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et que le Cid n'en eut que plus de gloire, lorsqu'après lui avoir donné tant de larmes à la représentation, tout le monde le sut par cœur.

L'autre question est de savoir pourquoi, dès son origine et chez tous les peuples du monde, la tragédie a parlé en vers.

Il est bien sûr que, de tous genres de poésie, le dramatique est celui qui paraît le mieux pouvoir se passer de cet ornement accessoire, par la raison que, dans la chaleur du dialogue et de l'action, l'ame est assez émue, ou par la vivacité dù comique, ou par la véhémence du tragique, pour ne rien désirer de plus; et pourvu que l'oreille ne soit point offensée, c'en est assez : un sentiment plus cher que celui de la mélodie nous occupe dans ce moment. Aussi voit-on que la comédie réussit en prose comme en vers; et dans les scènes comiques de l'Avare ou du Bourgeois gentilhomme, on ne pense pas même que ce dialogue si naturellement écrit, ait jamais pu l'être autrement. On voit de même que, dans les tragédies vraiment pathétiques et mal versifiées, comme Inès, ce défaut n'est pas aperçu ; et je ne doute pas qu'Inès, écrite en excellente prose, n'eût réussi de même.

Les anciens avaient reconnu que la poésie dramatique exigeait un langage plus naturel que le poème lyrique et l'épopée, et ils avaient pris pour la scène celui de leurs vers dont le rhythme approchait le plus de la prose. Ceux qui, comme

moi, ont le malheur de ne lire Euripide et Sophocle que dans de faibles traductions, sentent très bien que le charme et l'effet des scènes touchantes ou terribles ne tenait point à l'harmonie du vers; et une prose comme était celle de Platon ou d'Isocrate, de Thucydide ou de Démosthène, eût très bien pu y suppléer.

Pourquoi donc tous les poètes grecs s'étaientils accordés à écrire en vers la tragédie? L'usage reçu, l'habitude, un goût de prédilection pour cette cadence régulière, la facilité de la langue à s'y prêter, l'analogie à conserver entre la scène. récitée et le chœur qui était chanté, la mélopée ou la déclamation théâtrale, qui était elle-même une espèce de chant, seraient des raisons suffisantes de cette préférence que la tragédie avait donnée aux vers sur la prose: mais la comédie, le plus libre de tous les poèmes, le plus approchant de la nature, n'aurait-elle pas dû s'en tenir au langage le plus naturel? dans les bouffonneries d'Aristophane, dans ses farces grossières, il serait bien étrange qu'on eût cherché le plaisir délicat de la cadence et de la mesure.

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La poésie dramatique en général avait donc quelque autre avantage à s'imposer la contrainte du vers ; et cet avantage était commun à l'oreille et à la mémoire : c'était pour l'une et l'autre un besoin plutôt qu'un plaisir.

La plus grande incommodité des grands théâtres est la difficulté d'entendre ce qui est prononcé de

si loin la bouche des masques en porte-voix, et les vases d'airain qu'on avait placés de manière à réfléchir le son, prouvent le mal par le remède. Or les vers dont la mesure est connue et auxquels l'oreille est habituée, donnent la facilité de suppléer ce que l'on n'entend pas, ou de corriger ce que l'on entend mal. Le seul espace du mot l'indique, et l'auditeur remplit le vide des sons qui lui sont échappés. Il en est dé même pour la mémoire. Ainsi, soit pour entendre les paroles, soit pour les retenir, la marche régulière des vers était d'un grand secours; et cela seul l'eût fait préférer à la prose.

Dans nos petites salles de spectacles, la difficulté n'est pas si grande pour l'oreille, mais elle est la même pour la mémoire; et c'en serait assez encore pour qu'on donnât la préférence aux vers, dont un hémistiche amène l'autre, et dont la rime seule nous rappelle le sens. Voyez VERS et RIME.

Dans la comédie, où il y a communément peu de chose à retenir, on a été dispensé d'écrire en vers; mais dans la tragédie, dont les détails sont précieux à recueillir et intéressants à rappeler, le vers a paru nécessaire. On distingue même, parmi les comédies, celles qui méritaient d'être écrites en vers, comme le Misanthrope, le Tartufe, les Femmes savantes, le Méchant, la Métromanie; et celles qui n'auraient rien perdu à être écrites en prose, comme l'Étourdi, le Dépit amoureux, l'École des Femmes, l'École des Maris. Il en est

de même chez les anciens : on sent qu'Aristophane et Plaute n'avaient aucun besoin de la mesure de l'iambe on sent que Térence, et vraisemblablement Ménandre, son modèle, auraient beaucoup perdu à ne pas exprimer en vers tant de détails, si délicats, si vrais, que l'on aime à se rappeler.

Mais il y a une raison plus intéressante pour les poètes d'écrire en vers la tragédie, et quelquefois la comédie; et cette raison était la même pour les anciens que pour nous. Tout n'est pas également vif dans le comique; dans le tragique, tout n'est pas également passionné : il y a des éclaircissements, des développements, des passages inévitables d'une situation à l'autre; il y a des délibérations tranquilles, en un mot, des mòments de calme, où, n'étant pas assez émue par l'intérêt de la chose, l'ame demande à être occupée du charme de l'expression, pour ne pas cesser de jouir. C'est alors que le coloris de la poésie doit enchanter l'imagination, que l'harmonie du vers doit enchanter l'oreille; et c'est un avantage que Racine et Voltaire ont très bien senti, et que Corneille a méconnu. Les pièces de Racine les mieux écrites sont les plus faibles du côté de l'action, comme Athalie et Bérénice. Dans Voltaire, comme dans Racine, les scènes les moins pathétiques sont celles où il a le plus soigneusement employé la magie des beaux vers voyez le premier acte de Brutus ; voyez la scène de Zopire et de Mahomet; voyez les scènes de César

Élém. de Littér. IV.

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et de Cicéron, dans Rome sauvée; voyez de même l'exposition de Bajazet, la grande scène de Mithridate avec ses deux fils, et celle d'Agrippine avec Néron, dans le quatrième acte de Britannicus. Corneille a aussi des scènes tranquilles de la plus grande beauté ; c'était même là son triomphe: mais observez qu'il y était porté par la grandeur de son objet, et que toutes les fois qu'il n'a que des choses communes à dire, il semble dédaigner le soin de les parer et de les ennoblir. Racine et Voltaire n'ont rien de plus soigné que ces détails ingrats; ils sement des fleurs sur le sable. Corneille ne fait jamais de si beaux vers, que lorsque la situation l'inspire, et qu'elle s'en passerait : dès que son sujet l'abandonne, il s'abandonne aussi lui-même, et il tombe avec son sujet. Les deux autres, tout au contraire, ne s'élèvent jamais si haut par l'expression, que lorsque la faiblesse de leur sujet les avertit de se soutenir et d'employer leurs propres forces. Tel est le grand avantage des vers.

Mais à cet avantage on oppose le charme de la vérité et du naturel, qu'on ne saurait disputer à la prose. Dans aucun pays du monde, dit-on, dans aucun temps, les hommes n'ont parlé comme on les fait parler sur la scène ; les vers sont un langage factice et maniéré. J'en conviens; mais est ce la vérité toute nue qu'on cherche au théâtre? On veut qu'elle y soit embellie; et c'est cet embellissement qui en fait le charme et l'attrait.

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