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pouvoirs limités; c'est là que tous les préjugés d'une éducation corruptrice sont ébranlés par les maximes de la nature et de la raison; c'est là que l'orgueil est confondu, la vaine gloire humiliée; c'est là que le despotisme impérieux voit ses écueils, et l'ambition ses naufrages; c'est là que Ies penchants favoris d'un prince sont repris sans ménagement, et châtiés dans ses pareils; c'est là qu'il sent tout le danger des mouvements impétueux d'une ame à qui tout cède, de ces mouvements dont un seul fait le malheur de tout un peuple, quelquefois la ruine ou la honte d'un roi ; c'est là qu'il voit ce que jamais on n'a osé lui faire entendre, que ses faiblesses sont des crimes, et ses passions des fléaux; c'est là qu'il apprend qu'il est homme, qu'il peut avoir besoin de la pitié des hommes, et qu'il aura toujours besoin de leur amour; c'est enfin là qu'il voit sans masque le mensonge, l'intrigue, l'adulation, et les ressorts cachés de tous les mouvements qui s'exécutent dans sa cour. Ainsi, par un renversement assez singulier, la cour d'un roi est lui un spectacle, et la tragédie est le développement du mécanisme qui le produit: l'illusion est dans le palais, et la vérité sur la scène.

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C'est ce qui donnera toujours à la tragédie héroïque une grande prééminence : car il y a mille façons de réprimer le naturel d'un peuple, et rien de plus rare que les moyens d'instruire et de former les rois.

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Chez les Grecs la tragédie était nationale, et, à tous égards, elle eût perdu à ne pas l'être; chez nous, elle est universelle, comme l'empire des passions. Mais comme elle peut être prise dans l'histoire de tous les pays et de tous les âges, peut-elle être aussi de pure invention ? Brumoi tient pour la négative. « Un sujet d'imagination, dit-il, préviendrait le spectateur incrédule, et l'empêcherait de concourir à se laisser tromper ». Castelvetro pense comme Brumoi, et il est encore plus sévère; car il n'en coûte rien à ces messieurs d'appauvrir le génie et l'art.

Mais Aristote, leur oracle, décide formellement que tout peut être d'invention, et les faits et les personnages; soyons de son avis: la pratique du théâtre le confirme, et la raison le persuade encore plus. Un fait n'est pas connu dans l'histoire; et qu'importe ? Avons-nous tous les lieux, tous. les siècles présents? et qui de nous s'inquiète de savoir où le poète a pris ce tableau qui le touche, ce caractère qui l'enchante? On serait plus fondé à craindre qu'en attribuant à un personnage illustre ce qui ne lui est point arrivé, on ne fût comme démenti par le silence de l'histoire : mais si les convenances y sont bien observées, chacun de nous suppose que cette circonstance d'une vie célèbre lui est échappée ; et dès qu'elle s'accorde avec ce qui lui est connu des lieux, des temps et des personnages, il ne demande plus rien.

De la composition de la Fable. On a vu, dans l'article INTRIGUE, à quoi cette partie se réduisait chez les anciens. Un ou deux personnages vertueux ou bons, ou mêlés de vices et de vertus, qui, malheureux constamment, succombent, ou qui, par quelque accident imprévu, échappent au danger qui les menaçait; voilà leurs fables les plus renommées. Aristote les réduit toutes à quatre combinaisons. « Il faut, dit-il, que le crime s'achève ou ne s'achève pas, et que celui qui le commet ou va le commettre, agisse sans connaissance ou de propos délibéré ». J'ai déjà dit qu'il donne la préférence, tantôt à celle de ces combinaisons où la connaissance du crime que l'on va commettre empêche qu'il ne s'exécute, tantôt à celle où le crime n'est reconnu qu'après qu'il est exécuté. La vérité est que le crime connu avant d'être commis, et le crime commis avant d'être connu, font deux actions très touchantes; mais celle-ci réserve le fort de l'intérêt pour dénouement, comme dans l'OEdipe; l'autre l'épuise avant la révolution comme l'Iphigénie en Tauride. Le crime commis avant d'être connu, rend la catastrophe terrible, et remplit l'objet du système ancien. Le crime connu avant d'être commis, rend la solution du noeud consolante, et convient mieux au système moderne. La fatalité manque son effet, si le crime n'est pas consommé; la passion a produit le sien, dès qu'elle a conduit l'homme au bord du précipice.

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Un genre de fable qu'Aristote semblait avoir banni du théâtre, et que Corneille a réclamé, est celle où le crime entrepris avec connaisssance de cause ne s'achève pas. « Cette manière, dit le philosophe grec, est très mauvaise; car outre que cela est horrible et scélérat, il n'y a rien de tragique, parce que la fin n'a rien de touchant. » C'est ainsi qu'il devait raisonner, persuadé, comme il l'était, que le pathétique résidait dans la catastrophe: aussi ajoute-t-il que, dans ces occasions, il vaut mieux que le crime s'exécute, comme celui de Médée; et c'est à ce genre de fable qu'il donne le troisième rang. Corneille, au contraire, avait en vue les mouvements que doit exciter le pathétique intérieur de la fable jusqu'au moment de la solution; et c'est par là qu'il s'est décidé. « Lorsqu'on agit, dit-il, avec une éntière connaissance, le combat des passions contre la nature, et du devoir contre l'amour, occupe la meilleure partie du poème; et de là naissent les grandes et les fortes émotions. » Il convient donc qu'un crime résolu, prêt à se commettre, et qui n'est empêché que par un changement de volonté, fait un dénouement vicieux; mais si celui qui l'a entrepris fait ce qu'il peut pour l'achever, et si l'obstacle qui l'arrête vient d'une cause étrangère, «< il est hors de doute, poursuit Corneille, que cela fait une tragédie d'un genre peut-être plus sublime que les trois qu'Aristote

avoue »

Aristote et Corneille ont été conséquents. L'un se proposait de laisser la terreur et la pitié dans l'ame des spectateurs après le dénouement; il devait donc souhaiter que le crime fùt consommé. L'autre se proposait d'exciter ces deux passions durant le cours du spectacle, peu en peine de ce qui en résulterait quand tout serait fini, et que l'illusion aurait cessé : or tant que l'innocence et la vertu sont en péril et que l'on croit voir approcher l'instant où elles vont succomber, on s'attendrit, on frémit pour elles, et plus le danger est pressant, plus la crainte et la pitié redoublent: de là les grands mouvements du cinquième acte de Rodogune, qu'il s'agissait de justifier.

A l'égard du crime empêché par un changement de résolution dans celui qui allait le com

mettre avec connaissance de cause, il y en a des

exemples sur notre théâtre, comme dans l'Orphelin de la Chine; et pourvu que l'action préméditée ne soit pas atroce, ces dénouements ont leur beauté. Il arrive même souvent que l'action tragique, sans être un crime, ne laisse pas d'être funeste; comme serait la vengeance d'Auguste dans Cinna, et celle de Gusman dans Alzire, dont le dénouement n'est autre chose qu'un changement de volonté.

Ainsi le système des passions admet toutes les formes de fable, excepté celle dont l'événement est favorable au crime; et encore l'a-t-on soufferte quand le dénouement donné par l'his

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