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qu'elles sont analogues aux idées qui lui sont propres, et qu'elles tiennent à ses coutumes, à ses travaux, ou à ses mœurs; mais ce qui n'a pas ces rapports exclusifs, et qui n'a rien de rebutant ni pour l'esprit ni pour l'oreille, appartient à toute la langue.

Quel sera donc, dira quelqu'un, le caractère distinctif du langage élevé, du haut style? Une réserve semblable à celle que je viens d'assigner au langage du peuple, c'est-à-dire, un grand nombre de termes et d'images exclusivement analogues aux mœurs, aux habitudes, à la façon de voir, de penser et d'agir des hommes d'un rang élevé. Mais à cet apanage réservé à leur classe, elle joindra la jouissance de tout le domaine commun, d'où la vanité veut l'exclure, et qu'une fausse délicatesse lui conseille d'abandonner.

Quoi! parce que

parce que le peuple dit tous les jours: Comment faire? Vous savez sa coutume; Pousser à bout quelqu'un; Étre instruit de ce qui se passe; Prendre son chemin vers un endroit; parce qu'il dit, Vous qui parlez pour lui; Attendrait-il si tard; Pour bien faire il faudrait; Attendre après quel qu'un; Réglez-vous là-dessus; Prenez votre parti, et mille choses qu'on ne peut dire autrement le peuple, sans les dire plus mal que lui; faut-il pour cela que ces façons de parler simples et naturelles soient interdites à la poésie? Fallaitil que Racine (de qui je les emprunte) se les refusât au besoin? Ne voit-on pas qu'entremê

que

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lées avec des termes et des images d'un ton plus haut, elles donnent au style un air de vérité, de naïveté, qu'il n'aurait pas s'il était plus tendu? C'est l'artifice qu'Aristote enseigne aux poètes pour sauver l'invraisemblance du merveilleux, que d'y mêler des choses simples et communes, afin, dit-il, que la croyance accordée à ce qui est naturel, se communique à ce qui ne l'est pas. Il en sera de même de la vraisemblance du langage, si le naturel s'y marie avec le rare et le merveilleux.

Qu'on affecte au contraire de se tenir sans cesse au-dessus du ton familier, bientôt on ne parlera plus que par figures accumulées ; et la langue écrite le sera si artistement et si pompeusement, qu'elle ne fera plus aucune illusion. Il faut, nous dit Voltaire, qu'une métaphore soit naturelle, vraie, lumineuse, (et il ajoute ) et qu'elle échappe à la passion. Or comment peutelle paraître échapper à la passion, si la passion en est prodigue, et si son langage n'est qu'un amas de figures accumulées et de termes évidemment recherchés et tirés de loin?

L'expression ne doit jamais être plus simple que lorsque la pensée ou le sentiment est sublime; or tout ce qui est simple dans une langue, y devient nécessairement familier par le progrès de l'imitation. L'on voit même que parmi nous, soit au théâtre, soit dans les livres, soit dans le monde, le peuple a déjà pris les expressions les plus

fortes de la poésie et de l'éloquence; un accident le fait frémir; une calomnie lui fait horreur; un caractère lui paraît odieux, détestable, atroce; un artisan est désolé, désespéré de s'être fait attendre; il est pénétré, confondu, inconsolable, etc. Il ne faut donc pas s'imaginer que tout ce qui devient familier au peuple soit populaire; et en dépit de l'usage et de ses abus, la langue noble a droit de conserver, non-seulement ce qui lui est propre, mais ce qui doit lui être commun avec tous les autres langages.

Cependant l'art d'écrire, comme tous les arts d'agrément, doit s'occuper du soin de plaire à ce public qui s'est rendu l'arbitre de la langue. Il est donc inutile d'examiner, me dira-t-on, si le caprice et la fantaisie, ou la réflexion et le goût, président à ses décisions; et dès que la langue est l'instrument des arts destinés à lui plaire, il faut la parler à son gré.

C'est là, je crois, l'objection la plus forte qu'on puisse faire en faveur de l'usage; et je conviens qu'elle est sans réplique pour les ouvrages dont le succès dépend de l'émotion simultanée du public assemblé car dans ces assemblées l'usage est dans toute sa force et dans la plénitude de son autorité; il y décide, et ne raisonne pas; et il fallait tout l'art de Racine, tout l'ascendant de Bossuet, pour risquer au théâtre et dans la chaire d'éloquentes témérités.

Mais hors de là, et dans les écrits jugés par

le

des lecteurs isolés et tranquilles, pourquoi, si l'on est sûr d'avoir pour soi la raison et le goût, n'oserait-on parler d'après soi-même, et pour petit nombre? L'usage, comme l'opinion, existe, sans que l'on puisse dire quelle en est l'origine, ni quelle en sera la durée. C'est une assimilation de langage, comme l'opinion est une assimilation d'idées, l'une et l'autre le plus souvent fortuite et passagère, sans autre cause que l'exemple, sans autre lien qu'une adhésion superficielle des esprits. Si donc l'homme qui veut penser avec une liberté sage, commence par se dégager du pouvoir de l'opinion, et ose lui-même s'en rendre juge; pourquoi l'homme qui veut écrire avec une noble franchise ne commence-t-il pas de même par soumettre l'usage à son propre examen? Comment veut-on que la parole suive le vol de la pensée, si tandis que l'une sera libre, l'autre est chargée de liens? Cela me rappelle un emblème, où un aigle attaché à un vieux tronc de chêne, s'efforçait de prendre l'essor; ses aîles étaient déployées, mais son corps était enchaîné.

Lorsque le goût du temps a paru aux hommes de génie, dans tous les arts, ou trop timide ou trop frivole, qu'ont fait ces grands artistes? Ils se sont recueillis, retirés de leur siècle, et se sont mis devant les yeux les grands exemples du passé, pour être dignes, en les imitant, des suffrages de l'avenir. Pourquoi donc l'écrivain solitaire et indépendant, qui ne sera jamais livré

aux mouvements de la multitude, et qui n'aura pour juge qu'un lecteur isolé et solitaire comme lui, n'aurait-il pas le même courage que le peintre et que le statuaire a dans son atelier? Son style y prendra, je le sais, un caractère un peu sauvage; mais je sais bien aussi qu'il en aura une vigueur plus mâle, une vérité plus naïve, enfin plus d'abondance, plus de sève et plus de

saveur.

J'entends ici les vrais amis du goût et les zélés conservateurs de la pureté du langage, me demander si, en accordant aux écrivains cette liberté légitime que je sollicite pour eux, on n'ouvrira point la barrière à une licence immodérée, et si je pense qu'il en résulte plus d'avantages que d'abus?

A cela je réponds que l'éternel écueil de la liberté, c'est la licence, et que la liberté n'en est pas moins le premier bien des arts, comme le premier bien des hommes. Je réponds qu'il importe peu que les mauvais écrivains en abusent, pourvu que les bons en profitent car ce n'est jamais à la foule qui va périr, mais au petit nombre qui doit vivre, qu'il faut penser en s'occupant des arts. Un écrivain judicieux sentira mieux que je n'ai pu le dire, à quelles conditions il peut oser ce que l'usage lui défend ou ne lui permet point encore ; et celui à qui la nature aura refusé ce discernement juste et sain, cette sagacité d'intelligence et de sentiment qui fait l'homme de

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