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toire n'a pu être changé, comme dans Britannicus et dans Mahomet. Mais la grande difficulté est dans la disposition intérieure de la fable; et pour la rendre féconde en incidents, en révolutions pathétiques, le vrai moyen est d'y réunir l'importance du sujet, la force et le contraste des caractères, et la chaleur des sentiments et des intérêts opposés. Tout le reste naît de soi-même ; et dans une fable ainsi constituée, on verra les situations, les scènes vives et pressantes, se suc céder sans peine et sans relâche, et se pousser comme les flots : au lieu que, si les intérêts n'ont rien de passionné, comme dans Sertorius, si les caractères opposés au caractère principal sont négligés, comme dans Ariane, si tout est faible, et le sujet, et les caractères, et les sentiments, comme dans Bérénice, le tissu de l'action se ressentira de cette faiblesse, et toute l'éloquence du poète sera insuffisante pour en remplir les vides et en ranimer la langueur.

L'on sent bien quelle est la faiblesse du sujet de Sertorius, et qu'avec toute son importance il n'a rien de passionné. Mais pourquoi le sujet de Bérénice est-il plus faible que celui d'Ariane, que celui d'Inès, que celui de Didon? n'est-ce pas le même problème, la même alternative? Non la simple maladie de l'amour n'est point tragique; il faut, si je l'ose dire, qu'elle soit compliquée. Le malheur de Bérénice n'est que la peine légitime d'un amour imprudent; or, c'est l'indignité

du malheur qui le rend pathétique. Titus, en renvoyant Bérénice, n'est qu'un homme sage, qui cède à sa gloire et à son devoir; Thésée est un perfide, hée est un ingrat, Pèdre serait un monstre. Qu'une femme se plaigne comme Bérénice, qu'on ne la préfère pas à l'empire du monde; sa douleur touche faiblement : mais qu'une femme se plaigne d'être trahie, déshonorée, abandonnée par un amant à qui elle a tout sacrifié, pour qui elle a tout fait, comme Ariane, ou Didon; il n'est personne qui ne ressente les déchirements de son cœur : ils sont encore plus douloureux, si elle est épouse et mère comme Inès. Ce n'est plus l'amour seul, c'est tout ce qu'il y a de plus cher et de plus saint dans la nature, qui est compromis dans ces sujets, l'honneur, la boune foi, la reconnaissance, et dans Inès les nœuds de l'hymen et du sang. Ainsi tous les poisons de la perfidie, de l'ingratitude, et de la honte, versés dans les plaies de l'amour, les enveniment; et c'est là ce qui le rend tragique.

On verra mieux, dans l'article ACTION, ce que j'entends par la force du sujet. Quant à celle des caractères, elle consiste dans l'énergie et la chaleur des sentiments si le personnage est en action, et dans la fermeté de l'ame lorsqu'il ne fait que résistance. Dans un roi, dans un père, une froide rigueur, une autorité inflexible, une vertu inexorable suffit pour rendre malheureux deux jeunes cœurs passionnés. Mais soit du côté de

l'action, soit du côté de l'obstacle, soit dans le choc de deux mouvements opposés, chacun des caractères, dans sa situation, doit être ce qu'il est, le plus qu'il est possible, sans passer les bornes de la vraisemblance et les forces de la nature. Si Burrhus pouvait être plus vertueux, Narcisse plus scélérat, Cléopatre, dans Rodogune, plus ambitieuse, Ariane plus tendre, Orosmane plus amoureux, ils ne le seraient pas assez. De la force des caractères naît la chaleur des sentiments, et de là celle de l'action.

L'action et ses qualités, comme la vraisemblance, les unités, l'intérét, le pathétique, la moralité; ses parties essentielles, l'exposition, l'intrigue, le dénouement; ses divisions et ses repos, les actes et les entr'actes; ses moyens, les mœurs, les situations, les révolutions, les reconnaissances, ont leurs articles séparés : on peut les voir à leur place.

Il ne me reste plus qu'à tirer, de l'essence de la tragédie et de la différence de ses deux systèmes, quelques inductions relatives au langage et à la représentation.

J'en ai assez dit sur le style dans les articles relatifs à cette partie essentielle de l'art; je me bornerai ici à deux questions intéressantes. L'une, pourquoi la tragédie ancienne est plus en action qu'en paroles; et la moderne, au contraire, plus en paroles qu'en action. Observez d'abord que j'entends ici par action la pantomime théâtrale,

les incidents, et les tableaux, en un mot, le spectacle des yeux; et dans ce sens-là, il est vrai que la tragédie moderne est bien souvent inférieure à l'ancienne. Mais la différence n'est pas toujours à l'avantage de celle-ci ; et je crois l'avoir fait sentir en parlant de la PANTOMIME, et des différences de la représentation sur l'un et sur l'autre théâtre. Il y a des situations tranquilles pour

les

yeux, et très pathétiques pour l'ame; c'est de l'action sans mouvement et au contraire, il arrive souvent, dans les pièces à incidents, que sur la scène tout paraît agité, et que, dans les esprits et dans les cœurs, tout est tranquille; c'est du mouvement sans action. (Voyez ACTION, SiTUATION.) Quant à la profusion des paroles qu'on nous reproche, il est encore vrai que nous donnons quelquefois trop à l'éloquence poétique, en faisant parler nos personnages lorsqu'ils ne devraient que sentir. Mais aussi ne faut-il pas croire que le langage des passions se réduise à des sens suspendus, à des mots entrecoupés, à d'éternelles réticences. Dans le trouble et l'égarement, dans les accès d'une passion, ou dans le choc rapide et violent de deux passions opposées, ces mouvements interrompus sont naturels et à leur place; mais tant que l'ame se possède et peut se rendre compte à elle-même des sentiments dont elle est remplie, non-seulement la passion permet des développements, mais elle en exige, pour être vivement et fidèlement peinte. Lorsqu'Orosmane

attend Zaïre pour la poignarder, il ne doit dire que quelques mots terribles : lorsque Phèdre apprend que Thésée est vivant et qu'il arrive, un silence morne serait l'expression la plus vraie de l'horreur dont elle est saisie; c'est dans ses yeux qu'on devrait voir la résolution de mourir. Mais lorsqu'Orosmane, se possédant encore, croit venir accabler Zaïre de ses reproches et de son froid mépris; lorsque Phèdre annonce à 'OEnone qu'elle a une rivale; ce serait méconnaître la nature, que de trouver qu'ils parlent trop : à plus forte raison dans des situations moins violentes, de longs discours sont-ils placés. Le théâtre ancien n'a rien de pareil à la scène d'Auguste avec Cinna; et tant pis pour le théâtre ancien. C'est par ces développements du sentiment et de la pensée, lorsqu'ils sont à leur place, que nos belles tragédies ont tant d'avantage à la lecture sur toutes celles qui ne sont qu'en mouvements et en tableaux. La tragédie est faite pour étre représentée, nous disent ceux qui ne savent pas écrire ou qui ne savent pas lire. On peut leur répondre que si les esprits sont éclairés en même temps qu'ils sont émus, si, après que l'illusion et l'émotion théâtrale ont cessé, le spectateur s'en va la tête pleine de grandes choses grandement exprimées, la tragédie n'en vaut pas moins. On peut leur répondre que Cinna, les Horaces, Phèdre, Britannicus, Zaïre et Mahomet ne perdent rien à être représentés, quoiqu'ils soient faits aussi pour être lus;

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