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valets, l'inquiétude, la jalousie, et la vigilance trompée des pères, des mères, des tuteurs, et des maris. Le comique italien n'a donc été qu'un comique d'intrigue mais la constitution politique de l'Italie, divisée en petits états malignement envieux l'un de l'autre, il s'est joint au comique d'intrigue un comique de caractère national; en sorte que ce n'est pas le ridicule de telle espèce d'hommes, mais le ridicule, ou plutôt le caractère exagéré de tel peuple, du vénitien, du napolitain, du florentin, qu'on a joué. Il s'ensuit de là que, du côté des mœurs, toutes les comédies italiennes se ressemblent, et ne diffèrent que par l'intrigue, ou plutôt par les incidents.

Les Italiens n'ayant donc ni tragédie ni comédie régulière et décente, inventèrent un genre de spectacle qui leur tînt lieu de l'une et de l'autre, et qui, par un nouveau plaisir, pût suppléer à ce qui manquerait à leur poésie dramatique. J'ai déjà eu lieu d'examiner par quelles causes ce nouveau genre, favorisé en Italie, y dut prospérer et fleurir; par quelles causes les progrès en ont été bornés ou ralentis; et pourquoi, s'il n'est transplanté, il y touche à sa décadence. Voyez OPERA.

Ce que j'ai dit de l'ode et du poème lyrique des Grecs, à l'égard de l'ancienne Rome et de l'Italie moderne, doit, à plus forte raison, s'entendre de tout le reste de l'Europe; et si, dans

un pays où la musique a pris naissance, où les peuples semblaient organisés pour elle, où la langue, naturellement flexible et sonore, a été si docile au nombre et aux modulations du chant, il ne s'est pas élevé un seul poète qui, à l'exemple des anciens, ait réuni les deux talents, chanté ses vers, et soutenu sa voix par des accords harmonieux; bien moins encore, chez des peuples où la musique est étrangère et la langue moins douce et moins mélodieuse, un pareil phénomène devait-il arriver.

La galanterie espagnole en a cependant fait l'essai: l'ingénieuse nécessité, l'amour, non moins ingénieux qu'elle, ont fait imaginer aux Espagnols ces sérénades où un amant, autour de la prison d'une beauté captive, vient, aux accords d'une guitare, soupirer des vers amoureux; mais on sent bien que, par cette voie, l'art ne peut guère s'élever; et quand, par miracle, il trouverait un Anacréon ou une Sapho, il serait encore loin de trouver un Alcée.

Le climat d'Espagne semblait plus favorable à la poésie épique et dramatique ; cette contrée a été le théâtre des plus grandes révolutions, et son histoire présente plus de faits héroïque que tout le reste de l'Europe ensemble. Les invasions des Vandales, des Goths, des Arabes, des Maures, dans ce pays tant de fois désolé; ses divisions intérieures en divers états ennemis les incursions, les conquêtes des Espagnols, soit

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en-deçà des mots, soit au-delà des mers; leur domination en Afrique, en Italie, en Flandre, et dans le Nouveau-Monde; la superstition même et l'intolérance, qui, en Espagne, ont allumé tant de bûchers et fait couler tant de sang, sont autant de sources fécondes d'événements tragiques; et si, dans quelques pays de l'Europe moderne, la poésie héroïque a pu se passer des secours de l'antiquité, c'est en Espagne : la langue même lui était favorable; car elle est nombreuse, sonore, abondante, majestueuse, figurée, et riche en couleurs.

Ce n'est donc pas sans raison que l'on s'étonne qu'un pays qui a produit un Pélage, un comte Julien, un Gonzalve, un Cortez, un Pizarre, n'ait pas eu un beau poème épique; car je compte pour peu de chose celui de l'Araucana; et dans la Lusiade même, le poète portugais n'a que très peu de beautés locales.

Mais les arts, je l'ai déjà dit, ne fleurissent et ne prospèrent que chez un peuple qui les chérit ce n'est qu'au milieu d'une foule de tentatives malheureuses que s'élèvent les grands succès. Il faut donc pour cela des encouragements; il en faut surtout au génie: c'est l'émulation qui l'anime; c'est, si j'ose le dire, le vent de la faveur publique qui enfle ses voiles, et qui le fait voguer. Or l'Espagne, plongée dans l'ignorance et dans la superstition, ne s'est jamais assez passionnée en faveur de la poésie, pour faire

prendre à l'imagination des poètes le grand es

sor de l'épopée.

Ajoutons que, dans leur histoire, le merveilleux des faits était presque le seul que la poésie pût employer, Le Camoëns a imaginé une belle et grande allégorie pour le cap de Bonne-Espérance: mais l'allégorie n'a qu'un moment; et l'on sait dans quelles fictions ridicules ce même poète s'est perdu, lorsqu'il a voulu employer la fable.

Le goût des Espagnols pour le spectacle donna plus d'émulation à la poésie dramatique; et la tragédie pouvait encore trouver des sujets dignes d'elle dans l'histoire de leur pays.

Cet esprit de chevalerie qui a fait, parmi nous, de l'amour une passion morale, sérieuse, héroïque, en attachant à la beauté une espèce de culte, en mêlant au penchant physique un sentiment plus épuré, qui de l'ame s'adresse à l'ame et l'élève au-dessus des sens; ce roman de l'amour enfin, que l'opinion, l'habitude, l'illusion de la jeunesse, l'imagination exaltée et séduite par les désirs, ont rendu comme naturel, semblait offrir à la tragédie espagnole des peintures plus fortes, des scènes plus terribles: l'amour étant lui-même, en Espagne, plus fier, plus fougueux, plus jaloux, plus sombre dans sa jalousie, et plus cruel dans ses vengeances, que dans aucun autre pays du monde.

Mais l'héroïsme espagnol est froid: la fierté, la hauteur, l'arrogance tranquille en est le ca

ractere; dans les peintures qu'on en a faites, il ne sort de sa gravité que pour donner dans l'extravagance: l'orgueil alors devient de l'enflure; le sublime, de l'ampoulé; l'héroïsme, de la folie. Du côté des mœurs, ce fut donc la vérité, le naturel, qui manquèrent à la tragédie espagnole; du côté de l'action, la simplicité et la vraisemblance. Le défaut du génie espagnol est de n'avoir su donner des bornes ni à l'imagination ni au sentiment; avec le goût barbare des Vandales et des Goths pour des spectacles tumultueux et bruyants où il entre du merveilleux, s'est combiné l'esprit romanesque et hyperbolique des Arabes et des Maures: de là le goût des Espagnols.

C'est dans la complication de l'intrigue, dans l'embarras des incidents, dans la singularité imprévue de l'événement, qui rompt plutôt qu'il ne dénoue les fils embrouillés de l'action; c'est dans un mélange bizarre de bouffonnerie et d'héroïsme, de galanterie et de dévotion, dans des caractères outrés, dans des sentiments romanesques, dans des expressions emphatiques, dans un merveilleux absurde et puéril, qu'ils font consister l'intérêt et la pompe de la tragédie ; et lorsqu'un peuple est accoutumé à ce désordre, à ce fracas d'aventures et d'incidents, le mal est presque sans remède: tout ce qui est naturel lui paraît faible, tout ce qui est simple lui paraît vide, tout ce qui est sage lui paraît froid.

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