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anime la politique et le commerce de l'Angleterre, lui a fait enrichir sa langue de tout ce qu'elle a trouvé à sa bienséance dans les langues de ses voisins; et sans les vices indestructibles de sa formation primitive, elle serait devenue, par ses acquisitions,la plus belle langue du monde; mais elle altère tout ce qu'elle emprunte, en voulant se l'assimiler. Le son, l'accent, le nombre, l'articulation, tout y est change; ces mots dépaysés ressemblent à des colons dégénérés dans leur nouveau climat, et devenus méconnaissables aux yeux mêmes de leur patrie.

Nous avons mis moins de hardiesse, mais plus de soin à perfectionner notre langue : et s'il n'a pas été permis de la refondre, au moins a-t-on su la polir; au moins a-t-on su lui donner des tours mieux arrondis, des mouvements plus doux, des articulations plus faciles et plus liantes ; et en même temps qu'elle a pris plus de souplesse et d'élégance, elle a de même acquis plus de noblesse et de dignité.

Cependant, quelque différente que soit la langue de Racine et de Fénélon, de celle de Baïf et de Dubartas; il est encore possible, sinon de la rendre plus douce et plus mélodieuse, au moins de l'enrichir, d'ajouter à son énergie, de la parer de nouvelles couleurs, d'en multiplier les nuances; et plus on en fait son étude, mieux on sent qu'elle n'en est pas à ce point de perfection où une langue doit se fixer.

Comme vivante, elle est variable, mais elle l'est dans les deux sens : elle peut acquérir et perdre ; et cette alternative, on voulait autrefois qu'elle dépendît de l'usage, uniquement, absolument, et sans qu'il fût permis à la raison, dit Vaugelas, de lui opposer sa lumière.

Soyons moins superstitieux ; mais pour éviter un excès, ne donnons pas dans l'autre ; et si l'on a trop accordé à l'autorité de l'usage, modéronsla, sans oublier qu'elle a ses droits, comme elle a ses limites. Reconnaissons, avec Vaugelas, que l'usage a fait beaucoup de choses avec raison même beaucoup plus qu'on ne pense. En effet, it y a dans la langue mille façons de parler qu'on attribue au pur caprice de l'usage, et dont la raison se découvre dans une métaphysique très déliée, qui semble avoir conduit la multitude à son insu, et qu'aperçoit celui qui examine la langue avec un œil philosophique. Dans les irrégularités mêmes qu'usage a reçues et qu'il a fait passer en lois, on remarque souvent que ce qui les a introduites, c'est qu'elles donnent à l'expression plus de vivacité, de grâce, ou d'énergie; et jusque là rien n'est plus juste que de se soumettre à l'usage.

Reconnaissons encore que, dans ce que l'usage a fait, ou sans raison, ou même contre la raison, dès que le temps, l'exemple, la sanction publique, durant un siècle de lumière, l'ont ratifié, l'ont confirmé, rien ne dispense plus d'observer ses

lois positives, c'est-à-dire, ce qu'il prescrit. Mais tenons-nous sur la réserve à l'égard de ce qu'il défend car autant il serait à craindre que la liberté ne fût sans frein, autant il serait dangereux que l'autorité fût sans bornes. Et c'est dans le centre des lettres, au milieu de leur république, et en présence de leurs amis, que je viens réclamer leurs droits. (Ce morceau a été lu dans une assemblée publique de l'Académie Française.)

Je dirai donc qu'en observant ce que l'usage aura prescrit, on aura droit d'examiner ce qu'il lui plaira d'interdire ; et cette restriction, que je crois devoir mettre à sa puissance illimitée, est fondée sur deux motifs.

1° Quand l'usage prescrit, sa loi porte, il est vrai, quelque atteinte à la liberté, mais ne la détruit pas je puis, par un détour, éluder sa décision, et par une façon de parler qui me plaise, éviter celle qui me déplaît; ce sera une gêne, mais non pas une servitude. Il n'en est pas de même de ses lois négatives: elles nous ôtent toute liberté de faire ce qu'elles defendent; et pour les éluder, il n'est point de détour.

29 Si les lois positives de l'usage sont défectueuses, le mal est fait : la langue est telle; des hommes de génie n'ont pas laissé de la rendre éloquente, pleine de majesté, d'élégance et de grâce: il reste à la parler comme eux; et c'est le cas de dire, avec Horace, ainsi l'usage l'a voulu. Mais à l'égard de ses lois négatives ou prohibitives, rient

par

pas

n'est fixe, rien n'est constant; ce sont les décrets d'un tyran bizarre, dont les dégoûts s'annoncent des proscriptions. Cela ne se dit point, cela ne se dit plus, telle est leur formule ordinaire. Mais si cela s'est dit, pourquoi ne plus le dire? mais si cela est bien dit en soi, quoiqu'on ne l'ait dit encore, pourquoi ne le dirait-on pas? La langue est-elle déjà si riche et si complète, qu'elle n'ait plus rien à acquérir? a-t-elle une surabondance qui nous console de ses perles? Comment se fût-elle formée, si, depuis Joinville jusqu'à Fénélon, personne n'avait osé dire pour la première fois ce qu'on n'avait pas encore dit? Comment se conservera-t-elle, si, au lieu de se reproduire à mesure qu'elle se dépouille, ce n'est plus qu'un vieux arbre, dont les rameaux séchés se brisent, et qui ne repousse jamais?

Quel est donc ce droit négatif, arbitraire, et indéfini, qu'on a laissé prendre à l'usage? et si l'expression nouvelle ou rajeunie est douce à l'oreille, claire à l'esprit, sensible à l'imagination; si la pensée la sollicite, et si le besoin l'autorise ; si le tour en est animé, précis, naturel, énergique; si elle est conforme à la syntaxe et au génie de la langue; si elle ajoute à sa richesse; si par elle on évite une périphrase traînante, une épithète lâche et diffuse; si elle n'a point d'équivalent pour exprimer une nuance intéressante ou dans le sentiment, ou dans l'idée, ou dans l'image; où est la raison de ne pas l'employer?

Ce sont les téméraires, dit Vaugelas, qui inventent les mots comme les modes. La parité n'est pas exacte car dans les modes presque tout est de fantaisie, de caprice, ou de vanité; au lieu que dans la langue, ainsi que dans les arts, l'invention a souvent pour objet la nécessité, l'utilité, la beauté réelle. Alors où est la témérité d'oser être inventeur? Malherbe fut-il téméraire, lorsqu'il emprunta du latin insidieux et sécurité? et Desportes, lorsqu'il transplanta dans notre langue le mot pudeur, pour exprimer cette espèce de honte délicate et timide, qui saisit une ame innocente, ou une ame noble et sensible à la première idée de ce qui peut blesser sa fierté ou sa modestie; mot précieux que La Fontaine a si bien mis à sa place dans la fable des deux amis? Dévouloir, proposé par Malherbe, pour dire, cesser de vouloir, n'a pas été reçu ; mais que deux ou trois bons écrivains l'eussent adopté, il faisait fortune, et la langue y gagnait un mot clair et précis. Vaugelas regardait sortir de la vie comme un barbarisme; fallait-il que, sur sa parole, La Fontaine s'abstînt de dire, en parlant de la vieillesse,

Je voudrais qu'à cet âge

On sortit de la vie, ainsi que d'un banquet?

C'était, nous dit ce même Vaugelas, la plus saine partie de la cour, c'était la plus saine partie des auteurs du temps, qui étaient les arbitres de l'usage; et dans cette cspèce d'aristocratie, com

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