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d'un poème doit être une dépendance, un résultat de toutes les actions particulières qu'on y emploie comme incidents ou épisodes.

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Il n'en est pas moins vrai que, tout le reste égal, plus une action est simple, plus elle est belle et voilà pourquoi Horace recommande l'un et l'autre Simplex et unum. Mais si l'on est oblige de simplifier l'action le plus qu'il est possible, ce n'est pas pour la réduire à l'unité; c'est pour éviter la confusion, et surtout pour donner d'autant plus d'aisance, de développement et de force à un plus petit nombre de ressorts. Dans une foule, rien ne se distingue et rien ne se dessine de même, dans une multitude de personnages et d'incidents, aucun n'a le temps et l'espace de se développer; aucun n'est saillant, arrondi, détaché, comme il devrait l'être.

Homère est celui de tous les poètes qui a le mieux dessiné ses caractères, qui les a marqués le plus distinctement, le plus fortement prononcés encore le nombre de ses héros fait-il foule dans l'Iliade; et la mémoire, rebutée du travail de les retenir, se réduit à un petit nombre des plus frappants, et laisse échapper tout le reste. Le Tasse, en imitant Homère, a simplifié son tableau ; chacun des personnages y tient une place distincte: Armide, Clorinde, Herminie, Godefroi, Soliman, Renaud, Tancrède, Argan, sont présents à tous les esprits.

L'épopée donne à l'action un champ plus vaste

que la tragédie; et c'est leur étendue qui décide du nombre d'incidents que l'une et l'autre peut contenir. Un épisode détaché de l'action historique suffit à l'action épique, un incident de l'action épique suffit à l'action dramatique. Ce n'est pas que l'action épique ne soit une, ce n'est pas que l'action historique ne soit une encore: dès qu'une cause produit un effet, c'est une action, et cette action est une; mais la cause et l'effet peuvent être simples ou composés, ou plus composés ou plus simples. L'une des causes incidentes de la ruine de Troie est le sacrifice d'Iphigénie; et cette fable détachée a fait un poème dramatique. La colère d'Achille n'est que l'un des obstacles de la même action; et cet incident détaché a produit seul un poème épique. On peut comparer l'action au polype, dont chaque partie, après qu'elle est coupée, est encore elle-même un polype vivant, complètement organisé. Mais l'action totale n'en est pas moins une; elle est seulement plus composée ou moins simple que chacune de ses parties. Ainsi en faisant un poème de toute la guerre de Troie, on n'a pas manqué à l'unité, mais à la simplicité d'action on s'est chargé d'un trop grand nombre de caractères à peindre, d'événements à décrire, de ressorts à développer; on a surchargé la mémoire, fatigué l'imagination, refroidi l'ame, dissipé l'intérêt, dont la chaleur est d'autant plus vive, que le foyer est plus étroit; enfin on a ex

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cédé ses propres forces, épuisé ses moyens; on s'est mis hors d'haleine au milieu de sa course; et l'on a fini par être froid, stérile et languissant. Voilà pourquoi; même dans l'épopée, il est si important de simplifier et de resserrer l'action.

Brumoi a pris, comme Dacier, l'inverse de la vérité sur l'unité d'action; il veut qu'elle soit sans mélange d'actions indépendantes d'elle : il fallait dire, d'actions dont elle soit indépendante; et ce n'est pas ici une dispute de mots, car de son principe il infere que l'épisode d'Eriphile, dans l'Iphigénie en Aulide, fait duplicité d'action; or par la constitution de la fable, l'action dépend de cet épisode, car c'est Ériphile qui empêche Iphigénie de s'échapper. Le poète, à la vérité, pouvait prendre un autre moyen ; mais pourvu que le moyen soit vraisemblable et naturellement employé, il est au choix du poète.

C'est un étrange raisonneur que Brumoi! il compare l'Iphigénie de Racine avec celle d'Euripide; et de sa cellule il décide que le poète français a tout gâté. Supposons, dit-il, qu'Euripide revínt, que dirait-il de l'épisode d'Eriphile, espèce de duplicité d'action et d'intérêt, inconnue aux Grecs? Que dirait Euripide? il dirait qu'il n'y a point de duplicité d'action, et qu'Ériphile vaut mieux qu'une biche; que l'intérêt est si peu double, qu'au moment qu'on sait qu'Ériphile été l'Iphigénie sacrifiée, les larmes cessent et tous `les cœurs sont soulagés. Que dirait-il de la galan

terie française d'Achille? Il dirait qu'Achille n'est point galant, et qu'il est Achille amoureux, qu'il parle d'amour en Achille. Que dirait-il du duel auquel tendent les menaces de ce héros? Il dirait qu'il n'y a pas plus de duel que dans l'Iliade, et que par tout pays un héros fier et offensé menace de se venger. Que dirait-il des entretiens seul à seul d'un prince et d'une princesse ? Il dirait que la décence y règne, et que, dans les tentes d'Agamemnon, Achille a pu se trouver deux moments seul avec Iphigénie. Ne serait-il pas révolté de voir Clytemnestre aux pieds d'Achille ? Il serait jaloux de Racine, il lui envierait ce beau mouvement, et il trouverait que rien n'est plus naturel à une mère au désespoir, dont on va immoler la fille.

Revenons à notre sujet. Si l'épisode est absolument inutile au noeud ou au dénouement de l'action, comme l'amour de Thésée et celui de Philoctète dans nos deux OEdipes, et comme l'amour d'Antiochus dans la Bérénice de Racine, il fait duplicité d'action de là vient que l'amour d'Hippolyte pour Aricie est plus épisodique dans la Phèdre, quel'amour d'Eriphile dans l'Iphigénie.

Mais ce qu'on a dit avec quelque raison de l'épisode d'Aricie, on l'a dit aussi de l'épisode d'Hermione; et en cela on s'est trompé. Sans Hermione, il était possible que Pyrrhus indigné livrât aux Grecs le fils d'Hector et d'Andromaque; mais, l'événement supposé tel que Racine le donne, il

était difficile d'imaginer, pour la révolution, un moyen plus tragique, une cause plus naturelle de la mort de Pyrrhus, que la jalousie d'Hermione, ni un plus digne instrument de ses fureurs, que le sombre et fougueux Oreste.

N'a-t-on pas dit aussi que l'amour nuisait à l'unité d'action, parce que cette passion étant naturellement vive et violente, elle partageait l'intérét ? Mais si l'amour même est la cause du crime ou du malheur, s'il en est la victime, où est le partage de l'intérêt ? Et ce partage même feraitil que l'action ne serait pas une ?

On ne s'est pas moins mépris sur l'unité d'intérêt que sur l'unité d'action, et l'équivoque vient de la même cause. L'action une fois bien définie, on voit que le désir, la crainte, et l'espérance, doivent se réunir en un seul point; mais pour cela il n'est pas nécessaire qu'ils se réunissent sur une seule personne : l'événement que l'on craint ou que l'on souhaite peut regarder une famille, un peuple entier; il peut même concilier deux partis contraires, qui, tous les deux intéressants, font souhaiter et craindre pour tous les deux la même chose. Deux jeunes gens aimables et amis l'un de l'autre tirent l'épée et vont s'égorger, sur un malentendu, ou sur un mouvement de dépit et de jalousie : vous tremblez pour l'un et pour l'autre ; vous désirez qu'il arrive quelqu'un qui leur impose, les désarme, et les réconcilie: voilà un intérêt qui semble par

Élém. de Littér. IV.

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