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d'action pour la tragédie; mais à l'égard de l'épopée, la question a été problématique et indécise jusqu'à nos jours. A l'autorité d'Aristote et à l'exemple d'Homère et de Virgile, on a opposé le succès de l'Arioste, qui, ayant négligé cette règle, n'en est pas moins lu et relu, dit le Tasse, « par les personnes de tout âge et de tout sexe; qui plaît à tout le monde, que tout le monde loue; qui revit et rajeunit sans cessé dans sa renommée, et vole glorieusement, de bouche en bouche, chez toutes les nations du monde

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Le Tasse, après avoir rendu ce beau témoignage à l'Arioste, ne laisse pourtant pas de se décider pour l'unité d'action. « La fable, dit-il, est la forme du poème : s'il y a plusieurs fables,

il

y aura plusieurs poèmes; si chacun d'eux est parfait, leur assemblage sera immense ; et si chacun d'eux est imparfait, il valait mieux n'en faire qu'un qui fût complet et régulier. >> Gravina est du nombre ds ceux qui pensaient que le poème épique était dispensé de l'unité d'action; et la raison qu'il en donne suffirait seule pour faire sentir son erreur.

J'avouerai, avec lui, qu'un poème qui embrasse plusieurs actions, ne laisse pas d'être un poème; mais la question est de savoir si ce poème est bien composé: or, quelques beautés qu'il puisse avoir d'ailleurs, quelques succès qu'elles obtiennent, il est certain que la duplicité, la multiplicité d'action divise l'intérêt et par conséquent l'affaiblit.

La Motte prétend que, dans l'épopée, l'unité des personnages supplée à l'unité d'action, et qu'elle suffit à l'intérêt de l'épopée. Distinguons, pour plus de clarté, dans l'intérêt même de l'action, l'unité collective et l'unité progressive. L'unité collective consiste à réunir tous les vœux en un point, et à décider dans l'ame du lecteur ou du spectateur ce qu'il doit désirer ou craindre. Toutes les fois qu'on nous présente des hommes opposés d'intérêts, dont les succès sont incompatibles, et dont l'un ne peut être heureux que par la perte ou le malheur de l'autre, notre cœur choisit, de lui-même et sans le secours de la réflexion, celui dont la bonté ou la vertu est le plus digne de nous attacher; et nous nous mettons à sa place. Dès lors tout ce qui le touche nous est personnel; notre ame passe dans la sienne : voilà l'intérêt décidé. Si les deux partis opposés nous présentent des personnages intéressants, et qui balancent notre affection; ou le bonheur de l'un est incompatible avec celui de l'autre, ou ils peuvent se concilier. Dans le premier cas, l'intérêt se partage et s'affaiblit dans ses alternatives; dans le second, notre inclination prend une direction moyenne, et se termine au point où les deux partis peuvent enfin se réunir. Le poète doit avoir grand soin de rendre ce point de réunion sensible; c'est de là que dépend la décision de nos voeux, et ce qu'on appelle unité d'intérêt. Enfin si les partis oppo

sés nous sont odieux ou indifférents l'un et l'autre, nous les livrons à eux-mêmes, sans nous attacher à leur sort; c'est la guerre des vautours; alors il n'y a d'autre intérêt que celui de la curiosité, qui se réduit à peu de chose. Il s'ensuit que, dans toute composition intéressante, il doit y avoir au moins un parti fait pour gagner notre bienveillance; mais qu'il n'y ait dans ce parti qu'une seule personne, ou qu'il y en ait mille, cela est égal; l'unité de vœu fera l'unité d'intérêt, et c'est l'unité collective.

L'unité progressive est autre chose : elle consiste à fixer le désir, la crainte, l'espérance, en un mot, l'attente inquiète du spectateur ou du lecteur sur un seul point, sur un événement unique, qui soit la solution du problème et le dénouement de l'action. Dans la tragédie des Horaces, quel aura été le succès du combat? voilà l'objet de notre attente; dès qu'on le sait, tout est fini. Après cela, que le meurtre de Camille soit puni ou soit pardonné, c'est un nouveau problème, une nouvelle action, un nouvel objet d'espérance ou de crainte; cet événement naît de l'autre, il en est dépendant; mais il n'y a point d'unité.

Or il est vrai que l'unité de personne supplée en quelque chose à l'unité progressive de l'action; mais si les accidents réunis sur le même personnage ne se terminent pas à un seul dénouement, l'intérêt de chaque situation cesse au moment

qu'il en sort; nouvel incident, nouvelle inquiétude; nouveau péril, nouvelle crainte; nouveau malheur, nouvelle pitié. D'un poème tissu d'incidents détachés, l'intérêt peut donc renaître d'instants en instants; mais alors la crainte, la pitié, l'inquiétude s'évanouissent à la solution de chacun de ces nœuds; et s'il y a une action principale, elle devient indifférente. Pour réunir les intérêts épisodiques, il faut donc qu'elle en soit le centre, c'est-à-dire que l'événement qui doit la terminer dépende des incidents, et que chacun d'eux fasse partie ou des moyens ou des obstacles.

Le Tasse a peint l'unité d'action par une grande et belle image. « Le monde qui renferme dans son sein tant de choses si différentes, n'a cependant qu'une forme, qu'une essence; c'est par un seul et même noeud que toutes ses parties sont liées avec une harmonie qui a l'apparence de la discorde; et, quoique dans sa structure il ne manque rien, il n'y a pourtant rien qui ne concoure à son utilité et à son ornement. »

Mais dans cette image on ne voit que ce qui contribue au succès de l'action, on n'y voit pas ce qui le retarde et le rend douteux ou pénible; or l'unité dépend du concours des obstacles, comme de celui des moyens. Du reste, l'alternative proposée par le Tasse, que toutes les parties du poème soient, comme dans le mécanisme du monde, ou de nécessité ou de simple agré

ment; cette alternative donne aux poètes une liberté dont ils ont abusé souvent. Je sais qu'on ne doit pas exiger, dans le tissu de l'épopée, des liaisons aussi étroites, aussi intimes que dans celui de la tragédie; mais encore faut-il que les parties fassent un tout, et que les détails forment un ensemble. L'épisode d'Armide est l'exemple de la liberté légitime dont les poètes peuvent user. La délivrance des lieux saints est l'action de ce poème; et les charmes d'une enchanteresse, qui prive l'armée de Godefroi de ses héros les plus vaillants, concourent à nouer l'action en même temps qu'ils l'embellissent; au lieu que l'épisode d'Olinde et de Sophronie, quoique touchant en lui-même, est hors d'oeuvre et ne tient à rien.

Pope compare le poème épique à un jardin : « La principale allée est grande et longue, et il y a de petites allées où l'on va quelquefois se délasser, qui tendent toutes à la grande ». Si l'on considère ainsi l'épopée, il est évident qu'il n'y a plus cette unité d'où dépend l'intérêt : car d'allée en allée le jardin de Pope sera bientôt un labyrinthe; et comme il n'en est aucune que l'on ne pût supprimer sans changer la grande, il n'en est aucune aussi qui ne pût mener à de nouvelles routes multipliées à l'infini. J'aime mieux l'image du fleuve dont les obstacles prolongent le cours, mais qui, dans ses détours les plus longs, ne cesse de suivre sa pente il se partage en ra

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