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scène à l'autre, mais seulement d'un acte à l'autre, que peut s'opérer le changement de lieu.

Je sais bien que, pour le faciliter au milieu d'un acte, on peut rompre l'enchaînement des scènes et laisser le théâtre vide un instant; mais cet instant ne suffirait point à la vraisemblance, surtout si les mêmes acteurs qu'on vient de voir, passaient incontinent dans le nouveau lieu de la scène. Après tout, ce n'est pas trop gêner les poètes, que d'exiger d'eux à la rigueur l'unité de lieu pour chaque acte, avec la possibilité morale du passage d'un lieu à un autre dans l'intervalle supposé.

La plus longue durée qu'on suppose à l'entr'acte est celle d'une nuit; le trajet possible dans une nuit est donc la plus grande distance qu'il soit permis de supposer franchie dans l'intervalle d'un acte à l'autre ; ainsi la mesure du temps que l'on peut donner aux intervalles de l'action, détermine l'éloignement des lieux où l'on peut transporter la scène. Une règle plus sévère priverait la tragédie d'un grand nombre de beaux sujets, ou l'obligerait à les mutiler. On voit même que les poètes qui ont voulu s'astreindre à l'unité de lieu rigoureuse, ont bien souvent forcé l'action d'une manière plus opposée à la vraisemblance que ne l'eût été le changement de lieu: car au moins ce changement ne trouble l'illusion qu'un instant; au lieu que, si l'action se passe où elle n'a pas dû se passer, l'idée du lieu

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et celle de l'action se combattent sans cesse; or la vérité relative dépend de l'accord des idées, et l'illusion ne peut être où la vraisemblance n'est pas.

Il fallait, dit Brumoi en parlant du théâtre grec, que l'action, pour étre vraisemblable, se passat sous les yeux et par conséquent dans un même lieu. Il aurait donc fallu que le lieu de l'action fût la place d'Athènes : car si l'action se passait à Delphes, comment pouvait-elle, se passer sous les yeux des Athéniens? Le spectateur, ajoute-t-il, ne saurait s'abuser assez grossièrement sur le lieu de la scène, pour s'imaginer qu'il passe d'un palais à une plaine, ou d'une ville dans une autre, tandis qu'il se voit enfermé dans un lieu déterminé. Ainsi Brumoi prétend qu'il faut que la scène se voie, et par conséquent qu'elle soit bornée, non pas en général dans l'enceinte d'une ville, d'un camp, d'un palais, mais dans un endroit limité d'un palais, d'une ville, ou d'un camp. Voilà une belle théorie!

Et de sa place le spectateur voit-il cet endroit du camp ou de la ville? Non car sa place est toujours l'amphithéâtre d'Athènes; et l'endroit de la scène est en Aulide, à Delphes, à Mycène, en Tauride, etc. Il s'y transporte donc en esprit dès le premier acte. Or ce premier pas fait, pourquoi le second, le troisième, lui coûteraient-ils davantage? Et si, dans les actes suivants, il est besoin qu'il se transporte en esprit dans un au

tre lieu, pourquoi s'y refuserait-il? La même vivacité d'imagination qui le rend présent à ce qui se passe dans la ville, lui manquera-t-elle pour voir ce qui se passe dans le camp et pour y être présent de même ? Sans cette illusion, tout spectacle est absurde; mais on se la fait sans effort, et la vraisemblance n'y manque que lorsque, la scène étant continue et sans intervalle, le changement de lieu s'opère maladroitement et sans qu'aucune distraction du spectateur le favorise. C'était là réellement le grand obstacle que trouvaient les Grecs au changement de lieu: aussi se le permettaient-ils rarement dans la tragédie. Que faisaient-ils done? Ils faisaient d'autres fautes contre la vraisemblance; ils ne changeaient pas de lieu, mais ils réunissaient dans un même lieu ce qui devait se passer en des lieux différents. La scène était un endroit public, un espace vague, un temple, un vestibule, une place, un camp, quelquefois même un grand chemin. L'aire du théâtre répondait en même temps à plusieurs édifices, d'où les acteurs sortaient pour dire au peuple, qui composait le chœur, ce qu'ils auraient dû rougir de s'avouer à eux-mêmes. Voyez CHOEUR.

Si donc nous avons perdu quelque chose à la suppression du choeur, qui, chez les Grecs, remplissait les vides de l'action; du moins y avonsnous gagné la liberté du changement de lieu, l'entr'acte nous facilite.

que

Il est aisé de sentir à présent combien porte à faux ce que dit Dacier, que «les actions de nos tragédies ne sont presque plus des actions visibles; qu'elles se passent la plupart dans des chambres et des cabinets; que les spectateurs n'y doivent pas plus entrer que le chœur ; et qu'il n'est pas naturel que les bourgeois de Paris voient ce qui se passe dans les cabinets des princes». Il trouvait sans doute plus naturel que les bourgeois d'Athènes vissent du théâtre de Bacchus ce qui se passait sous les murs de Troie ou de Thèbes? Comment Dacier n'a-t-il pas compris que, quel que soit le lieu de la scène, un palais, un temple, une place publique, si le spectateur était censé y être présent et voir les acteurs, les acteurs seraient censés le voir? Nous ne sommes, je le répète, présents à l'action qu'en idée; et comme il n'en coûte rien de se transporter de Paris au Capitole dès le premier acte, il en coûte encore moins, dans l'intervalle du premier au second, de passer du Capitole dans la maison de Brutus.

Le plus grand avantage du changement de lieu est de rendre visibles des tableaux, des situations pathétiques, qui sans cela n'auraient pu se retracer qu'en récit. Mais il faut bien se souvenir que ces tableaux ne sont faits que pour `donner lieu au développement des passions; que, s'ils sont trop accumulés, en se succédant, ils s'effacent l'un et l'autre; que l'émotion qu'ils nous

causent ne se nourrit que des sentiments qu'ils font naître dans l'ame même des acteurs ; et qu'interrompre cette émotion avant qu'elle ait pu se répandre et qu'on ait eu le temps de s'y livrer et d'en jouir, c'est faire au cœur la même violence qu'on fait à l'oreille, lorsqu'on éteint mal à propos le son d'un corps harmonieux. Une tragédie composée de ces mouvements brusques, sans suite et sans gradations, est un assemblage de germes dont aucun n'a le temps d'éclore. L'invention des tableaux est donc une partie essentielle du génie du poète; mais ce n'est ni la seule ni la plus importante. La tragédie est la peinture du jeu des passions, et non pas du jeu des machines.

On n'a pas toujours, ni partout, reconnu comme indispensable la règle des unités; on sait que, sur le théâtre anglais et sur le théâtre espagnol, elle est violée en tous points et contre toute vraisemblance. Il en était de même sur notre théâtre avant Corneille; et non-seulement l'unité de lieu n'y était pas observée, mais elle y était interdite. Le public se plaisait au changement de scène; il voulait qu'on le divertît par la variété des décorations, comme par la diversité des incidents et des aventures; et lorsque Mairet donna la Sophonisbe, il eut bien de la peine à obtenir des comédiens qu'il lui fût permis d'y observer l'unité de lieu.

On s'est enfin généralement accordé sur l'unité

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