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On sait qu'on va être trompé, et l'on est disposé à l'être, pourvu que ce soit avec agrément, et le plus d'agrément possible. C'est donc ici le moment de se rappeler ce que j'ai dit de l'illusion: elle ne doit jamais être complète; et si elle l'était, le spectacle tragique serait pénible et douloureux. Les accessoires de l'action en doivent donc tempérer l'effet : or l'un des accessoires qui tempèrent l'illusion en mêlant le mensonge avec la vérité, c'est l'artifice du langage, artifice matériel, qui n'est sensible qu'à l'oreille, et qui n'altère point le naturel de la pensée et du sentiment; car au spectacle il faut bien observer que tout doit être vrai pour l'esprit et pour l'ame, et que le mensonge ne doit être sensible que pour l'oreille et pour les yeux. Il en est donc de la forme des vers comme de la forme du théâtre; les yeux et les oreilles sont avertis par là que le spectacle est une feinte, tandis que l'esprit et l'ame se livrent à la vraisemblance parfaite des situations, des mœurs, des sentiments, et des peintures. Quelle est donc en nous cette duplicité de perception? C'est une énigme dont le mot est le secret de la nature; mais, dans le fait, rien de plus réel. Voyez ILLUSIÓN.

J'ai déjà fait sentir combien la différence des deux théâtres est à l'avantage du nôtre du côté de la déclamation et de l'action pantomime. Chez les anciens, les accents de la voix, l'articulation, le geste, tout devait être exagéré. Le jeu du

visage, qui chez nous est aussi éloquent que la parole, était perdu pour eux; leurs masques et leurs vêtements étaient quelque chose de monstrueux; leur usage de faire jouer les rôles des femmes par des hommes prouve combien toutes les finesses, toutes les délicatesses de l'imitation, leur étaient interdites par cet éloignement de la scène qui en sauvait les difformités.

C'est donc une bien vaine déclamation que les éloges prodigués à ces grands théâtres ouverts, où l'on avait, dit-on, l'honneur d'être éclairé par le ciel, chose aussi incommode dans la réalité que magnifique dans l'idée ; à ces théâtres, disje, qu'on n'aurait pas manqué de lambrisser, s'il eût été possible, et qu'à Rome on couvrait, faute de mieux, de voiles soutenues par des mâts et par des cordages.

Les Grecs avaient tout fait céder à la nécessité d'avoir un vaste amphithéâtre: voilà le vrai. Pour nous, loin de nous plaindre d'avoir des théâtres moins vastes où la parole et l'action soient à la portée de l'oreille et des yeux, nous devons nous en applaudir, et tirer de cet avantage, du côté de l'acteur comme du côté du poète, tout ce qui peut contribuer au charme de l'illusion. L'acteur de Racine ne doit pas être celui d'Eschyle ou d'Euripide; et autant le poète français est plus délicat, plus correct, plus varié, plus fin, autant le comédien doit l'être. (Voyez DÉCLAMATION). Ainsi la tragédie moderne, au lieu

d'être, comme l'ancienne, une esquisse de MichelAnge, sera un tableau de Raphaël.

TUTOIEMENT. Façon de parler à quelqu'un à la seconde personne du singulier. La politesse vent que, dans notre langue, on fasse comme si la personne à qui l'on adresse la párole était double ou multiple, et qu'on lui dise vous au lieu de tu: c'est une singularité qui répond à celle de dire nous, quoiqu'on ne soit qu'un, lorsque celui qui parle est un souverain ou une personne constituée en dignité, et qu'elle fait un acte solennel de sa volonté ou de son autorité: usage qui, je crois, prit naissance chez les empereurs romains, lorsqu'ils faisaient semblant de prendre conseil du sénat, et d'exprimer dans leurs édits une volonté collective. Le nous est encore réservé aux personnes en dignité ou en fonctions sérieuses. Le vous est devenu d'un usage commun et inséparable entre les personnes qui, n'étant pas familières l'une avec l'autre, veulent se traiter décemment.

« Le tutoiement, dit Fontenelle (Vie de Pierre Corneille), ne choque pas les bonnes mœurs, il ne choque que la politesse et la vraie galanterie ; il faut que la familiarité qu'on a avec ce qu'on aime soit toujours respectueuse, mais aussi il est quelquefois permis au respect d'être un peu familier. On se tutoyait anciennement dans le tra

gique même, aussi-bien que dans le comique; et cet usage ne finit que dans l'Horace de Corneille, où Curiace et Camille le pratiquent encore. Naturellement le comique a dû pousser cela un peu plus loin; et à cet égard le tutoiement n'expire que dans le Menteur. »>

Je ne suis pas tout-à-fait de l'avis de Fontenelle. Le tutoiement, d'égal à égal et dans une situation tranquille, est sans doute une familiarité; mais, soit dans le tragique, soit dans le comique, cette familiarité sera toujours décente, non - seulement du frère à la sœur, de l'ami à l'ami, mais encore de l'amant à la maîtresse, lorsque l'innocence, la simplicité, la franchise des mœurs l'autorisera, comme dans le langage des villageois, des peuples agrestes, ou sauvages, ou même peu civilisés, et dont les mœurs sont âpres et austères. Alzire et Zamore se tutoient, et il n'y a rien d'indécent. C'est peut-être la même raison, ou plutôt un sentiment exquis de la vérité des mœurs, qui a engagé Corneille à donner cette nuance de familiarité au langage de Curiace et de Camille.

En général, toutes les fois que la familiarité douce n'aura l'air que de l'innocence et de l'ingénuité, le tutoiement sera permis. Il l'est de même dans tous les mouvements d'une tendresse vive, ou d'une passion violente.

OROSMANE, à Zaïre.

Quel caprice étonnant que je ne conçois pas !

Vous m'aimez ! Et pourquoi vous forcez-vous,
A déchirer le cœur d'un amant si fidèle?

cruelle,

Je me connaissais mal; oui, dans mon désespoir,
J'avais cru sur moi-même avoir plus de pouvoir.
Va, mon cœur est bien loin d'un pouvoir si funeste.
Zaïre, que jamais la vengence céleste

Ne donne à ton amant, enchaîné sous ta loi,
La force d'oublier l'amour qu'il a pour toi.

Qui, moi ? que sur mon trône une autre fût placée!
Non, je n'en eus jamais la fatale pensée :
Pardonne à mon courroux, à mes sens interdits,
Ces dédains affectés et si bien démentis :

C'est le seul déplaisir que jamais dans ta vie
Le Ciel aura voulu que ta tendresse essuie.

Je t'aimerai toujours.... Mais d'où vient que ton cœur,
En partageant mes feux, différait mon bonheur?
Parle ; était-ce un caprice? est-ce crainte d'un maître,
D'un soudan, qui pour toi veut renoncer à l'être?
Serait-ce un artifice? Épargne-toi ce soin :
L'art n'est pas fait pour toi, tu n'en as pas besoin :
Qu'il ne souille jamais le saint nœud qui nous lie.
L'art le plus innocent tient de la perfidic.

Je n'en connus jamais, et mes sens déchirés,
Pleins d'un amour si vrai....

ZAÏRE.

Vous me désespérez.

Vous m'êtes cher, sans doute, et ma tendresse extrême
Est le comble des maux pour ce cœur qui vous aime.

OROSMANE.

O Ciel! expliquez-vous. Quoi! toujours me troubler!

Cet exemple fait voir bien sensiblement par quels mouvements de l'ame on peut passer avec bienséance du vous au tu, et du tu au vous ; mais ce qui est naturel et décent dans le caractère d'Orosmane, ne le serait pas dans celui de Zaïre,

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