeons que les dactyles,

Au sein tumultueux de lă guerre civile.

Ils sont ensěvělis sous lă măsse pesante.

Il part. Dans ce moment d'Estrée ĕvănŏuie.

Leur cours ně chāngě point; ět vous ǎvěz change.

N'est-ce pas encore le même rhythme, quoique les pieds soient différents?

Changeons à présent le spondée de l'asclépiade en dactyle, et le premier dactyle en spondée,

Rien ně mě fait rougir que la honte de vivre.

Supposons encore le second hémistiche composé d'un spondée et d'un dipyrrhique,

Et je lui porte enfin mon coeur ǎ děvorěr.

où d'un dipyrrhique et d'un spondée,

Vient enflammer mon sang ět děvorěr mōn coëur.

Les combinaisons différentes qui auront varié les nombres du vers, en auront-elles changé le rhythme; et n'est-ce pas toujours la même somme de temps, divisée de même? Voilà ce que j'appelle l'asclépiade français, et un vers, très harmonieux. Ce n'est pas tout.

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