Obrazy na stronie
PDF
ePub

tagé, et qui pourtant n'est qu'un. Tel est souvent l'intérêt dramatique.

L'unité de mœurs consiste dans l'égalité du caractère, ou plutôt dans son accord avec luimême; car un caractère peut être inégal, flottant, et variable, ou par nature ou par accident : alors son unité consiste à être constamment inconstant, également léger, changeant, ou par le flux et le reflux des passions qui le dominent, ou par l'ascendant réciproque et alternatif des divers mouvements dont il est agité; mais c'est alors par un fonds de bonté ou de méchanceté, de force ou de faiblesse, de sensibilité ou de froideur, d'élévation ou de bassesse, que se décide le caractère; et ce fonds du naturel doit percer à travers tous les accidents. Or, c'est dans ce fonds, bien marqué, bien connu, et constamment le même, que se fait sentir l'unité : c'est par là que deux hommes placés dans les mêmes situations, exposés aux mêmes épreuves, se font distinguer l'un de l'autre ; et que chacun, s'il est bien peint, se ressemble à lui-même, et ne ressemble qu'à lui. Dans l'application de ce principe, que le caractère ne doit jamais changer, on n'a pas assez distingué le fond d'avec la forme accidentelle; et dans celle-ci, ce qui est inhérent d'avec ce qui n'est qu'adhérent. Le vice est une trop longue habitude pour se corriger en trois heures; c'est une seconde nature: mais ce qui n'est qu'un travers d'esprit, un égarement passager, une folie,

une méprise, un moment d'ivresse, ce qui dépend des mouvements tumultueux des passions, peut changer d'un instant à l'autre. Ainsi, de l'erreur au retour, de l'innocence au crime, et du crime au remords, le passage est prompt et rapide; ainsi, l'avare ne change point, mais le dissipateur change; ainsi, Tartufe est toujours Tartufe, mais Orgon passe de son erreur et de l'excès de sa crédulité à un excès de défiance e; ainsi, Mahomet doit toujours être fourbe, mais Séide doit cesser d'être crédule et fanatique. O combien sur les arts, comme sur autre chose, on a perdu de temps à brouiller les idées par l'abus qu'on a fait des mots!

Dans le poème épique, l'unité de temps n'est réglée que par l'étendue de l'action, et celle-ci que par la faculté commune d'une mémoire exercée en sorte que l'action épique n'a trop d'étendue et de durée que lorsque la mémoire ne peut l'embrasser sans effort; et cette règle n'est pas gênante, car il s'agit, non des détails, mais de l'ensemble de l'action et de ses masses principales. Or, si elle est bien distribuée, si les épisodes en sont intéressants, s'ils s'enchaînent bien l'un à l'autre, si les passions qui animent l'aċtion, si l'intérêt qui la soutient, nous y attachent fortement, la mémoire la saisira, quelque étendue qu'on lui donne. Brumoi la compare à un édifice qu'il faut embrasser d'un coup d'œil; et quel édifice, dans son vrai point de vue, n'em

brasse-t-on pas d'un coup d'œil, si l'ensemble en est régulier? Si donc un poète avait entrepris de chanter l'enlèvement d'Hélène vengé par la ruine de Troie, et que, depuis les noces de Ménélas jusqu'au partage des captives, tout fût intéressant, comme quelques livres de l'Iliade et le second de l'Enéide; l'action aurait duré dix ans, et le poème ne serait pas trop long.

Nous avons des romans bien plus longs que le plus long poème; et par le seul intérêt qui nous y attache, les incidents multipliés en sont tous très distinctement gravés dans notre souvenir.

Il n'en est pas de même de l'action dramatique. Dans le récit, on peut franchir des années en un seul vers; mais dans le drame, tout est présent et tout se passe comme dans la nature. Il serait donc à souhaiter que la durée fictive de l'action pût se borner au temps du spectacle; mais c'est être ennemi des arts et du plaisir qu'ils causent, que de leur imposer des lois qu'ils ne peuvent suivre sans se priver de leurs ressources les plus fécondes et de leurs plus rares beautés. Il est des licences heureuses, dont le public convient tacitement avec les poètes, à condition qu'ils les emploient à lui plaire et à le toucher; et de ce nombre est l'extension feinte et supposée du temps réel de l'action théâtrale. De l'aveu des Grecs, elle pouvait comprendre une demi-révolution du soleil, c'est-à-dire un jour. Nous avons accordé les vingt-quatre heures; et le vide de

nos entr'actes est favorable à cette licence : car il est bien plus facile d'étendre en idée un intervalle que rien ne mesure sensiblement, qu'il ne l'était de prolonger un intermède occupé par le chœur, et mesuré par le chœur même.

A la faveur de la distraction que l'intervalle vide d'un acte à l'autre occasione, on est donc convenu d'étendre à l'espace de vingt-quatre heures le temps fictif de l'action; et c'est communément assez, vu la rapidité, la chaleur progressive que doit avoir l'action dramatique. Mais si les Espagnols et les Anglais ont porté à l'excès la licence contraire, il me semble que, sans supposer comme eux des années écoulées dans l'espace de trois heures, il doit au moins être permis de supposer qu'il s'est écoulé plus d'un jour, si un beau sujet le demande ; et de cette liberté, rachetée par de grands effets qu'elle rendrait possibles, il n'y aurait jamais à craindre et à réprimer que l'abus.

[ocr errors]
[ocr errors]

La même continuité d'action, qui, chez les Grecs, liait les actes l'un à l'autre, et qui forçait l'unité de temps, n'aurait pas dû permettre le changement de lieu; les Grecs ne laissaient pourtant pas de se donner quelquefois cette licence, comme on le voit dans les Euménides, où le second acte se passe à Delphes, et le troisième à Athènes. Pour la comédie, elle se permettait, sans aucune contrainte, le changement de lieu, et avec plus d'invraisemblance; car, au moins dans

[ocr errors]

la tragédie, les Grecs supposaient, comme nous, que le spectateur ne voyait l'action que des yeux de la pensée ; et en effet il est sans exemple que, dans la tragédie grecque, les personnages aient adressé la parole au public, ou qu'ils aient fait semblant de le voir ou d'en être vus; au lieu que dans la comédie grecque, à chaque instant le choeur s'adresse à l'assemblée, et par là, le lieu fictif de la scène et le lieu réel du spectacle sont identifiés, de façon que l'un ne peut changer sans que l'autre change, et qu'en même temps que l'action se déplace, le spectateur doit croire se déplacer aussi.

Il n'en est pas de même de notre théâtre; soit dans le tragique, soit dans le comique, le speċlateur, comme je l'ai déjà observé, n'est censé voir l'action qu'en idée, et l'action est supposée n'avoir pour témoins que les acteurs qui sont en scène. Or dans cette hypothèse, non-seulėment je regarde le changement de lieu comme une licence permise; mais je fais plus, je nie que ce soit une licence pour nous. L'entr'acte est une absence des acteurs et des spectateurs. Les acteurs peuvent donc avoir changé de lieu d'un acte à l'autre ; et les spectateurs n'ayant point de lieu fixe, ils sont partout où se passe l'action: si elle change de lieu, ils en changent avec elle.

Ce qui doit être vraisemblable, c'est que l'action ait pu se déplacer; et pour cela il faut un intervalle. Ce n'est donc presque jamais d'une

« PoprzedniaDalej »