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goût, celui-là, dis-je, n'a pas besoin, pour mal écrire, qu'on lui en facilite les moyens..

Qu'il se rencontre, par exemple, un de ces esprits vains et vagues, qui, pour déguiser leur faiblesse et leur inanité, s'efforcent de produire des mots en guise de pensée, et qui, n'ayant que des idées communes, les fardent et les enluminent pour leur donner un air de singularité; rien ne l'empêchera de se faire un langage aussi bizarrement construit que péniblement travaillé.

Qu'il se rencontre un cerveau brûlant, d'une chaleur stérile et sans lumière, comme celle d'un sable aride; un de ces hommes qui, sans talent, veulent se donner du génie ; rien ne l'empêchera de se former un style aussi obscur, aussi incohérent, aussi informe que ses pensées. Avec des notions superficielles et confuses, il tâchera de se montrer profond; vigoureux et hardi, avec des idées faibles; plein de verve et d'enthousiasme, avec une ame sans ressort et une imagination sans élan il cherchera la nouveauté, la hardiesse, l'énergie, dans un mélange monstrueux de mots étrangers l'un à l'autre, et d'images incompatibles; et donnant sa bizarrerie pour de l'originalité, je crois l'entendre s'applaudir d'avoir un langage qui n'est qu'à lui. Tant mieux qu'il ne soit qu'à lui seul. Mais eût-il des imitateurs, des admirateurs même, pourquoi s'en mettre en peine? Jetons les yeux sur le passé ; et de ces productions sauvages dont le vaste champ de la littérature fut hérissé

dans tous les temps, regardons ce qui reste: observons à quel petit nombre de bons esprits et de bons écrivains tient la gloire de tout un siècle; et pourvu que ceux-là prospèrent, laissons la foule des faux talents se débattre dans les liens de l'usage, ou s'en échapper, n'éviter la bassesse et la trivialité que par l'enflure et l'extravagance, et ne faire un moment quelque bruit qu'en passant de l'obscurité dans l'oubli.

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V.

VÉRITÉ RELATIVE. Dans l'imitation poétique,

la vérité relative est souvent contraire et toujours préférable à la vérité absolue. Il n'est pas nécessaire qu'une pensée soit vraie en elle-même, mais qu'elle soit l'expression vraie de la nature. Il n'est pas nécessaire qu'un sentiment soit celui du commun des hommes, mais celui de tel homme dans telle situation. Chacun doit parler son langage; et c'est à quoi le faux goût et le faux esprit se méprennent le plus souvent.

Un peintre qui, dans l'éloignement, peindrait les objets dans tous leurs détails, avec leur forme, leur couleur, et leur grandeur naturelle, exprimerait la vérité absolue, et n'observerait pas la vérité relative. Un poète qui ferait penser juste tous ses personnages, remplirait de vérités un ouvrage qui serait faux d'un bout à l'autre.

Il est une vérité relative aux passions. Elles exagèrent ; et l'hyperbole, qu'elles emploient fréquemment, sensible pour ceux qui écoutent, ne l'est point pour celui qui parle c'est dans ce sens-là que Quintilien a dit qu'elle devait être extra fidem, non extra modum. Toutes les fois que l'expression dit plus qu'on ne doit penser

Élém. de Littér. IV.

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naturellement, elle est fausse; elle est juste toutes les fois qu'elle n'excède pas l'idée qu'on a ou qu'on peut avoir. C'est dans cette vérité relative que consiste la précision de l'hyperbole même; car il n'y a point d'exception à cette règle, que chacun doit parler d'après sa pensée et peindre les choses comme il les voit. Celui qui soupirait de voir Louis XIV trop à l'étroit dans le Louvre, et qui disait pour sa raison,

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Une si grande majesté

A trop peu de toute la terre,

le pensait-il? pouvait-il le penser? C'est la pierre de touche de l'hyperbole.

L'un des grands vices de notre ancienne poésie, c'est l'hyperbole demesurée. Malherbe en est plein dans ses odes. Quoi de plus extravagant, par exemple, que ces présages des exploits du dauphin, dont il prédisait à la reine la naissance et les destinées?

O combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban!
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban!
Que le Bosphore en ses deux rives
Aura de sultanes captives!
Et que de mères à Memphis,
En pleurant diront la vaillance
De son courage et de sa lance,

Aux funérailles de leurs fils!

C'est une maxime bien vraie en fait de goût,

qu'on affaiblit toujours ce que l'on exagère; mais exagérer, dans ce sens-là, veut dire d'aller audelà, non de la vérité absolue, mais de la vérité relative. Celui qui exprime une chose comme il la sent n'exagère point; il rend fidèlement son sentiment ou sa pensée. L'objet qu'il peint n'a pas tous les charmes qu'il lui attribue; le malheur dont il est accablé n'est pas aussi grand qu'il se l'imagine; le danger qui menace son ami, sa maîtresse, ce qu'il a de plus cher, n'est ni aussi terrible, ni aussi pressant qu'il le croit: mais ce n'est pas d'après la réalité même, c'est d'après son imagination qu'il les peint; et pour en juger d'après lui et comme lui, on se met à sa place. Ainsi, dans l'excès de la passion, l'hyperbole la plus insensée est elle-même quelquefois l'expression de la nature et de la vérité.

L'habitude, le préjugé, l'opinion, sont autant de verres diversement colorés, à travers lesquels chacun de nous voit les objets; la passion est un microscope. Le caractère modifié par tous ses accidents doit donc modifier le sentiment et la pensée; et c'est l'expression fidèle de ces altérations qui fait la vérité des mœurs. Il ne s'agit donc pas de ce qui est conforme à la droite raison, mais de ce qui est conforme à l'esprit et au caractère de celui qui parle.

Rien de plus commun cependant que d'entendre juger une pensée en elle-même, et décider qu'elle est fausse par cela même qui la rend

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